Argumentaire Lecourieux : La politique monétaire : l’emploi sacrifié à la lutte contre l’inflation
La politique monétaire :
l’emploi sacrifié à la lutte contre l’inflation
18 avril 2005
La projet de traité constitutionnel reprend les dispositions du traité de Maastricht (1992) relatives à l’Union économique et monétaire (UEM). L’euro, monnaie unique, de douze des vingt-cinq pays de l’Union, et la politique monétaire de la zone euro ont complété à partir du 1er janvier 1999 (1er janvier 2001 pour la Grèce) le marché unique ou marché intérieur.
Le projet de traité constitutionnel confirme la très grande importance et le caractère éminemment antidémocratique de la politique monétaire (I-30 ; III-185 à III-191 ; III-382 et III-383).
Une fois ses dirigeants nommés pour huit ans, la Banque centrale européenne (BCE) est totalement indépendante du pouvoir politique. Elle ne peut être ni influencée, ni contrôlée, ni sanctionnée, et échappe ainsi à tout contrôle démocratique.
L’objectif essentiel de la BCE est la stabilité des prix. Elle ne se préoccupe ni de la croissance, ni de l’emploi (I-30-2), à la différence d’autres banques centrales, comme la Federal Reserve Bank (maintenir le mot « Bank ») des Etats-Unis dont l’objectif est double : stabilité des prix et croissance.
Le chômage massif dans les Etats membres de l’Union européenne s’explique largement par la politique monétaire et la politique de change de l’euro. Plusieurs mécanismes pervers y contribuent que la Constitution confirme.
La BCE mène des politiques généralement restrictives fondée sur l’obsession d’un « taux d’inflation inférieur (à 2%), mais proche de 2% », son objectif essentiel. Ceci se traduit par des taux d’intérêt élevés qui découragent l’investissement et contribuent à faire monter le taux de change de l’euro.
A la différence des Etats-Unis qui agissent sur le dollar pour stimuler leur économie, la BCE a mené durant les derniers années une politique de change dictée par les marchés - une politique calamiteuse - qui a déstabilisé l’économie européenne (appréciation de l’euro pendant les périodes de faible croissance, par exemple, ce qui a pour conséquence d’affaiblir encore la croissance et d’augmenter le chômage).
Le rôle stabilisateur des politiques budgétaires et fiscales est réduit par les règles précises et rigides du Pacte dit de stabilité et de croissance qui limite déficit et dette publics à 3 % et 60 % du PIB, respectivement. Le Pacte confirmé par la Constitution a été qualifié d’absurde par l’ancien président de la Commission européenne, Romano Prodi. On nous demande néanmoins de le pérenniser par notre vote au référendum.
La Constitution ne devrait pas contenir des règles de politique monétaire (et économique). Aucune Constitution démocratique ne l’a fait jusqu’ici. De plus ces règles sont inadaptées. Elle l’étaient déjà lorsque le traité de Maastricht a été négocié au début des années 1990 : la « grande inflation » avait été maîtrisée. Aujourd’hui, il s’agit de combattre l’instabilité du taux de change et des prix boursiers et, surtout, de lutter contre le chômage par des politiques publiques et salariales expansionnistes.
Au minimum, trois changements s’imposent :
– Il faut mettre fin à l’indépendance de la BCE qui doit être soumise au pouvoir des instances élues ou représentatives, comme le Parlement et le Conseil, et exécuter leurs décisions de politique monétaire et de change.
– Les gouvernements des pays de l’Union doivent définir une politique de change commune que le traité actuel autorise et non pas, comme aujourd’hui, renoncer à leur pouvoir pour le donner entièrement à la BCE. Cette politique doit être favorable au plein emploi dans l’Union. Elle doit avoir pour but la coopération monétaire avec les autres régions du monde afin de réduire la possibilité des crises financières et d’éviter les dévaluations compétitives.
– Redonner leur rôle aux politiques budgétaires nationales est également une nécessité, pour deux raisons : compenser le biais dépressif de la politique monétaire et prendre en compte l’hétérogénéité des économies nationales, ce que la politique monétaire unique ne peut pas faire.
– De même, une politique budgétaire communautaire plus ambitieuse s’impose pour mutualiser les dépenses d’infrastructures et accroître les transferts entre régions et pays membres. Ce qui nécessite une hausse du budget européen aujourd’hui limité à 1,24% du Revenu national brut de l’Union, soit 1,27% de son Produit intérieur brut (PIB).
Ce changement de cap de la politique monétaire et économique est indispensable pour lutter contre le chômage et les inégalités. Il est totalement incompatible avec les dispositions de la Constitution qui font de la monnaie un moyen d’assurer la suprématie du marché, et non une institution sociale au service d’une Union européenne solidaire.