Argumentaire Busch N. : "L’Union européenne : un espace de paix et de démocratie ? Une analyse critique du projet constitutionnel de l’Union européenne"
L’Union européenne : un espace de paix et de démocratie ?
Une analyse critique
du projet constitutionnel de l’Union européenne
par Nicholas Busch
Quelle légitimité démocratique ?
Le terme de "Constitution" est chargé de signification historique et juridico-politique. La création d’une Constitution suppose, selon la perception actuelle du terme, qu’il existe un peuple qui souhaite s’unir dans un Etat. Faut-il rappeler que, dans tous les pays démocratiques, ce sont des assemblées élues par le peuple qui furent mandatées à proposer et adopter les projets de Constitution ?
Déjà au regard de cette exigence pourtant essentielle, le projet de traité dit "constitutionnel" de l’Union européenne se distingue de tous les projets constitutionnels du passé qui se réclament de la démocratie. Notons d’abord l’absence d’une volonté établie des peuples européens concernés de créer un Etat commun. Ce sont les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de l’Union réunis en Conseil européen qui ont institué, sans aucun mandat de leurs électeurs nationaux, une soi-disant "Convention". Cette "Convention" a ensuite élaboré un projet de "traité constitutionnel" qui, à été approuvé par consensus par l’ensemble des gouvernements des Etats membres réunis dans le Conseil européen. Ce n’est que maintenant que les parlements, c’est à dire les assemblées élues des Etats membres, dans le cadre de la procédure nationale de ratification, peuvent se prononcer sur le projet. Mais encore, les parlements nationaux se voient confrontés à un choix aussi difficile que limité : soit l’adoption du texte constitutionnel dans son ensemble, soit son rejet en bloc. [1] Quant aux peuples concernés, leur rôle dans la procédure constitutionnelle risque d’être encore plus limité, sinon inexistant. En effet, dans la majorité des Etats membres, seuls les parlements pourront s’exprimer. En effet, dans certains pays membres, la Constitution nationale exclut le référendum, alors que dans d’autres la décision sur l’organisation d’un référendum, dont le résultat n’a pas toujours force obligatoire, revient au parlement, au gouvernement ou au chef d’Etat.
Ceci est d’autant plus problématique que dans nombre de pays membres de l’Union, les parlements ne reflètent pas l’opinion majoritaire des électeurs par rapport au développement stipulé par le projet de Constitution de l’Union européenne vers une sorte d’Etat supranational aux ambitions de super-puissance.
Les travaux de la Convention furent dirigés d’une main très ferme par le bureau de son Président, Valéry Giscard d’Estaing, et se déroulèrent à l’écart de tout débat véritablement public. La Convention travailla très vite, eu égard à l’importance politique et juridique du sujet. [2] Ceci a suscité ce commentaire de Daniel Thürer, professeur de droit international comparatif européen et constitutionnel à l’université de Zurich [3] : "La Convention constitutionnelle de l’Union européenne a travaillé plus rapidement et plus discrètement que la plupart des législateurs constitutionnels nationaux... La Convention était loin d’être assiégée par un public avide d’information... La procédure s’est poursuivie dans un certain isolement par rapport à la vie politique et intellectuelle". Et de continuer : "Les négociations étaient dirigées de façon rigide, pour ne pas dire autoritaire, par la présidence et le texte ne fut pas, comme c’est l’usage, adopté par vote séparé sur chaque disposition particulière et chaque section, mais par une procédure consensuelle" [4]. En octobre 2003, un éditorial dans le quotidien français "Le Monde" [5] notait : "Pendant des décennies, l’Europe s’est construite en catimini. C’était une affaire pour les élites voire pour les technocrates. Les citoyens avaient l’impression, pas tout à fait fausse, d’une bureaucratie lointaine prenant des décisions qui les affectaient sans qu’ils aient leur mot à dire". L’éditorial estime qu’un référendum organisé simultanément dans tous les pays membres de l’Union "aurait l’avantage de contribuer à la création d’un espace public européen." Cela revient à avouer qu’un tel espace public n’existe pas aujourd’hui. Or, en l’absence de cet espace public, de quelle légitimité démocratique une Constitution européenne peut-elle se réclamer ?
Dans beaucoup de pays membres les élites politiques et économiques semblent prêtes à tout pour éviter un réel débat sur le projet de Constitution. C’est vrai par exemple pour la Suède, où le gouvernement socialiste et la majorité des directions des partis représentés au parlement ont refusé l’organisation d’un référendum et font tout pour éviter un vaste débat de fond sur le projet de Constitution. Bien avant l’adoption du projet de Constitution par le Conseil européen en été 2004, le chef de groupe socialiste suédois au Parlement européen, Jan Andersson s’en prenait, dans un article débat paru dans un quotidien régional socialiste [6], à certains de ses camarades de parti qui insistaient sur l’urgence d’un large débat public sur le projet de Constitution et revendiquaient l’organisation d’un référendum. Selon monsieur Andersson, très représentatif de la ligne choisie par la direction du parti, la discussion même du projet de Constitution était "prématurée", sinon déplacée, tant que les gouvernements des Etats membres de l’Union ne s’étaient pas mis d’accord sur un projet définitif. "Le moins qu’on puisse demander", écrit Andersson, "est tout de même que l’on sache sur quoi l’on va voter, avant de demander un référendum". Donc, surtout pas de discussion maintenant, camarades. Quant au référendum, alors que Monsieur Andersson ne voulait pas en discuter à l’époque, il ne cachait pas qu’il y était fermement opposé par principe. En effet, monsieur Andersson craignait que, si on a recours au référendum au lieu du "système représentatif" (c’est à dire la ratification par le parlement national), "les questions européennes ne deviendront jamais une élément intégré de la politique [suédoise]". Autrement dit, si on fait voter le peuple, l’Union européenne ne se fera pas.
Certaines élites euro-enthousiastes semblent avoir compris que si l’on veut faire avancer la construction de l’Union européenne, il ne faut surtout pas demander l’avis des électeurs.
Tout indique que des parties importantes de cette élite politique pro-unioniste estiment que des votes référendaires, et même la seule discussion publique sur le projet de Constitution, menacent l’avenir même de l’Union européenne. Le risque est donc évident que l’Union européenne continue de se construire "en catimini", sur la base d’une "Constitution" adoptée en catimini.
"Ambiguïté constructive" : La terminologie et la sémantique du projet de Constitution
Une des missions principales de la "Convention" consistait en la présentation d’un projet de Constitution aux dispositions intelligibles, bien structurées et précises. Or, si quelque chose distingue le projet de Constitution, c’est bien une complexité et une longueur jamais vues dans un texte se voulant constitutionnel. Des dispositions dont le flou, l’ambiguïté, et la "flexibilité" prêtent aux interprétations arbitraires vont de pair avec des dispositions rigides et ultra-détaillées dont le but semble être de rendre des choix politiques et économiques issus d’une idéologie néo-libérale quasiment irréversibles en les élevant au rang de loi constitutionnelle.
On nous avait promis une Constitution simple et transparente. On veut maintenant nous refuser un débat sous prétexte que la matière est bien trop complexe pour que les citoyens ordinaires puissent en décider.
Des termes juridiques fondamentaux sont soudain utilisés avec une nouvelle signification sémantique. Ainsi, nous l’avons déjà constaté, la nouvelle signification des termes "Constitution" et "Convention" revient à une pure et simple tromperie sur la marchandise.
Et le "Parlement européen" ? Peut-on vraiment le qualifier de parlement, alors que ses membres n’élisent pas de gouvernement et n’ont même pas le droit de proposer des lois ?
Les exemples d’une telle terminologie ambiguë, sinon trompeuse, sont trop nombreux pour pouvoir être le fait de simples accidents de rédaction.
Dans le roman "1984" de George Orwell, un service ministériel entier se voue à la création d’une nouvelle langue, la "novlangue", l’objectif étant non pas de créer de nouveaux mots, mais de changer la signification sémantique de certains mots ou d’abolir tout simplement des termes qui pourraient permettre une pensée critique ou oppositionnelle, selon la devise : ce qui ne peut pas se dire, ne peut pas se penser.
En 2003, la notion même de "services publics", encore fréquemment utilisée au cours des travaux préparatoires, a été entièrement éliminée du texte du projet de Constitution. Elle a été remplacée par un terme mieux adapté à l’idéologie néo-libérale qui marque l’ensemble du texte : "services d’intérêt économique général". Ces services sont, bien sûr, soumis à l’exigence de la concurrence "libre et non faussée".
Le projet constitutionnel introduit une distinction bizarre entre deux types d’actes juridiques aux fins d’établissement de normes de droit : les actes juridiques dits "législatifs" [7] et les actes juridiques dits "non législatifs" [8]. L’astuce de cette distinction sémantique ? Alors que les premiers sont adoptés dans le cadre d’une procédure de co-décision à laquelle participe le Parlement européen, les derniers sont adoptés sans la moindre participation parlementaire, bien qu’ils puissent avoir un caractère obligatoire et puissent être immédiatement applicables.
On trouve d’autres exemples d’une terminologie qui prête (est-ce vraiment par maladresse ?) à confusion. Ainsi, le projet constitutionnel définit deux types de coopération rapprochée - coopération visant toujours un niveau d’intégration plus élevé entre des groupes d’Etats membres. Il s’agit de la "coopération renforcée" [9], de la "coopération structurée permanente". [10] Pour comprendre les implications réelles de cette distinction (abordées plus loin dans ce texte) il faut avoir lu de très près l’ensemble du texte du projet constitutionnel. La terminologie choisie est comme faite pour fourvoyer le public.
Notons ensuite qu’au-delà des décisions à la majorité, le Conseil européen (composé des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres) peut adopter des décisions "par consensus" [11], "d’un commun accord" [12], ou "à l’unanimité" [13]. Que cache donc cette richesse terminologique ?
Un dernier exemple de sémantique trompeuse : les (nombreuses) dispositions excluant tout droit de co-décision du parlement dans tel ou tel domaine particulier peuvent facilement être reconnues par le fait qu’elle contiennent une phrase stéréotype stipulant que le Parlement, s’il n’a rien à dire, doit tout de même être "consulté" ou tenu "informé". Mais on peut s’interroger sur la véritable signification des mots quand on s’aperçoit que le Parlement "est informé", selon la formulation choisie pour certaines dispositions, [14] " ou "pleinement informé" [15] pour d’autres, ou encore, dans quelques rares cas, est "immédiatement et pleinement informé" [16]. Il est difficile d’imaginer que ces distinctions, à première vue innocentes, soient le fait d’un accident de rédaction, puisqu’on les retrouve, fidèlement traduites dans toutes les versions linguistiques du texte. Ne faut-il pas en déduire qu’à chaque fois qu’une disposition fixe que le Parlement soit "informé" sans plus, il ne le sera ni immédiatement, ni pleinement ?
Dans un essai sur le projet de Constitution, Claude Serfati, chercheur et spécialiste du secteur militaro-industriel, critique ainsi la sémantique problématique du texte : "Comme c’est fréquemment le cas dans la diplomatie internationale, les traductions des textes dans les différentes langues des Etats membres laissent la place à ce qui, dans le langage des chancelleries, est appelé une ’ambiguïté constructive’, et qui signifie plus simplement l’utilisation à la carte des textes." [17] A titre d’exemple, Serfati note que le recours fréquent de la Convention à une terminologie élastique pourrait permettre d’inclure l’assistance militaire à, et la coopération militaire avec, des Etats tiers dans les opérations militaires de l’Union européenne.
On pourrait ajouter que "l’ambiguïté constructive" dont fait état Serfati n’est pas le seul fait des traductions, mais un trait inhérent à la version linguistique originale du projet.
Le labyrinthe institutionnel : la fin de la séparation des pouvoirs ?
Un autre trait caractéristique du projet de Constitution consiste en un manque de démarcation et beaucoup de chevauchement des rôles et compétences respectives des différentes institutions de l’Union. Dans ce premier projet de Constitution européenne, un des critères constitutifs de tous les Etats constitutionnels européens - le principe de la séparation des pouvoirs - n’est plus respecté. Cela résulte en un transfert plus ou moins sournois de pouvoir vers les organes exécutifs aux dépens des parlements, c’est à dire les assemblées élues directement par le peuple.
La Commission
En règle générale, la Commission seule détient le droit d’initier des propositions de loi. En outre, elle peut adopter des règlements et des décisions, c’est à dire des actes juridiques obligatoires, mais dits "non-législatifs".
La Commission "promeut l’intérêt général européen et prend les initiatives appropriées à ces fins" [18]. Cela revient à un mandat à la Commission de toujours promouvoir l’intégration et, par conséquent, le développement irréversible de l’Union vers un Etat supra-national. En outre, la Commission se voit revêtue d’une fonction qui ressemble fort à un pouvoir judiciaire, puisqu’elle "veille à l’application des dispositions de la Constitution ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celle-ci" et "surveille l’application du droit de l’Union", sous le contrôle de la Cour de Justice, il est vrai. [19] Mais ne s’agit-il pas là d’un rôle qui conviendrait mieux à la seule Cour de Justice ?
En règle générale, la Commission "assure la représentation extérieure de l’Union". [20] Mais ce n’est pas si simple que ça, puisque cette représentation extérieure ne comprend pas le domaine de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
Pour compliquer les choses, le Parlement européen peut certes destituer l’ensemble de la Commission, mais non un ou plusieurs Commissaires particuliers. Un Commissaire ne peut être destitué par la Cour de Justice qu’à la demande du Conseil des Ministres ou de la Commission. Ces règles savantes semblent avoir pour seul but de restreindre le pouvoir d’action du Parlement.
Le Conseil européen
Le Conseil européen est composé des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres. Il "donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations et les priorités politiques générales". [21] Alors qu’il n’exerce pas de fonction législative selon la définition du projet de Constitution, il peut adopter des actes juridiques "non législatifs" sous la forme de "décisions européennes" à effet obligatoire pour les Etats membres.
Le Conseil européen se prononce "par consensus", "sauf dans les cas où la Constitution en dispose autrement" - ce qui est, notons-le, souvent le cas. [22]
Le Ministre européen des Affaires étrangères
Le Ministre européen des Affaires étrangères de l’Union [23] est nommé par le Conseil européen (à la majorité qualifiée), avec l’accord du Président de la Commission : Il "conduit la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union". Il participe aux travaux du Conseil européen, mais sans droit de vote. [24] Le rôle de ce ministre européen est d’ailleurs double. D’une part il représente le Conseil des ministres en tant que mandataire pour les domaines de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC) et de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC). D’autre part, en tant que vice-président de la Commission chargé des "relations extérieures et de la coordination des autres aspects de l’action extérieure" de l’Union, il est soumis aux procédures qui régissent le fonctionnement de la Commission. Etant donné que le Président du Conseil européen a également pour tâche d’assurer "à son niveau et en sa qualité, la représentation extérieure de l’Union" pour les matières relevant de la PESC [25], les conflits de pouvoir entre ce dernier et le Ministre des Affaires étrangères semblent programmés.
Le Conseil des ministres
Le Conseil des ministres est composé d’un représentant (au rang de ministre) par Etat membre, pour chacune de ses formations. Il statue à la majorité qualifiée "sauf dans les cas où la Constitution en dispose autrement". [26]
Le Conseil des ministres exerce, lui aussi, plusieurs fonctions et peut revêtir plusieurs "costumes" institutionnels. Il a d’une part une fonction législative et budgétaire (conjointement avec le Parlement européen), et d’autre part des fonctions de "définition des politiques et de coordination...". [27]
Lorsqu’il agit en qualité de "Conseil des affaires générales", il prépare les réunions du Conseil européen et en assure le suivi (avec la Commission). [28]
Lorsqu’il agit en qualité de législateur, il se prononce (en règle générale, conjointement avec le Parlement européen) sur les lois ou les lois-cadres européennes.
Lorsqu’il se réunit en qualité de Conseil des affaires étrangères, il "élabore les politiques extérieures de l’Union selon les lignes stratégiques fixées par le Conseil européen et assure la cohérence de l’action de l’Union". [29] Le Conseil des Affaires étrangères est présidé par le Ministre européen des Affaires étrangères qui, en outre, participe aux travaux du Conseil européen et est vice-président de la Commission. Dans cette fonction, le Conseil n’a pas, d’un point de vue formel, de compétence législative, puisque, dans le domaine de la PESC, tous les actes juridiques prennent la forme de décisions européennes (définies dans la Constitution comme "actes juridiques non-législatifs" à caractère obligatoire, mais adoptées sans participation du Parlement).
Le Conseil des ministres peut, ensuite, se réunir dans d’autres formations, sur la base d’une décision à cet effet, adoptée à la majorité qualifiée par le Conseil européen. [30]
A noter aussi que, si les délibérations du Conseil sur les actes législatifs sont publiques, ses délibérations sur les actes dits "non législatifs" ne le sont pas. [31]
Il est évident que cette "architecture" complexe et embrouillée du Conseil des ministres ne peut bénéficier ni à la transparence des décisions, ni à la sécurité du droit.
Le Parlement européen
Le Parlement européen est, certes, une assemblée élue directement par les citoyens des Etats membres de l’Union, mais qui ne mérite pas la qualification de "parlement", puisqu’il ne détient pas, à lui seul, le pouvoir législatif, qu’il n’a pas de droit d’initiative législative (droit pourtant garanti par toutes les Constitutions nationales), et qu’il ne désigne pas de gouvernement. Enfin, le Parlement européen peut bien sûr rejeter en bloc une proposition budgétaire de la Commission, mais il ne peut ni proposer, ni imposer des amendements.
Nombre de commentaires suggèrent que le projet de Constitution accorde un renforcement de pouvoir considérable pour le Parlement. Il est vrai que la participation du Parlement aux procédures dites "procédures législatives ordinaires" [32] est étendue à de nouveaux domaines. Cela dit, l’influence réelle du Parlement dans le cadre de cette procédure législative risque de rester tout à fait limitée. Le Conseil des ministres et la Commission dominent largement la prise de décision. En effet, pour bloquer ou amender une proposition législative de la Commission approuvée par le Conseil de ministres, il ne suffit pas que le Parlement se prononce avec une majorité simple des votes exprimés (la procédure d’usage dans tous les Etats démocratiques). Est requise une majorité de tous les membres qui composent le Parlement. De telles majorités sont difficiles à obtenir dans cette énorme assemblée (736 membres), paralysée autant par son hétérogénéité linguistique, politique et culturelle que par ses déplacements frénétiques entre Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg.
En outre, dans de nombreux domaines politiques, la Constitution prescrit des procédures législatives spéciales qui limitent encore le rôle du Parlement européen. Dans certains cas, le Conseil des ministres décide seul, soit après approbation du Parlement (à la majorité simple, cette fois-ci !), soit après avoir "consulté" le Parlement.
Dans le domaine de l’environnement, par exemple, la procédure législative ordinaire est de règle. Or, il existe une dérogation importante : les lois ou lois-cadres sont adoptées par le seul Conseil des Ministres (après "consultation" du Parlement), entre autres quand elles portent sur "les mesures affectant sensiblement le choix d’un Etat membre entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique." [33]
La Banque Centrale Européenne (BCE)
L’ "objectif principal" pour la BCE est de "maintenir la stabilité des prix". [34] "Elle est indépendante dans l’exercice de ses pouvoirs et dans la gestion de ses finances". Les institutions et organes de l’Union, ainsi que les gouvernements des États membres "respectent cette indépendance". [35] Cela revient à une interdiction de tout contrôle politique de la BCE.
La Cour de Justice (CJ)
La CJ "assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application de la Constitution". [36]
Les juges et les avocats généraux sont nommés "d’un commun accord" par "les gouvernements des Etats membres" et non pas par le Conseil européen.
La conclusion à tirer de ce bref aperçu des institutions et de leur interaction est bien que le projet de Constitution est très loin de satisfaire l’exigence fondamentale d’une séparation des pouvoirs et d’un contrôle réciproque entre les institutions - ce qu’aux Etats-Unis on appelle les "checks and balances".
L’ "association" des parlements nationaux à la politique de l’Union
Le projet de Constitution propose nombre de dispositions qui, à première vue, semblent renforcer le rôle des parlements nationaux dans la politique de l’Union. Une lecture plus approfondie des dispositions concernées nous en fait douter.
Dans un document préparatoire issu de la Présidence de la Convention [37], un commentaire portant sur le rôle des parlements nationaux précise que : "dans le système actuel, les parlements nationaux participent à l’adoption des normes applicables notamment par l’intermédiaire de la ratification nationale des conventions. Cet instrument juridique étant amené à ne plus figurer dans la Constitution, le groupe a estimé que les Parlements nationaux devraient continuer à jouer un rôle important". Pourtant, à la lecture du projet de Constitution, on se demande comment.
Les documents issus des travaux préparatoires de la Convention font largement mention de "l’association", (involvement en anglais, Einbindung en allemand) des parlements nationaux à la politique de l’Union. Le flou du terme choisi n’est peut-être pas innocent. Ce qui le distingue, c’est qu’il n’établit aucun droit de co-décision des Parlements nationaux, ni aux procédures législatives, ni au contrôle des institutions et organes de l’Union. Au lieu de cela on propose aux parlements nationaux un vaste catalogue d’activités dont on a du mal à saisir l’importance : "débats de fond aux choix qui devront être examinés par le Conseil européen", "tenir périodiquement des conférences interparlementaires", "recourir au mécanisme d’alerte en matière de subsidiarité", "association au mécanisme d’évaluation mutuelle" et à "l’examen des rapports annuels sur les activités d’Europol", etc. [38]
Le rôle des parlements nationaux est établi dans un protocole attaché au traité constitutionnel. [39] Dans ce texte, les "Hautes parties contractantes" commencent par "rappeler" le fait, en effet essentiel, que " la manière dont les parlements nationaux exercent leur contrôle sur leur gouvernement pour ce qui touche aux activités de l’Union relève de l’organisation et de la pratique constitutionnelles propres à chaque État membre (...)". Autrement dit, les gouvernements des Etats membres de l’Union renvoient au niveau national la responsabilité pour le niveau réel de participation des parlements nationaux aux décisions européennes. En conséquence, le protocole vise seulement à "encourager une participation accrue des parlements nationaux aux activités de l’Union européenne" et à
"renforcer leur capacité à exprimer leur point de vue sur les projets d’actes législatifs européens ainsi que sur d’autres questions qui peuvent présenter pour eux un intérêt particulier".
Les parlements nationaux se voient donc généreusement accordés le "droit" d’exprimer leur point de vue, mais personne n’aura à en tenir compte. Une Conférence interparlementaire pourra, il est vrai, "soumettre toute contribution" aux institutions de l’Union. Elle pourra aussi "organiser des conférences inter-parlementaires sur des thèmes particuliers, notamment pour débattre des questions de la politique étrangère et de sécurité commune et de la politique de sécurité et de défense commune" [40]. En bref, les parlements nationaux auront le droit de discuter et de proposer, mais pas de décider.
De même, la soi-disant "association" des parlements nationaux au contrôle de l’application des fameux principes de subsidiarité et de proportionnalité ne comporte aucun droit de co-décision. La teneur du "Protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité" ne permet qu’une conclusion : même si une majorité des parlements nationaux s’oppose à une proposition de la Commission, celle-ci n’est pas obligée de retirer la proposition concernée.
Tout cela fait penser à un programme d’activités thérapeutiques pour des parlementaires nationaux dont on n’a plus vraiment besoin, selon la devise : tant qu’on occupe les parlements avec beaucoup de paperasses, de conférences et de voyages, les experts des organes exécutifs européens pourront, en toute sérénité, se vouer au véritable travail de gouvernance.
Après les "embedded journalists" de la guerre de l’Irak, nous propose-t-on maintenant les "embedded parliaments" ?
Il s’agit d’être très conscient du fait que, si le projet constitutionnel est adopté dans sa forme actuelle, le droit de co-décision des parlements nationaux dans les procédures législatives européennes pourtant de plus en plus importantes pour l’ensemble des Etats membres risque de disparaître complètement - à moins que soient introduites dans les constitutions nationales de tous les Etats membres des dispositions garantissant un contrôle rapproché et serré de l’action de leurs gouvernements au niveau de l’Union par les assemblées nationales élues.
Le labyrinthe législatif : les instruments juridiques et les procédures de décision de l’Union
A la lecture des 448 (!) articles du projet de Constitution on peut se demander s’il existe un seul expert du droit dans cet "espace de liberté, de sécurité, et de justice" que se veut l’Union européenne, capable de dire, sans consultation préalable détaillée du texte, dans quel cas telle procédure de décision, telles règles de majorité et tels actes juridiques sont applicables dans quel domaine politique précis. En effet, dans ce projet de Constitution, les exceptions à la règle et les dérogations semblent constituer la seule règle générale. C’est un constat grave pour tout texte juridique, mais d’autant plus pour une Constitution, un texte de loi fondamentale, où les exigences quant à la compréhensibilité et la clarté systématique devraient être particulièrement élevées.
La complexité et le manque de structure systématique du projet de Constitution s’expliquent en partie par le caractère hybride et inachevé de la construction même de l’Union. Mandatée par le Conseil européen, la Convention a conçu un projet de loi fondamentale pour un super-Etat aux ambitions de super-puissance qui, pourtant, n’existe qu’à l’état de projet, projet d’ailleurs très contesté dans beaucoup de pays membres de l’Union. Considérant cela, on peut se demander, si "l’ambiguïté constructive" et la complexité du texte constitutionnel ne sont pas voulues par ses auteurs. S’agirait-il d’une tentative de bureaucrates "experts" de dissimuler pour le large public l’objectif visé par le projet, à savoir d’inscrire de façon irréversible dans le marbre de la Constitution le développement de l’Union vers un Etat supra-national au pouvoir de décision de plus en plus centralisé ?
Une des raisons de la complexité de la construction européenne réside dans ce que les compétences de l’Union diffèrent d’un domaine politique à l’autre [41] :
l’Union dispose
d’une "compétence exclusive" dans les domaines suivants : les règles de concurrence, la politique de l’euro, la politique commerciale, l’Union douanière et la conclusion de certains accords internationaux [42] ;
d’une "compétence partagée" (avec les Etats membres) dans des domaines tels que "l’espace de liberté, de sécurité et de justice", le marché intérieur, l’agriculture, les transports et l’environnement. (Selon le principe de la compétence partagée, les Etats membres ne sont autorisés à légiférer que si ou quand l’Union ne le fait pas) [43] ;
d’une compétence en vue de promouvoir et d’assurer la coordination des politiques économiques et de l’emploi des Etats membres, mais sans pouvoir législatif [44] ;
d’une compétence en matière de PESC couvrant " tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune", [45] mais sans pouvoir législatif (toutes les règles obligatoires sont adoptées sous la forme de "décisions européennes" du Conseil des ministres) ;
d’une compétence pour mener "des actions d’appui, de coordination ou de complément" dans les domaines à "finalité européenne" suivants : la protection et l’amélioration de la santé humaine, l’industrie, la culture, le tourisme, l’éducation, la jeunesse, le sport et la formation professionnelle, la protection civile et la coopération administrative. [46]
Les actes juridiques de l’Union européenne
Un des principaux objectifs déclarés de la Présidence de la Convention était la réduction du nombre d’instruments législatifs et la simplification de la structure systématique du droit européen. Cet objectif a été manqué de façon flagrante. Au lieu d’amener plus de clarté et de simplicité, le projet de Constitution ne fait qu’élever le chaos normatif existant des traités communautaires au rang de droit constitutionnel et, en outre, introduit de nouveaux instruments juridiques à caractère plus qu’ambigu.
Ainsi est introduite une distinction peu évidente entre deux types d’"actes juridiques", c. à. d. normatifs :
les "actes législatifs" (dans la version allemande : "actes de droit à caractère de loi"), et
les "actes non législatifs" (dans la version allemande : "actes de droit sans caractère de loi"). [47]
La subtilité de cette distinction réside dans le fait que, selon la définition proposée dans le projet de Constitution, autant les actes législatifs que les actes dits non législatifs peuvent être obligatoires et directement et généralement applicables. Pourtant, tout acte juridique normatif définissant des obligations ou des interdictions pour les citoyens, une autorité ou un Etat membre ne devrait-il pas être considéré comme un acte ayant caractère de loi ?
L’astuce inhérente aux actes dits "non législatifs" consiste en ce qu’ils peuvent être édictés par le Conseil des ministres, la Commission et la BCE, parfois en dehors de toute procédure législative qui impliquerait une certaine participation du Parlement. Ainsi, une tendance dangereuse vers une augmentation du pouvoir législatif d’institutions à caractère exécutif au dépens des parlements est encore renforcée.
L’article I-33 définit les différents actes juridiques de l’Union.
Les "lois européennes" et les "lois-cadres européennes" sont définies comme des "actes législatifs".
La loi européenne est "un acte législatif de portée générale. Elle est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout Etat membre".
La loi-cadre européenne est "un acte législatif qui lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant au choix de la forme et des moyens".
En règle générale, les lois et les lois-cadres (européennes) doivent être adoptées dans le cadre de la procédure législative dite "ordinaire", c’est à dire avec la participation (problématique toutefois) du Parlement.
Les "règlements européens" et les "décisions européennes", par contre, sont définis comme "actes non législatifs", donc considérés comme n’ayant pas caractère de loi.
Le règlement est "un acte non législatif de portée générale pour la mise en oeuvre des
actes législatifs et de certaines dispositions spécifiques de la Constitution ". Il peut être obligatoire et directement applicable.
La décision enfin est "un acte non législatif obligatoire dans tous ses éléments".
Le risque est évident que le pouvoir exécutif (La Commission, le Conseil, et les gouvernements nationaux) utilise l’outil législatif souple que sont les instruments de "règlement" et de "décision" de manière abusive.
Pour compliquer encore les choses, le projet constitutionnel distingue ensuite entre deux sous-catégories d’actes - les "règlements européens délégués" [48] et les "actes d’exécution" [49], ces derniers pouvant prendre la forme de "règlements" ou de "décisions".
L’instrument du règlement délégué permet ni plus ni moins qu’une délégation par voie de loi ou loi-cadre de pouvoir législatif à la Commission. Par voie de règlement délégué, la Commission peut adopter des règlements "qui complètent ou modifient" certains éléments "non essentiels" d’un acte législatif.
Les représentants des appareils exécutifs et bureaucratiques, autant dans les Etats membres qu’au niveau de l’Union, ont depuis toujours eu comme habitude de déplorer la lenteur qui caractérise les procédures de décision parlementaires et démocratiques. On peut constater dans ces milieux un certain penchant à considérer les parlements comme des rassemblements de chicaneurs, aussi activistes qu’incompétents, dont il est recommandé de limiter la marge de manoeuvre dans la mesure du possible.
Une façon éprouvée de ce faire est de favoriser des projets de loi "flexibles" au contenu vague et rudimentaire, des lois qui ressemblent plutôt à des "coquilles" de loi dont les fins et la portée réels seront définies plus tard par des règlements, des ordonnances ou autres actes dits "exécutifs", édictés par des organes exécutifs sans participation du parlement.
La convention Europol (qui aurait pris la forme d’une loi européenne selon les règles établis par le projet de Constitution) est un exemple typique d’une telle "loi coquille". Des compétences très importantes et controversées concernant le stockage, le traitement et la communication de données personnelles hautement sensibles (entre autres sur l’état de santé, la vie sexuelle, les opinions politiques et religieuses, la "race"), y compris de personnes non suspectées d’un délit, sont définies non pas dans le texte de la convention, mais dans un acte exécutif sur la mise en place et la gestion des fichiers électroniques aux fins d’analyses opérationnelles de milieux criminels. De plus, une disposition dans le texte de la Convention permet au Conseil des ministres d’élargir la compétence d’Europol à tout une liste de "types de crimes" très vaguement définis, ainsi que d’autoriser Europol à conclure des accords de coopération avec des pays tiers - tout cela sans l’accord préalable du Parlement.
La philosophie qui caractérise l’ensemble du texte de la Constitution laisse supposer que les normes de loi les plus importantes par rapport aux objectifs de législation et aux droits et obligations des citoyens se trouveront de plus en plus souvent dans des actes à caractère dit "non législatif", c’est à dire des actes adoptés sans participation du Parlement.
Les travaux préparatoires de la Convention portent à croire que c’est précisément ce à quoi la Présidence de la Convention voulait arriver. Dans un document, [50] il est recommandé "l’introduction de la nouvelle catégorie d’actes délégués pour donner une réponse aux critiques souvent entendues concernant l’excès de détail de la législation communautaire et la rigidité et lenteur des procédures... cet excès de détails des actes a été considéré peu approprié, en particulier dans certains domaines économiques où la capacité d’adaptation à un environnement changeant est très importante."
Le but visé par la création des actes délégués est, selon le même document, "d’encourager le législateur à se concentrer sur les aspects fondamentaux en évitant que la loi et la loi-cadre soient trop détaillées". [51] Cela ne ressemble-t-il pas beaucoup à une demande pressante au législateur de se limiter à l’adoption de "lois coquilles" et de laisser les "détails" aux soins des "experts" des organes exécutifs ? On en arrive à des lois dont le contenu peut être adapté et développé rapidement et en toute "souplesse" sans l’"association" du Parlement.
A noter que, au-delà des cas déjà mentionnés, le Conseil et la Commission peuvent aussi faire recours aux actes non législatifs que sont le règlement et la décision dans des cas spécifiquement prévus dans la Constitution. [52] Cette disposition risque d’avoir des implications plus importantes qu’on ne peut penser aujourd’hui.
En effet la Constitution prévoit la mise en place de toute une série de comités d’experts-fonctionnaires dont la tâche est d’assister le Conseil européen et les diverses formations du Conseil des ministres. Il s’agit notamment des organes suivants :
Le puissant "Comité des représentants permanents" (COREPER) [53] qui, dans la pratique, dirige les travaux du Conseil et prépare ses rencontres. (En règle générale, les experts-fonctionnaires du COREPER maîtrisent bien mieux les ordres du jour et les sujets de décision que les membres du Conseil, les ministres des Etats membres qui se rencontrent rarement et dont l’intérêt politique tend à porter sur leur politique nationale plutôt que sur celle de l’Union).
Un "Comité permanent" est institué au sein du Conseil des ministres afin de renforcer et de promouvoir "la coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure". [54] Ce Comité qui remplace l’actuel et très influent "Comité de l’article 36" pourrait être considéré comme le noyau d’un futur ministère européen de la Justice et des Affaires intérieures. (Dans les travaux préparatoires les avantages d’un tel comité sont décrits en termes presque euphoriques puisqu’il permettra "...pour la première fois de couvrir l’ensemble des autorités compétentes en matière de ’sécurité intérieure’". C’est-à-dire que loin de se limiter aux "forces de police", ces "autorités compétentes" incluront "celles compétentes dans le domaine des douanes ou de la sécurité civile." Un développement souhaité, selon le document par "tous les praticiens qui soulignent que la coopération doit couvrir un champ plus vaste que les seuls aspects policiers afin d’assurer la sécurité intérieure. Les conséquences des attentats du 11 septembre ont montré l’importance d’une mobilisation de tous les services et d’une coopération transversale". [55] Ce qui s’annonce ici pourrait bien s’avérer être la création d’une sorte de super-autorité européenne du sécuritaire mettant fin à la séparation des rôles et fonctions spécifiques des services de police, de douane, de renseignements, et de la défense, séparation pourtant essentielle pour tout Etat de droit démocratique.)
Un "Comité politique et de sécurité" [56] : il "suit la situation internationale dans les domaines relevant de la politique étrangère et de sécurité commune et contribue à la définition des politiques en émettant des avis à l’intention du Conseil, à la demande de celui-ci, du ministre des affaires étrangères de l’Union, ou de sa propre initiative. Il surveille également la mise en oeuvre des politiques convenues, sans préjudice des attributions du ministre des affaires étrangères de l’Union."
Un "Service européen pour l’action extérieure". Ce service assiste le Ministre européen des Affaires étrangères. Il travaille en collaboration avec les services diplomatiques des Etats membres. [57] Ces deux derniers organes pourraient former le noyau d’un futur ministère européen de Affaires étrangères.
Un "Comité économique et financier" [58]. Il doit, entre autres, promouvoir la coordination des politiques des Etats membres en vue du bon fonctionnement du marché intérieur, formuler des avis à l’adresse du Conseil des ministres et préparer les réunions de ce dernier. Le futur ministère européen de l’Economie et des Finances ?
Une " l’Agence européenne de défense" [59] pour le développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement. Le futur ministère européen de la Défense ? [60]
Il faut partir du principe que tous ces services, comités et agences formés d’experts-fonctionnaires qui ont pour tâche d’assister les différentes formations du Conseil des ministres exerceront une influence considérable sur la prise de décision au sein du Conseil. C’est dans ces comités que l’on trouvera les vrais experts - ceux qui se rencontrent au quotidien, savent plus et font plus que les ministres, mais sans la responsabilité politique de ces derniers.
Néanmoins, étant donné que tous ces organes sont prévus par la Constitution, ni leur création ni leur activité ne sera basée sur des lois ou lois-cadres adoptées en procédure législative avec la participation du Parlement, mais sur de simples "décisions" du Conseil (actes non législatifs). En effet, la Constitution prévoit que le "Conseil adopte des décisions européennes fixant le statut des comités prévus par la Constitution. Il statue à la majorité simple, après consultation de la Commission." [61] Le Parlement ne sera ni informé, ni consulté.
Ce n’est pas tout, puisque l’article III-263 prévoit que dans le domaine de la coopération judiciaire et policière le "Conseil adopte des règlements européens pour assurer une coopération administrative entre les services compétents des Etats membres" et "entre ces services et la Commission".
Le Conseil a d’ailleurs déjà recouru à cette procédure qui permet d’éviter toute co-décision du Parlement, par exemple pour l’adoption de mesures visant la mise en place du nouveau Système d’Information Schengen (SIS). [62] Ceci a suscité le commentaire suivant de la part du magazine britannique Statewatch : "Il y a le risque que ces compétences de ’coopération administrative’ soient utilisées de sorte que ni les parlements nationaux ni le Parlement européen aient le moindre moyen de contrôle". [63]
Un commentaire issu des travaux préparatoires de la Convention indique que c’était précisément ce que voulaient les auteurs du projet de Constitution : "Bien entendu, si des actes adoptés directement sur la base de la Constitution étaient classés ’non législatifs’, la codécision serait exclue en tout état de cause". [64]
"Flexibilité" à sens unique
Le projet de Constitution est "souple" dans la mesure où il permet systématiquement l’introduction de nouvelles règles aux fins de plus d’intégration et plus de décisions prises au niveau supra-national sans amendement nécessaire de la Constitution. En même temps, elle est ultra-rigide en rendant quasiment impossible toute initiative politique d’un ou plusieurs Etats membres visant autre chose - ce qui est qualifié d’ "un recul dans le droit de l’Union". [65] Il s’agit donc bien d’une flexibilité à sens unique. Pour un ou plusieurs Etats membres qui s’opposeraient à l’accroissement de l’intégration et de la centralisation, la Constitution n’offre plus qu’une alternative (plutôt théorique) - celle du retrait volontaire de l’Union. [66]
Les dispositions stipulant une flexibilité à sens unique sont nombreuses. Par exemple, la "clause de flexibilité" [67] permet d’attribuer, sur la base d’une décision unanime du Conseil des ministres sur proposition de la Commission et avec l’approbation du Parlement (à majorité simple, cette fois ci) des votes exprimés), de nouveaux pouvoirs d’action à l’Union sans amendement préalable de la Constitution.
Dans le domaine de la PESC, le "Conseil européen peut, à l’unanimité, adopter une décision européenne autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans les cas autres que ceux visés à la partie III". [68] Des règles semblables visant à l’élargissement graduel du vote à la majorité qualifiée sont établies pour d’autres domaines politiques. [69]
Or, davantage de votes à majorité qualifiée signifient intégration accélérée et influence réduite des petits Etat membres.
Un autre exemple de flexibilité à sens unique consiste en la possibilité pour des groupes d’Etats membres d’instaurer entre eux des relations privilégiées sous la forme de "coopérations renforcées". [70] Il faut toutefois que trois conditions préalables soient satisfaites :
la coopération renforcée a été autorisée par une décision à l’unanimité du Conseil des ministres ;
elle vise à "favoriser la réalisation des objectifs de l’Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d’intégration" ;
Les coopérations renforcées "ne peuvent porter atteinte ni au marché intérieur ni à la cohésion économique, sociale et territoriale. Elles ne peuvent constituer ni une entrave ni une discrimination aux échanges entre les États membres ni provoquer de distorsions de concurrence entre ceux-ci". [71] Ceci peut être interprété comme une interdiction de toute coopération renforcée aux fins de renforcer et de développer les services publics.
Les coopérations renforcées sont ouvertes à tous les Etat membres désirant y participer, mais ceux-ci doivent respecter les actes déjà adoptés antérieurement à leur adhésion. Cela signifie que les Etats membres qui initient une coopération renforcée décident de l’orientation de l’intégration visée.
L’"Espace de liberté, de sécurité et de justice" ( ELSJ)
Dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures (JAI), l’Union partage ses compétences avec les Etats membres. Le projet de Constitution vise à la création d’un "Espace de liberté, de sécurité et de justice" par trois types d’actions [72] :
par le "rapprochement" des législations nationales dans les domaines énumérés dans la Partie III de la Constitution ;
en favorisant "la confiance mutuelle entre les autorités compétentes" des Etats membres, en particulier sur la base de "la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires" ;
par "la coopération opérationnelle des autorités compétentes des Etats membres, y compris les services de police, les services de douanes et autres services spécialisés dans le domaine de la prévention et de la détection des infractions pénales" (Cette définition des "autorités compétentes" pourrait inclure les services secrets et de renseignement, ainsi que des services militaires).
La distinction faite entre ces trois types d’action est remarquable. Tout le monde peut être d’accord sur le fait qu’il faut des lois communes pour établir un espace de justice européen. Il est par contre difficile de comprendre ce que la "confiance mutuelle" entre les "autorités compétentes" peut avoir à faire dans un texte se voulant constitutionnel. N’est-il pas tout à fait révélateur de la façon de penser des auteurs du projet de Constitution que la confiance mutuelle qu’ils cherchent à favoriser se limite aux "autorités compétentes" ?
Pas un seul mot sur la nécessité, bien plus importante pour la légitimité du système judiciaire, de favoriser la confiance mutuelle entre les citoyens et les autorités compétentes.
On se demande surtout comment les "mesures" visant à favoriser cette fameuse confiance peuvent être mises en oeuvre sinon par un travail de législation avec la pleine participation du Parlement européen et des parlements nationaux. De vouloir favoriser la confiance mutuelle "en particulier sur la base de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires", relève d’une nonchalance étonnante tant que ces décisions judiciaires et extrajudiciaires ne reposent pas sur un système de droit européen unique et commun, mais sur une juridiction émanant de systèmes judiciaires et de droit nationaux toujours très différents d’un Etat membre à l’autre. Ce qu’on nous propose est de remplacer la sécurité et la prévisibilité du droit, l’égalité de tous devant la loi, par la "confiance mutuelle entre les autorités compétentes". Or dans toute société démocratique, la confiance mutuelle doit résulter de lois applicables à tous sous les mêmes conditions et adoptées dans le cadre de procédures législatives publiques et transparentes par des assemblées élues par tous les citoyens. La création d’un système de droit européen unique et commun ne peut être le "résultat" d’une confiance mutuelle entre des autorités, aussi "compétentes" soient-elles. Il en est, tout au contraire, une condition préalable (parmi beaucoup d’autres) pour que la confiance puisse s’établir.
Cela dit, reste à savoir si les citoyens des pays membres de l’Union souhaitent effectivement un tel espace européen judiciaire. Il est permis d’en douter. C’est d’ailleurs peut-être la principale raison pour laquelle, par exemple dans le domaine particulièrement sensible du droit pénal, la Constitution ne prévoit pas (explicitement du moins) une "harmonisation" des lois qui résulterait de la création d’un code pénal européen unique, mais un "rapprochement" des lois nationales. Or un tel rapprochement comporte le risque évident de lois et lois-cadres européennes basées sur des compromis et marquées par le flou diplomatique qui seront mises en oeuvre de façons différentes et arbitraires selon les pays membres, comme c’est d’ailleurs déjà le cas depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam.
La coopération en matière de droit pénal formel [73] est "fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres" dans des domaines nommés dans la Constitution. [74]
La coopération en matière de droit pénal matériel, c’est à dire la définition des délits punissables et des sanctions, vise au rapprochement des législations nationales dans une longue liste de "domaines de criminalité particulièrement grave". [75] Ces domaines comprennent des types de délit très vaguement définis tels que "le terrorisme" et "la criminalité organisée". La liste pourtant déjà très vaste de ces domaines peut encore être étendue sans amendement de la Constitution, sur la base d’une décision unanime du Conseil des ministres et de l’approbation du Parlement européen. (Encore un exemple de la flexibilité à sens unique de la Constitution).
En matière de droit pénal, toutes les lois et lois-cadres sont adoptées dans le cadre de la procédure législative ordinaire (co-décision du Parlement européen, mais pas de participation des parlements nationaux).
La coopération policière opérationnelle [76] est fondée sur des lois et lois-cadres adoptées dans le cadre d’une procédure législative spéciale. Le Conseil décide seul et à l’unanimité, après "consultation" du Parlement européen. [77] Ceci concerne, entre autres, les conditions et les limites dans lesquelles les "autorités compétentes" des Etats membres peuvent intervenir sur le territoire d’un autre Etat membre. [78]
La Politique étrangère et de sécurité commune (PESC)
Dans ce domaine [79] l’Union ne détient pas, d’un point de vue formel, de compétence législative. La "décision européenne" (acte juridique dit "non législatif" et donc adopté par le Conseil sans participation du Parlement européen) est le seul instrument autorisé.
Cela n’empêche pas que la compétence de l’Union couvre "tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune". [80]
Les Etats membres "appuient activement et sans réserve la politique étrangère et de sécurité
commune de l’Union dans un esprit de loyauté et de solidarité mutuelle et respectent l’action de l’Union dans ce domaine. Ils s’abstiennent de toute action contraire aux intérêts de l’Union ou susceptible de nuire à son efficacité." [81] Voilà encore un exemple d’"ambiguïté constructive" qui prête aux interprétations contradictoires.
La Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC)
La PSDC [82] "fait partie intégrante" de la PESC. Elle "assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires". L’Union "peut y avoir recours dans des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la Charte des Nations Unies". [83] A première vue, cette formulation à l’air assez innocente. Pourtant la teneur de cette disposition permet aussi le recours aux opérations militaires qui n’ont pas été approuvées par les Nations Unies, si et quand l’Union, de façon unilatérale, estime qu’elles sont en conformité avec les principes de la Charte des Nations Unies. [84]
De plus, des dispositions au contenu nettement plus problématique se trouvent, bien cachées, dans la troisième partie de la Constitution. En effet, l’article III-309.1 stipule que les missions visées à l’article I-41 peuvent, entre autres, aussi comprendre "les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits. Toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire."
Pourquoi cette définition des missions, pourtant lourde de conséquences, ne se trouve-t-elle pas dans l’article 41 de la première partie de la Constitution qui établit la PSDC ? Aurait-on délibérément caché les dispositions contestables dans la jungle impénétrable des dispositions de la troisième partie que peu de citoyens trouveront le courage et le temps de lire, pour ne pas sans nécessité troubler le calme de citoyens considérés comme trop enclins au pacifisme ?
Les Etats membres "s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires". [85] Existe-t-il une seule Constitution nationale qui contient ce qui peut être interprété comme une obligation permanente de réarmement ?
Dans le domaine de la PSDC le projet de Constitution autorise une forme particulière de coopération renforcée. Il s’agit de la coopération dite "structurée" entre deux ou plusieurs Etats membres qui "remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes, établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l’Union". [86]
Ce qui distingue cette coopération structurée entre un groupe d’Etats membres de la coopération renforcée ordinaire, c’est qu’elle n’est pas soumise aux mêmes conditions (assez restrictives) que la coopération renforcée. Ainsi, pour la coopération structurée n’est requise ni la participation d’au moins un tiers des Etats membres (une telle coopération peut se limiter à deux Etats membres) ni une décision unanime préalable du Conseil (Il suffit d’une décision à la majorité qualifiée). [87]
Le projet de Constitution de la Convention prévoyait encore un troisième (!) type de coopération renforcée - celui de la "coopération plus étroite en matière de défense mutuelle". [88] Elle permettait explicitement à deux ou plusieurs Etats membres de l’Union de créer ce qu’on peut qualifier d’alliances militaires sans l’autorisation des autres Etats membres de l’Union - autrement dit, de créer des "unions dans l’Union". Cette disposition ne figure plus dans le projet de Constitution soumis à la ratification des Etats membres. Or, si la Constitution ne prévoit plus explicitement la possibilité de telles coopérations, elle ne les interdit pas non plus. Rien ne semble donc empêcher deux ou plusieurs Etats membres de former entre eux des alliances militaires.
Le Conseil des ministres "peut confier la réalisation d’une mission, dans le cadre de l’Union, à un groupe d’Etats membres afin de préserver les valeurs de l’Union et de servir ses intérêts". [89] En même temps rien n’empêche un groupe d’Etats membres de réaliser ensemble, à leur propre compte ou, par exemple, dans le cadre de l’OTAN, des opérations militaires sans l’appui de l’Union.
En guise de comparaison, peut-on imaginer le Texas et la Californie se voir confier une opération militaire par les Etats Unis d’Amérique, où même mener une telle opération à leur propre compte dans le cadre d’une coopération "structurée" ou "plus étroite" ? Pourtant, ce qui est impensable pour les Etats-Unis est une possibilité prévue par la Constitution de l’Union européenne.
Enfin la "clause de solidarité" [90] doit être considérée comme le lien entre la politique étrangère, de sécurité et de défense commune d’une part et la coopération sécuritaire dans le domaine judiciaire et policier de l’autre.
Si un Etat membre est l’objet d’une attaque terroriste ou d’une catastrophe naturelle ou d’origine humaine, l’Union "mobilise tous les instruments à sa disposition, y compris les moyens militaires mis à sa disposition par les Etats membres". [91] De telles opérations solidaires peuvent aussi être conduites à titre purement préventif - pour "prévenir la menace terroriste sur le territoire des Etats membres". [92]
Les Etats membres se coordonnent au sein du Conseil des ministres assisté par deux comités de fonctionnaires-experts - le fameux "Comité permanent" pour la sécurité intérieure établi dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures, et le "Comité politique et de sécurité" établi dans le domaine de la Politique étrangère et de sécurité commune. [93] Serait-ce encore un indice d’un développement en cours vers une fusion des politiques de sécurité intérieure et de la défense, une fusion des appareils militaires et policiers ?
Résumé et conclusions
Le projet de Constitution, nous l’avons souligné, est un texte juridique extrêmement complexe traitant de domaines politiques très différents, aux procédures de décision variables. De plus, la teneur de nombreuses dispositions prête à l’interprétation. On peut souvent se demander dans quelle mesure certaines dispositions engagent vraiment les Etats membres, et dans quelle mesure telle disposition peut interagir avec telle autre. Vraisemblablement, se seront les rapports de force politiques plutôt que l’exégèse juridique qui décideront de cette question. Les conclusions qui suivent sont, par conséquent, plutôt des hypothèses de travail qui, je l’espère, peuvent contribuer à un véritable débat public européen.
Quels seraient les effets de l’entrée en vigueur du projet de Constitution ?
Une Constitution ne doit pas entériner des choix politiques et économiques opérationnels. Elle doit se limiter à définir les rôles et les pouvoirs des institutions, les droits fondamentaux des citoyens, et les règles régissant les procédures de décision. Elle doit donc établir le cadre institutionnel et normatif qui, à tout moment, permet le choix démocratique entre plusieurs orientations politiques et économiques possibles. Le projet de Constitution de l’Union vise l’inverse. Il rend quasiment impossible les choix futurs sur les orientations politiques et économiques. Il engage les pays membres de l’Union sur une voie à sens unique. La Constitution favorise systématiquement toute évolution vers plus de centralisme et vers un Etat supra-national, elle engage tous les Etats membres à miser inconditionnellement sur un régime économique néo-libéral basé sur la "concurrence libre et non faussée". En même temps elle interdit avec toute la force du droit constitutionnel tout développement différent, par exemple le maintien ou le renforcement du secteur public. Aucune Constitution nationale ne stipule une telle interdiction. Cette orientation du projet de Constitution est particulièrement inquiétante vu la quasi-impossibilité de l’amender.
Le principe de la séparation des pouvoirs est sapé. Le transfert déjà en cours de pouvoir aux dépens des assemblées législatives élues et au profit des gouvernements et autres organes exécutifs risque de s’accélérer et d’obtenir cette apparence de légitimité que donne une "Constitution".
Le pouvoir d’une eurocratie supra-nationale aux penchants centralistes et élitistes (organes exécutifs composés de fonctionnaires) augmente en raison du fait que le Conseil des ministres, sans la moindre participation des parlements, peut mettre en place des "services", "comités" et "agences" qui ressemblent fort à des ministères européens. L’activité de ces organes n’est pas soumise au moindre contrôle politique parlementaire et risque de se distinguer par l’opacité et le secret typiques de la diplomatie internationale.
La transparence des procédures de décision, et la sécurité et fiabilité du droit est minée par un labyrinthe de procédures de décision et de législation variables d’un domaine politique à l’autre, une multitude de clauses d’exception et de dispositions au contenu flou, contradictoire et "flexible" qui prêtent à l’arbitraire.
Le recours de plus en plus fréquent aux décisions majoritaires implique un transfert de pouvoir vers l’Union, aux dépens des Etats membres. Il risque aussi de renforcer le rôle dominant des grands Etats membres aux dépens des petits. Ces derniers risquent de découvrir qu’il sera difficile de mener une politique qui tient compte de leurs priorités et particularités.
Le développement progressif de l’Union vers une super-puissance dotée d’une défense commune avec l’ambition et la capacité de mener des opérations militaires dans le monde entier, sans l’autorisation des Nations unies, est stipulé dans la Constitution.
La Constitution laisse aux Etats membres le choix d’agir en tant qu’unité, avec l’OTAN ou pas, avec la bénédiction des Nations unies ou pas, avec la participation de tous ses Etats membres où avec celles de quelques-uns seulement, avec l’approbation de tous ses membres ou pas. Ceci comporte le risque évident que la communauté internationale perçoive l’Union européenne comme un acteur international très imprévisible - une union d’Etats aux contours et formes variables à discrétion, selon les intérêts politiques du jour. Or, l’imprévisibilité ne bénéficie jamais à la stabilité et la sécurité internationale.
L’Union qui se dessine à travers le projet de Constitution est une structure hybride : un regroupement "para-étatique", mais pas vraiment un Etat, un traité constitutionnel, mais pas vraiment une Constitution, un espace judiciaire et sécuritaire commun, mais pas de système de droit véritablement commun applicable de façon égale sur l’ensemble du territoire commun, une politique étrangère et de sécurité commune, mais avec la possibilité pour des Etats membres particuliers et des groupes d’Etats membres de continuer à mener leur propre politique, sous forme d’"unions dans l’Union" ou en coopération avec des Etats non membres de l’Union.
Les adeptes du projet de Constitution peuvent objecter que l’approfondissement du "déficit démocratique" qui caractérise la construction européenne peut être constaté également au niveau de tous les Etats européens, qu’ils soient membres ou pas de l’Union. En effet, partout, nous sommes confrontés à un transfert de pouvoirs plus ou moins sournois aux dépens des parlements élus. La démocratie représentative fonctionne mal, partout la séparation des pouvoirs est de plus en plus bafouée, partout le principe de la "libre" concurrence dans un marché "libre" restreint de plus en plus les choix politiques fondés sur des décisions démocratiques. Or, tout cela ne justifie pas l’adoption d’un projet de Constitution européen qui ne peut qu’accélérer et renforcer ces tendances et qui, en plus, leur donne une apparence de légitimité constitutionnelle. Un transfert de souveraineté des Etats nations vers l’Etat supranational qu’est en train de devenir l’Union européenne ne peut se justifier que s’il en résulte un "bénéfice net démocratique" et si il contribue à réduire le risque de conflits, non seulement à l’intérieur de l’Union, mais surtout au niveau mondial.
7.2.2005
Nicholas Busch
Contact : Blomstervägen 7
S-79133 Falun
Suède
nbusch@telia.com
tel : 0046-23 799940