Note de lecture n°15, mai 2013, "Le mystère français", de Hervé Le Bras, Emmanuel Todd

, par attac92

[*Notes de lecture 15, mai 2013*]

[**Le mystère français, par Hervé Le Bras, Emmanuel Todd*]
(Seuil, La République des Idées, mars 2013, 309 pages, 17,90 €)

Notes de lecture de J-P Allétru, les commentaires sont en italiques.

Hervé Le Bras est démographe et historien, Emmanuel Todd historien et anthropologue. Le regard qu’ils posent sur la France tranche avec l’approche économiste, et nous permet de percevoir des permanences et des évolutions inattendues. Ils laissent quelquefois pointer leur perplexité (d’où le titre de leur ouvrage).

Grâce à une cartographie abondante, très fine et originale, ils passent notre pays au scanner, sous tous les angles : structures familiales, religion, éducation, place des femmes, démographie, activité économique, distribution de la richesse, chômage, comportements politiques… Au fil de l’ouvrage, on trouve maints sujets de réflexion.

En 1981, les auteurs, dans « L’Invention de la France », avaient montré que la vie politique, structurée au niveau conscient par des affrontements d’intérêts et de classes, était en réalité déterminée, dans les profondeurs de la Nation, par des traditions religieuses et familiales agissant à l’insu des acteurs.

Entre 1980 et 2010, la France a basculé dans l’âge postindustriel. Elle a davantage changé dans les trente années qui viennent de s’écouler que durant les trente années précédentes. Le discours purement économique sur les « Trente Piteuses », succédant aux « Trente Glorieuses », oublie cette accélération du progrès social. Les systèmes anthropologiques et religieux anciens n’ont pas disparu : au contraire, le changement social a été guidé par eux.

L’accélération du changement social : 1980-2010
Education. « Jamais dans l’histoire la population française n’avait atteint un niveau [éducatif] aussi élevé. » « Le monde éducatif des Trente Glorieuses avait l’allure d’une pyramide normale : une base large, avec 58 % de citoyens certes capables de lire, d’écrire et de compter, mais qui n’avaient pas obtenu plus que le certificat d’études ; au-dessus, un étage moyen de 29 % de formations intermédiaires ; enfin, une couche supérieure étroite de 13 % de titulaires du baccalauréat général ou plus. Nous sentons dans cette forme la virtualité d’un équilibre démocratique, dans lequel la force de domination d’une minorité de privilégiés, certes plus éduqués, est néanmoins contrebalancée par la masse considérable des citoyens qui ont bénéficié d’une instruction primaire. » Aujourd’hui, « chez les jeunes de l’âge postindustriel, cet équilibre est rompu : les éduqués supérieurs forment la majorité absolue, avec 49 % d’individus qui ont obtenu le bac ou plus, 38 % d’éduqués moyens, secondaires et techniques, et seulement 12 % de citoyens restés au stade de l’instruction primaire. Les masses éduquées sont en haut, la minorité des simples alphabétisés en bas : la pyramide repose sur sa pointe. » Un tel renversement est lourd de conséquences. « A l’époque industrielle, la majorité alphabétisée de la société regardait vers le haut les éduqués supérieurs et contestait leurs privilèges. A l’époque postindustrielle, une majorité d’éduqués supérieurs et moyens regarde vers le bas ceux qui sont restés bloqués au stade de l’instruction primaire, pour les oublier dans le cas des premiers ou pour craindre de leur ressembler dans le cas des seconds. A la contestation succède l’indifférence ou la peur. Nous sommes ici fort près d’une explication simple du glissement du corps électoral de la gauche vers la droite ».

L’inversion de la stratification éducative est bien un phénomène majeur, qui soulève de nombreuses autres questions :

  • Comment ne pas laisser au bord de la route les « laissés pour compte » de l’éducation
     ? Cela passe bien sûr par la lutte contre l’échec scolaire, mais aussi par une politique volontariste de l’emploi : création d’emplois public d’intérêt général, partage du travail, réduction du temps de travail, maintien de la retraite à soixante ans ; mais aussi nécessité de repenser les critères de sélection, de recrutement, d’affectation à des emplois en associant les catégories professionnelles concernés aux jurys de recrutement, à la conception des épreuves des concours (et en leur donnant une voix prépondérante).
  • Cette dernière proposition ne concerne pas d’ailleurs que les emplois subalternes
     : comment admettre que dans les entreprises privées, le pouvoir se transmette, comme jadis la noblesse, de père en fils ? Les postes de direction et d’encadrement devraient eux aussi être pourvus par un mécanisme d’élection (comme dans les coopératives).
  • Comment faire participer les citoyens, mieux éduqués, aux décisions qui les concernent, sans se contenter d’une élection tous les quatre ou cinq ans ? Il faudrait instaurer, aux différents échelons administratifs, une véritable démocratie participative (avec planification
    démocratique), en associant le monde associatif. Et garantir le pluralisme des médias, et leur indépendance à l’égard du pouvoir politique et des puissances d’argent .]

la suite à lire en ouvrant la pièce jointe

P.-S.

Les « Notes de lecture » sont une publication apériodique.