Argumentaire Khalfa : La Constitution européenne et les services publics

, par attac92

Pierre Khalfa est Syndicaliste au G10, Membre du CA (Conseil d’Administration) et du bureau national d’Attac-France

"La Constitution européenne et les services publics" compléments par Pierre Khalfa au document d’Alain Lecourieux

6 octobre 2004
Services publics et Europe
Alain a fait un excellent travail et les remarques qui suivent visent simplement à préciser un certain nombre de points.
Les services d’intérêt général non marchands
Les SIG non marchands ne sont théoriquement pas soumis au droit de la concurrence. Cependant, dans son rapport sur les services d’intérêt général, fait à l’occasion du Conseil européen de Laeken à la fin de l’année 2001, la Commission indique qu’il n’est "pas possible d’établir a priori une liste définitive de tous les services d’intérêt général devant être considérés comme non économiques". Elle s’appuie pour cela sur une interprétation d’un arrêt de la Cour de justice qui indique que "constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné". La Commission indique d’autre part que "la gamme de services pouvant être proposés sur un marché dépend des mutation technologiques, économiques et sociétales", la distinction entre services d’intérêt général et services d’intérêt économique général perd de sa pertinence.
Avec une telle analyse, toute activité pourrait être considérée comme activité économique et donc être soumise au droit de la concurrence et aux règles du marché unique. La situation est d’autant plus préoccupante que se poursuit la négociation sur l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Alors que les directives européennes ont largement anticipé le résultat de ces négociations en déréglementant les services publics en réseau, les autres services publics sont directement concernés par le processus initié par l’AGCS qui vise à les transformer en simples marchandises régies par les lois du commerce. Ainsi, les services publics sont pris dans un mécanisme infernal : pouvant être considérés comme une "activité économique", il sont soumis au niveau communautaire au droit de la concurrence et peuvent être considérés comme de banals objets commerciaux dans le cadre de l’OMC. La boucle est bouclée !

L’article III-166
C’est, à mon avis, l’article clef, avec le III-167 sur les aides, pour les services publics. La Commission s’est toujours battue becs et ongles pour en refuser toute modification. Il faut développer un peu son analyse.
Il est la reprise in extenso de l’article 86 du traité actuel (ex 90 du traité de Rome). Il a été l’instrument utilisé par la Commission pour libéraliser les services publics. Il comprend trois alinéas. Le premier indique que "les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire à la Constitution, notamment à l’article I-4 paragraphe 2 et aux articles III-161 à III-169." L’article I-4 interdit tout traitement différencié en raison de la nationalité et les articles III-161 à III-169 ont trait au bon fonctionnement de la concurrence. Le premier alinéa de l’article III-166 indique donc que les entreprises publiques doivent respecter les règles de la concurrence qui sont au c¦ur du traité.
Le deuxième alinéa semble néanmoins laisser des marges de man¦uvre aux services publics : "Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux disposition de la Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie." Mais ses marges de man¦uvres sont aussitôt bornées car l’alinéa précise aussitôt que "Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté".
Le troisième alinéa indique que "la Commission veille à l’application des dispositions du présent article et adresse, en tant que besoin, les directives ou décisions appropriées aux Etats".
Cet article a une portée considérable. Il est mortifère pour les services publics. Ceux-ci sont soumis aux règles de la concurrence. Ils ne peuvent en déroger que si cela n’entrave pas le développement des échanges "dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté". C’est la Commission qui est juge des dérogations possibles. La Commission a ainsi tout pouvoir pour ouvrir les services publics à la concurrence. Cet article était présent dès la création de la Communauté. Il n’avait quasiment jamais été utilisé. Il a fallu attendre la vague libérale des années 80 pour qu’il acquière son poids politique actuel.
Dans la pratique la Commission a eu l’intelligence politique d’utiliser cet article en y associant les gouvernements. Ainsi, les principales décisions de libéralisation ont été prises par le Conseil des ministres. Aucun gouvernement n’a pensé que la question des services publics était assez importante pour remettre en cause le contenu du traité en ouvrant une crise qui aurait été salutaire pour l’avenir de l’Europe.

Les arrêts de la cour de justice
Ils ne sont pas sans importance et sont régulièrement invoqués pour démontrer que les règles du traité, et donc de la Constitution, sont compatibles avec l’existence des services publics. La Cour de justice a rendu un certain nombre d’arrêts qui admettent que certaines activités peuvent bénéficier de dérogations aux règles de la concurrence en raison de leur caractère de service public. Les arrêts Corbeau (1993) et d’Almelo (1994) indiquent une limite à l’application des règles de la concurrence dans le cadre de la mise en ¦uvre de mesures d’intérêt général. L’arrêt Altmark (2003) concernent les subventions publiques pour des obligations de service public.

Cependant, ces arrêts n’ont pas formé une jurisprudence suffisante pour bloquer la vague de libéralisation et surtout, ils ne renversent pas la charge de la preuve. C’est aux services publics de faire en permanence la preuve qu’ils ne sont pas un obstacle au développement des échanges dans l’Union, ce point restant le critère principal d’appréciation. Cependant, ces arrêts, et en particulier le dernier, n’ont pas été sans conséquence sur l’expression de la Commission. Ainsi dans son récent Livre Blanc, la Commission écrit, que "l’accomplissement effectif d’une mission d’intérêt général prévaut, en cas de tension, sur l’application des règles du traité", c’est-à-dire des règles du marché unique et du droit de la concurrence. Elle ne tire cependant aucune conséquence concrète de cette affirmation et le retse du Livre Blanc n’est que la reprises de ses positions traditionnelles.

Pierre Khalfa