Argumentaire Joumard : "Il faut lire le projet de constitution européenne"

, par attac92

Il faut lire le projet de constitution européenne

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11 avril 2005

Un projet de traité constitutionnel européen a été adopté à Bruxelles le 18 juin 2004 par les chefs d’État et de gouvernement, puis signé à Rome le 29 octobre 2004. Il sera soumis à l’approbation des Français le 29 mai 2005 par voie de référendum. Ils devront le ratifier ou le rejeter à la majorité.
Afin que chacun puisse se déterminer en connaissance de cause, se forger par lui-même son opinion, une analyse rigoureuse s’impose. Or comme dans tout débat, il peut y avoir une part de facilités pour entraîner la conviction, de demi vérités et de mensonges par omission. Certains ne répugnent pas à des manipulations du texte en lui faisant dire ce qu’il ne dit pas et en taisant ce qu’il dit. Pour que le lecteur puisse facilement vérifier analyses et arguments, ils doivent être précis et faire référence aux articles du projet de constitution. C’est ce que nous tentons de faire ici en nous appuyant sur le texte du projet, rien que le texte, mais tout le texte. Car « le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas [y] faire écho » (Jean Jaurès).
On ne peut analyser un tel projet sans définir tout d’abord quelle Europe nous voulons, quel but nous poursuivons, ou non, dans la construction européenne. Les souverainistes, qui refusent de transférer compétences et pouvoirs de l’État national à l’Union, les néo-libéraux ayant pour objet premier la liberté des affaires, ou les citoyens européens qui appellent de leurs voeux un transfert de compétences et de pouvoir des États nationaux à l’Union, ne peuvent à l’évidence avoir la même analyse du projet de constitution.
Le deuxième aspect de l’analyse vise à décrire l’état actuel de la construction européenne. C’est donc en fonction de l’objectif poursuivi et de la situation actuelle que nous pouvons analyser le projet de constitution ; il s’agit d’apprécier ce projet en tenant compte de l’état actuel de l’Union et de la conception qu’on a de la future Europe politique.
La troisième question est de savoir s’il s’agit bien d’un projet de constitution ou d’un projet de traité international.
Le quatrième élément d’analyse est purement formel : comment se présente le texte, est-il facile à comprendre par les citoyens, clair ou touffu, complexe ou redondant ?
Nous décrirons ensuite les évolutions du projet par rapport à l’état actuel de la construction européenne, qu’il s’agisse d’avancées ou de reculs, en regard de l’objectif que nous poursuivons pour l’Union. Nous analyserons tout particulièrement s’il va dans le sens d’une démocratie européenne, dans la ligne de l’histoire et du patrimoine des États de droit. Puis nous détaillerons la signification d’une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».

1. L’Union a une histoire, celle de l’espoir de créer les États Unis d’Europe

À la fin de la seconde guerre mondiale, nombreux sont ceux qui ont bien compris combien la juxtaposition en Europe de nations indépendantes était dangereuse et source de conflits meurtriers. L’Europe politique a donc une histoire dont nous héritons, histoire vieille de plus de 50 ans. Les « pères » de l’Europe que furent Robert Schuman, Jean Monet, Alcide de Gasperi ou Konrad Adenauer tentent de réaliser les États Unis d’Europe par étapes successives, en commençant par des « réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait ». Dans l’esprit des promoteurs de ces ententes spécialisées, un certain nombre de communautés devaient être mises en place par étapes successives, faisant toutes une certaine place à la notion de supranationalité. Ensuite, une Communauté politique, comportant parlement et gouvernement européens, devait venir coordonner l’ensemble des hautes autorités spécialisées. Le parlement européen devait être composé de deux assemblées : l’une élue au suffrage universel par les peuples intéressés, l’autre désignée par les divers parlements nationaux.
La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), éléments majeurs de l’économie de l’époque, entre en vigueur en 1952, mais la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, la Communauté européenne des transports en 1953, la Communauté européenne de l’agriculture en 1954, et celle de la santé échouent.
Devant les difficultés que rencontre la réalisation de leur projet, les partisans de l’unification européenne se résignent à en ralentir le rythme. La Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique sont finalement établies par le traité de Rome en 1957 et entrent en vigueur en 1958, associant 6 pays fondateurs : la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. La Grande-Bretagne, l’Irlande et le Danemark les rejoignent en 1973, la Grèce en 1981, puis l’Espagne et le Portugal, la Suède, la Finlande et l’Autriche, et finalement 10 autres pays issus essentiellement de l’Europe de l’Est en 2004. Les élargissements successifs avaient été assez lents puisqu’il nous avait fallu successivement quinze ans, puis douze ans, puis neuf ans, pour intégrer à chaque fois trois nouveaux membres ; nous avons brutalement accéléré la cadence en intégrant les dix derniers membres au bout de neuf ans.
L’Europe s’est faite par débordements progressifs (du charbon et de l’acier à l’agriculture, puis aux transports, à l’aménagement du territoire et ainsi de suite). Ce mode de construction a eu son efficacité, mais il n’a pas produit de véritable pouvoir politique intégré. Avec l’Acte unique (1986 : libre circulation des marchandises et des capitaux) et le traité de Maastricht (1992 : Union économique et monétaire, critères de déficit public) on est passé du transfert de compétences sectorielles à des abandons de souveraineté nationale très politiques (la monnaie bien sûr, mais aussi la politique régionale ou certaines compétences judiciaires ou policières). Le traité d’Amsterdam (1997) renforce à nouveau les pouvoirs du Parlement, mais les critères de Maastricht sont pérennisés en un "Pacte de stabilité".
L’Union a vu au cours des cinquante dernières années son poids politique s’affirmer vis-à-vis des États membres. Alors que jusque dans les années 80, elle n’avait pas, de fait, le pouvoir d’imposer ses valeurs, ses normes et ses politiques aux États membres, son pouvoir s’est affirmé depuis lors en s’appuyant sur la Commission européenne et surtout sur les décisions exécutoires de la Cour de justice européenne. De mineurs pour les citoyens, les choix politiques de l’Union sont devenus visibles et essentiels, car ils ‘font’ tout simplement le quotidien des lois qui s’appliquent aux citoyens. Par contre, la ligne politique fondamentale de l’Union est d’une grande stabilité, la plupart des articles du projet de traité provenant des traités antérieurs. Ces articles étaient jusqu’alors discrets car sans conséquence, ils deviennent visibles car ils sont désormais appliqués.
Les traités de Maastricht et d’Amsterdam sont en fait partiellement des constitutions européennes : ils ne précisent plus toutes les politiques communes, mais seulement la manière dont celles-ci seront collectivement décidées. Plutôt que de se lier par des décisions collectives précises, les États membres délèguent à l’Union une partie de leur souveraineté sans savoir ce qui va être décidé. Ce transfert s’est fait dans un cadre intergouvernemental, les gouvernements nationaux contrôlant conjointement ces compétences. Si bien qu’aucune décision, prise à Bruxelles, ne l’a été sans l’assentiment explicite des États membres. Le prix de cette codécision (la perte de souveraineté) s’est payé par la possibilité pour les gouvernements d’agir hors du champ politique national et des contrôles parlementaires traditionnels. C’est ce qu’on appelle le « déficit démocratique de l’Europe ». Les parlements nationaux ont perdu peu à peu de leur pouvoir, alors qu’il n’y a pratiquement pas eu d’avancée de type fédéraliste, de construction des États Unis d’Europe. Le dernier traité de Nice en 2000 rend plus difficile la prise de décision en Conseil par de multiples et complexes minorités de blocage : le pouvoir des États membres et de l’Union y est réduit au minimum, notamment sur l’économie. Pour qu’une directive soit votée, elle doit recueillir 232 des 345 droits de vote des pays représentant eux-mêmes un minimum de 62 % de la population, 50 % des États membres lorsque le Conseil statue sur proposition de la Commission et 66,6 % dans les autres cas.
Seul le traité de Maastricht a été approuvé de manière relativement démocratique, par référendum, à une très courte majorité en France. Les autres traités n’ont jamais été approuvés démocratiquement. Les règles de fonctionnement comme les politiques qu’ils édictent nous ont été largement imposées.
Socialistes et libéraux avaient ainsi deux projets pour l’Europe avec à chaque fois une stratégie dite "de l’engrenage" :

  l’engrenage de l’intégration économique comme levier de l’intégration politique pour les premiers,

  l’engrenage du grand marché qui devait enclencher une marche accélérée vers l’Europe de la concurrence pour les seconds.
Des deux engrenages il semble bien que le second ait mieux fonctionné que le premier. En effet l’harmonisation sociale et fiscale par le haut, la politique étrangère et de défense autonome vis-à-vis des États-Unis, le plein emploi et l’amélioration des conditions de travail, ou la réduction des inégalités n’ont guère avancé, voire reculé. En revanche, l’ouverture des services publics à la concurrence, la soumission aux règles de la libre concurrence, la baisse des charges patronales et des impôts, la flexibilité et la précarité du travail, le dumping fiscal, le dumping social, les licenciements boursiers, tout cela va bon train.
Le scrutin référendaire n’invite pas seulement à se prononcer sur un texte isolé, sans histoire ni mémoire, mais offre également l’occasion légitime de livrer un jugement politique sur cinq décennies de construction européenne, parce que, à l’écart des solennelles déclarations d’intention qui n’engagent à rien, ce passé est sans doute le plus fiable prédicteur d’un avenir probable.

2. Quelle Europe voulons-nous ?

L’Europe que nous défendons se situe dans la ligne des pères fondateurs de l’Europe : une communauté politique européenne démocratique.
Cela signifie des souverainetés nationales réduites au profit d’une souveraineté commune, européenne. Cette souveraineté partagée implique un partage clair des compétences respectives de l’Union et des États membres, voire des régions et des communes, c’est-à-dire des différentes strates du pouvoir collectif.
Ce transfert de souveraineté n’est justifié et acceptable que si le fonctionnement de l’Union est démocratique. Cela signifie l’indépendance des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, le respect du principe un citoyen - une voix pour l’élection des députés, quitte à prévoir une chambre haute pour la représentation des États, la définition par les citoyens européens de la ligne politique de l’Union, la responsabilité politique de l’exécutif devant le peuple ou ses élus.
Pour cela une constitution est nécessaire, qui édicte le droit du droit. Il faut une constitution qui en soit vraiment une et ressemble à ce que les peuples connaissent pour l’avoir pratiqué dans leur histoire, dans laquelle ils puissent reconnaître des pratiques et un paysage familiers. Cette constitution doit être élaborée, votée et modifiable par le peuple européen. Elle doit pouvoir être lue et comprise par chacun.
Cette communauté politique européenne, dite parfois Europe-puissance, doit à l’évidence être européenne, non pas tant au sens géographique que culturel, politique et social du terme. Le modèle européen, celui qui justifie la construction européenne, c’est un compromis spécifique entre liberté et justice sociale, entre marché et intervention publique, entre citoyenneté civile, politique, sociale et culturelle. Il repose sur des droits collectifs, des biens communs, des services publics, un code du travail, une protection sociale reposant sur la solidarité, la prise en compte de l’intérêt général. Il doit intégrer le besoin de biens communs publics échappant aux logiques marchandes comme la nature, la culture, le vivant, et la nécessité de l’égalité d’accès à des biens et des services publics performants.

3. Quel est l’état actuel de la construction européenne ?

Chacun reconnaît le déficit démocratique actuel de la construction européenne. Le Parlement représente bien les citoyens, mais sur une base très inégalitaire selon leur nationalité. Il n’a aucun pouvoir sur les recettes de l’Union, et ne vote que les grandes lignes des dépenses du budget européen. Il n’a aucune initiative législative, c’est-à-dire ne peut proposer de loi, mais vote les lois européennes (directives) dans certains domaines seulement. Il ratifie la nomination de l’ensemble de la Commission européenne et peut la renverser, sans que la Commission soit responsable politiquement devant le Parlement ou le peuple européen.
Le Conseil des chefs de gouvernement et le Conseil des ministres issus de ces gouvernements définissent les orientations politiques et approuvent, ou non, les projets de loi (directives) proposés par la Commission ; ils définissent le budget (recettes et dépenses).
La Commission européenne est nommée par les gouvernements (un commissaire par État) et ratifiée par le Parlement. Elle seule propose les lois européennes. Elle met en oeuvre l’ensemble des décisions prises, exécute le budget de l’Union, jouant donc le rôle d’un exécutif technocratique.
La Cour de justice européenne fait respecter les traités européens ainsi que les lois européennes.
Enfin la Banque centrale européenne définit la politique monétaire de l’Union et notamment le taux d’intérêt des emprunts. Les membres de son directoire sont nommés par les gouvernements, ne sont pas révocables et n’ont de compte à rendre à personne.
L’Union européenne actuelle est donc essentiellement une coopération entre gouvernements. Les pouvoirs sont organisés de telle sorte que personne n’apparaît clairement comme responsable de la politique menée, contrairement au niveau national, où le ministre, le premier ministre, le président de la république ou la majorité parlementaire apparaissent comme pleinement responsables des décisions qu’ils prennent, ce qui est un élément essentiel du contrôle démocratique et donc du caractère démocratique de notre système politique.

4. Constitution ou traité ?

Le projet de traité constitutionnel européen est-il un simple traité ou une constitution ? La question est loin d’être formelle car elle conditionne l’autorité à laquelle ce texte pourra prétendre, et donc l’attention qu’il faut lui porter.
En effet, un traité entre pays définit des politiques communes, politiques qui doivent respecter la constitution de chaque pays. Ces politiques communes ne s’imposent à chacun qu’une fois transcrites en droit national, c’est-à-dire après approbation explicite de chacun des parlements nationaux.
Dans le patrimoine commun des États de droit et de leur expérience démocratique depuis deux siècles et plus, de l’Europe à l’Amérique du Nord, une constitution est un texte qui édicte une norme supérieure à toutes les autres ; c’est le droit du droit, le texte qui définit comment les politiques seront collectivement décidées, et par lequel quiconque peut savoir comment il est gouverné, par lequel se forge un consensus sur le règne de la loi et son acceptation. Une constitution permet au peuple de contrôler ses dirigeants et de protéger ses libertés.
Si formellement le projet de constitution est bien un traité entre nations, "la constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union priment sur le droit des États membres" (art. I-6 [2]) ; même un règlement adopté par la Commission aura prééminence sur la Constitution et les lois des États membres. Le statut de ce texte lui confère donc bien la toute puissance d’une constitution : c’est de ce texte que dépend que la souveraineté des citoyens s’exerce ou non.
C’est donc un traité entre États et une constitution entre citoyens.

5. Lire le projet : analyse formelle

Une vertu essentielle de toute constitution est sa clarté et son absence d’ambiguïté. Qu’en est-il du projet de Constitution européenne ?
Excessivement long et détaillé

Tout d’abord le projet est incroyablement long : une partie principale de 341 pages, ne comportant pas moins d’un préambule et 448 articles assez longs (70 904 mots en tout), à laquelle s’ajoutent 36 protocoles et 2 annexes dont les 361 pages en font partie intégrante (article IV-442). 48 déclarations (97 pages), c’est-à-dire textes d’explication, ont également été ajoutés, auxquels il est fait référence dans le texte (par exemple préambule de la partie II), mais qui sont fort difficiles à trouver.
La partie principale du projet comprend quatre parties :

  la 1ère partie présente les valeurs et objectifs de l’Union ainsi que l’architecture institutionnelle (62 pages),

  la 2e partie consiste en l’intégration de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne (signée à Nice en 2000) (24 pages) à laquelle il faut ajouter quelques articles restrictifs et les explications elles aussi restrictives qui sont annexées à la Déclaration n°12,

  la 3e partie, (le gros morceau) sur les politiques et le fonctionnement de l’Union Européenne, installe le régime politique unique et ultralibéral de l’Union (227 pages),

  la 4e partie indique les dispositions générales et finales qui fixent les possibilités d’adhésion et de retrait des États membres et verrouille les conditions de révision de la Constitution Européenne.
En comparaison, la constitution française ne comporte qu’un préambule et 89 articles, le tout faisant 10 pages. S’y ajoutent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (17 articles, 1 page) et le préambule de la constitution française du 27 octobre 1946 (18 alinéas, 1 page). Si l’on regarde les constitutions d’autres ensembles fédéraux, elles sont cinq à cent fois plus courtes que le projet européen ! La constitution des États-Unis ne comporte que 7 articles ou 24 sections et tient en 5 pages ; la constitution allemande comporte 146 articles en 40 pages, tandis que la constitution suisse contient 197 articles en 60 pages.
Beaucoup des 448 articles du projet de constitution sont d’une grande complexité, contenant des détails dignes d’une loi, d’un décret ou d’un règlement intérieur (voir par exemple les articles III-161 ou III-184...) ; les rapports que doivent écrire les différentes institutions de l’Union pour communiquer entre elles sont précisés (voir par exemple III-216 ou III-221...). On apprend en annexe 1 au projet que l’article III-226 concerne entre autres le café, le thé et les épices à l’exclusion du maté... et ainsi de suite. La partie principale, les protocoles, les annexes, voire les textes d’explication mélangent éléments essentiels et détails.

Toujours complexe, souvent confus, parfois ambigu

Par ailleurs de nombreuses expressions et articles portent à confusion, ou ne sont pas clairs. Ainsi ne faut-il pas confondre le Conseil européen et le Conseil des ministres appelé Conseil (I-19) ; on apprend article I-29-1 que la Cour de justice européenne comprend la Cour de justice, le tribunal et des tribunaux spécialisés ; des articles ont le même titre, des contenus similaires mais non identiques : ainsi des articles I-51 et I-68 sur la protection des données à caractère personnel qui risqueraient de faire apparaître des conflits d’interprétation. L’article I-19-2 prévoit que les institutions de l’Union "pratiquent entre elles une coopération loyale". Cela s’applique notamment à la Cour de justice. Cependant, si son indépendance est reconnue (ce qui n’est pas clairement énoncé il est vrai, contrairement à la Banque centrale européenne), n’est-elle pas quelque peu contradictoire avec une coopération loyale avec les autres institutions ? Le projet de traité n’est en outre pas avare de formules contradictoires comme un "commerce libre et équitable" (I-3-3). Il parle d’une "économie sociale de marché" (I-3-3...) : c’est une étiquette trompeuse car ça ne signifie pas du tout un mélange entre économie sociale et économie de marché, mais une économie fondée sur une politique monétaire indépendante du pouvoir des politiques et sur la liberté de la concurrence garantie par l’État, issue du courant de pensée conservateur ordolibéral d’après guerre, du nom de sa revue Ordo.
L’architecture et les règles communes proposées sont d’une complexité irrecevable. Les pouvoirs législatif et exécutif sont partagés entre diverses institutions. Les modalités de la décision varient d’un sous-domaine à un autre et sont dispersées dans les 448 articles et les protocoles.
La Commission européenne assure l’essentiel du pouvoir exécutif, mais, en français, le terme de "Commission" ne fait pas référence à une institution majeure, mais à une institution tout à fait mineure, un groupe de travail par exemple. Dénommer ainsi le pouvoir exécutif de l’Union ne clarifie pas la compréhension du dispositif pour nombre de nos concitoyens.
L’ensemble du projet est finalement difficile à lire, et extraordinairement difficile à décrypter. Sa lecture et son décryptage sont pourtant indispensables à qui veut se faire une idée de la loi suprême qui pourrait lui être appliquée, et sur laquelle il doit se prononcer !

6. Les évolutions proposées

Le projet de constitution rassemble et homogénéise l’ensemble des traités antérieurs qui fondent et organisent l’Union européenne, tout en apportant un certain nombre d’évolutions.
Si le projet de constitution est ratifié par l’ensemble des 25 États membres, l’Union européenne fonctionnera selon ces nouvelles règles à partir de novembre 2006 si les ratifications sont effectives avant, ou à défaut le deuxième mois après la dernière ratification (IV-447), voire 2009 pour ce qui concerne le calcul de la majorité qualifiée (IV-439 et protocole 34) et 2014 pour ce qui concerne la composition de la Commission européenne (I-26-6). En cas de non-ratification du projet constitutionnel, juridiquement tout reste en place. Le traité de Nice, en vigueur depuis le 1er mai 2004, continuera d’être appliqué.

Les compétences de l’Union et des États membres

Ce texte définit les valeurs (art. I-2), les objectifs (art. I-3), les droits fondamentaux (art. I-4, I-9, II-61 à 114) et organise l’ensemble des pouvoirs politiques, qu’ils soient de sa compétence exclusive (douane, concurrence et commerce, monnaie : art I-13), de compétence partagée avec les États membres, c’est-à-dire là où l’action de l’Union a seulement priorité (art. I-14) comme le marché intérieur, le social, la cohésion territoriale, l’agriculture, l’environnement, la consommation, les transports, l’énergie, la sécurité ou la justice (art. I-12-2), ou de compétence complémentaire c’est-à-dire en appui seulement à la compétence des États membres comme la santé, l’industrie, la culture, le tourisme ou l’éducation (art. I-17).
Dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union, les parlements nationaux peuvent s’élever contre un projet de loi européenne s’ils estiment qu’il ne respecte pas le principe de subsidiarité (I-11 et art. 3 du protocole 1). Le principe de subsidiarité affirme qu’une action ne peut être menée au niveau de l’Union que si ce niveau est plus efficace que le niveau national (I-11-2). Si un tiers des parlements nationaux (un quart en matière de justice et sécurité) sont de cet avis, le projet de loi doit être "réexaminé", et à l’issue de ce réexamen, le projet peut être maintenu, modifié ou retiré (art. 7 du protocole 2).
L’Union acquiert, pour la première fois, la personnalité juridique (I-7), comme l’avait en son temps la Communauté européenne. Elle pourra donc signer des traités internationaux.
"L’Union est ouverte à tous les États européens qui respectent ses valeurs" (I-1-2), les valeurs étant définies article I-2 ; mais l’accord unanime des États membres est nécessaire, sans que les peuples ou les parlements soient consultés, ni que soit défini en quoi un État est "européen" ou non. Tout État membre peut se retirer de l’Union (I-60).

Une extension de la codécision

Par rapport à l’architecture actuelle du pouvoir, le champ de la codécision entre le Parlement européen et le Conseil des ministres s’étend, ce pouvoir législatif étant toujours systématiquement partagé entre le Conseil des ministres et le Parlement. Le nombre de domaines en codécision passe de 40 à 69 sur un total de 90, en intégrant notamment les politiques de coopération policière et judiciaire (III-266 à 277). Cependant c’est toujours le Conseil des ministres qui exerce la fonction législative décisive car ce sont ses positions qui deviennent rapidement non amendables, et non celles du Parlement. En France par comparaison, même après deux allers-retours avec le Sénat, c’est le Parlement qui a le dernier mot. L’article III-396, qui précise la mécanique institutionnelle, indique que la Commission européenne propose les lois. Pour être adoptées, celles-ci doivent être votées à la majorité par le Conseil et par le Parlement. En cas de désaccord, le Parlement peut rejeter le projet de loi, ou l’amender à la majorité des parlementaires et non des présents (III-396-7). Ces amendements issus du Parlement ne peuvent êtres adoptés qu’à l’unanimité par le Conseil des ministres si la Commission européenne ne les approuve pas.
Il reste 21 domaines dont le Parlement est exclu, et certains très importants. La liste n’en est écrite nulle part. Il faut comprendre qu’il est exclu lorsqu’un article du projet de constitution précise que c’est le Conseil qui décide ou que le Parlement est simplement consulté : inquiétante opacité du texte suprême qui devrait pourtant être absolument clair. Voici donc les domaines ou les parties de domaine les plus importants où le Parlement n’est pas co-décideur : la politique étrangère et de sécurité (III-295-1, III-300-1 et 2, III-304-1 et 2), le marché intérieur (III-130-3), les tarifs douaniers (III-151-5), la politique monétaire (III-188), la fiscalité (III-171), l’essentiel de la politique agricole (III-231-2 et 3), la politique sociale pour partie (III-210-1, 3 et 6)...

Plus de majorité qualifiée au Conseil, mais l’unanimité reste souvent la règle

Le Conseil siège en public lorsqu’il délibère et vote sur un projet de loi (I-24-6 et I-50-2). C’est un progrès, mais l’essentiel du travail législatif (compromis, arbitrages, décisions) continuera à se faire en amont des séances du Conseil au sein du comité des représentants permanents.
Le champ des décisions où le Conseil statue à la majorité qualifiée s’étend au détriment des domaines où il statue à l’unanimité : la majorité qualifiée s’appliquerait à environ 120 (au lieu d’une centaine actuellement) des 177 domaines. La majorité qualifiée est de 55 % des membres (soit 14 sur 25) et 65 % de la population européenne lorsque le Conseil statue sur proposition de la Commission (I-25-1), et de 72 % des membres (18 sur 25) et 65 % de la population dans les autres cas (I-25-2). Par rapport à la situation actuelle, ces nouveaux critères facilitent les accords dans le premier cas, mais les rendent plus difficiles hors proposition de la Commission. Ils renforcent donc le pouvoir de la Commission. La limite entre ces trois modes de décision est incroyablement complexe. Des domaines essentiels sont toujours traités à l’unanimité comme la révision de la Constitution (IV-443 et 444), la fiscalité et les ressources de l’Union (I-54-3), la plupart des aspects sociaux, une partie des aspects environnementaux (III-234), la culture (III-315), la politique étrangère et la défense (I-40-6 et I-41-4). Les coopérations renforcées sont décidées à la majorité qualifiée de 55 % (III-419-1).
Le mode de décision au sein du Conseil donne un poids électoral à chaque pays, et donc in fine à chaque Européen. Si l’Union était une démocratie, chaque Européen aurait le même pouvoir que chacun des habitants des autres pays. On peut montrer qu’il n’en est rien : ni le traité de Nice ni le projet de constitution ne sont équitables car tous deux favorisent les habitants des tout petits pays. Le traité de Nice défavorise les plus gros pays, et en premier lieu l’Allemagne ; le projet de constitution favorise au contraire l’Allemagne.
Cependant en matière de commerce de services culturels et audiovisuels, le Conseil ne statue à l’unanimité que si "ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union" (III-315-4-a). Il en est de même en matière de commerce des services sociaux, d’éducation et de santé, lorsqu’il y a risque "de perturber gravement l’organisation de ces services au niveau national et de porter atteinte à la responsabilité des États membres pour la fourniture de ces services" (III-315-4-b). Le droit de veto des États membres est donc fragilisé car se sera à l’État membre d’apporter la preuve qu’un projet porte atteinte à la diversité culturelle ou perturbera l’organisation de certains services. Ce sera à la Cour de justice d’apprécier si le droit de veto s’applique.

La Commission, gouvernement européen

Le Parlement élit le président de la Commission (I-20-1), mais seulement sur proposition du Conseil européen (les chefs d’État), qui tient compte des résultats des élections au Parlement européen (I-27-1). Le Parlement peut censurer et démettre l’ensemble de la Commission, mais seulement à la majorité des deux tiers (III-340).
Le Conseil européen élit son président à la majorité qualifié de 72 % et pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois seulement (I-22-1). Il représente l’Union à l’extérieur pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC, I-22-2), dont les lignes stratégiques sont élaborées par le Conseil. La Commission européenne élabore et exécute l’action extérieure définie par le Conseil : elle est donc l’exécutif en matière de politique étrangère et de sécurité commune (I-24-3).
La Commission européenne est composée dans un premier temps (I-26-5) d’un commissaire par État membre dont le mandat est de cinq ans. Chaque commissaire est proposé par son État, avec lequel il a donc une relation intime. Puis la deuxième Commission ne comprend plus que des représentants des deux tiers des États membres, les États membres étant traités sur un strict pied d’égalité (I-26-6). Le Conseil européen nomme le ministre des affaires étrangères, en accord avec le président de la Commission, et peut le démettre (I-28-1). Ce ministre est membre de la Commission et conduit la politique étrangère et de sécurité commune (I-28-2). La Commission mêle des pouvoirs législatifs (initiative des lois), exécutifs, et judiciaires (surveillance de l’application des lois) (I-26-1 et 2). La Commission européenne peut donc être considérée comme le gouvernement européen, même si ces membres ne sont pas choisis sur une base strictement politique et sont peu responsables devant le Parlement européen.

Des droits" fondamentaux" qui ne le sont guère

Le projet de constitution a intégré la charte des droits fondamentaux (II-61 à 114), qui avait été signée par les États membres le 9 décembre 2000. Cette "charte ne modifie pas le régime des droits conférés par le traité de la Communauté européenne et désormais repris dans les parties I et III de la Constitution" (déclaration 2, p. 87). D’autres traités avaient précédemment reconnu les "droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la Charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961, et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989" (III-209). Cependant ces droits dit "fondamentaux" ne s’adressent pas aux citoyens mais aux institutions de l’Union et des États quand ils "mettent en oeuvre" le droit de l’Union (II-111-1). Ces droits ne créent "aucune compétence et aucune tâche nouvelle pour l’Union" (II-111-2). Le projet de constitution stipule que les droits fondamentaux restent subordonnés aux autres dispositions du projet (II-112-2), caractérisées, elles, par "la concurrence libre et non faussée" (cf. § 8). Des limitations peuvent y être apportées (II-112) et ces droits ne s’appliquent pas dans certains cas prévus dans les commentaires du praesidium (déclaration 12).
Les principes fondamentaux ne s’imposent qu’aux actes de l’Union et non aux États membres (II-112-5), ils "doivent être interprétés en harmonie avec les traditions nationales" (II-112-4), "les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte" (II-112-6) : ils ne prévaudront donc pas juridiquement sur les dispositions nationales moins favorables. C’est la seule exception, très explicite, au principe affirmé à l’article I-6 de la primauté de la Constitution européenne sur le droit des États membres.
Le préambule de la Charte des droits fondamentaux (partie II) stipule en outre que "la Charte sera interprétée [...] en prenant dûment en considération les explications [...] du praesidium de la Convention européenne" ; ces explications ne sont présentes ni dans le corps du traité constitutionnel ni dans ses annexes, mais dans des textes additionnels qui sont inconnus des citoyens.
Ces droits dits "fondamentaux" ne le sont donc guère.

Des droits fondamentaux au rabais

Cette charte énonce "le droit de travailler" et "la liberté de rechercher un emploi, de travailler, de s’établir et de fournir des services" (II-75), alors que la constitution française de 1958 en son article 5 qui reprend le préambule de la constitution de 1946 affirme que "chacun a le droit d’obtenir un emploi", tandis que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule que "toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage" (art. 23-1) ; les constitutions de huit autres États membres reconnaissent de la même manière le droit au travail.
Le plein emploi n’apparaît qu’une seule fois dans l’article I-3-3, qui présente un objectif de développement fondé sur "une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social". Mais il n’en est plus question ensuite, même dans la section consacrée à la politique de l’emploi (III-203 à 208). Figure en revanche l’objectif consistant à "atteindre un niveau d’emploi élevé" (III-205-2). Cela signifie augmenter le taux d’emploi, c’est-à-dire le rapport entre le nombre de personnes ayant un emploi et celui de la population en âge de travailler. Parler du taux d’emploi permet de ne plus parler du taux de chômage. Et un taux d’emploi élevé peut tout à fait cohabiter avec de forts taux de chômage. Le mot "chômage" ne figure d’ailleurs même pas dans les 448 articles du projet de constitution, alors que le taux de chômage dans l’Union est de 9 %. Le chômage n’entre manifestement pas dans les préoccupations de l’Union telle que dessinée par ce projet de constitution.
D’autres acquis qui figurent dans les constitutions de douze États membres ont totalement disparu du projet de constitution : droit à un revenu minimum, à une pension de retraite, aux allocations chômage, à un logement décent, droit à l’accès égal pour tous à la santé, l’éducation et plus largement aux services publics. L’Union européenne n’aurait aucune obligation à cet égard. La charte n’énonce que "le droit d’accéder à un service gratuit de placement" (II-89) et non le droit à un revenu de remplacement, le "droit à une aide au logement" (II-94-3) et non pas le droit au logement... Écarté le principe d’un revenu minimum européen, par exemple calculé dans chaque État membre en fonction de son revenu moyen.
L’article III-117 assure que les politiques de l’Union "prendront en compte", c’est-à-dire n’ignoreront pas, "les exigences liées [...] à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine", ainsi que celles liées "à la garantie d’une protection sociale adéquate", ce qui ne signifie rien. Tout cela n’engage pas à grand-chose. Le texte explicatif de la charte indique d’ailleurs que "la référence à des services sociaux [...] n’implique aucunement que de tels [...] services doivent être créés quand ils n’existent pas". La charte écarte la partie du préambule du traité de Rome, conservé par le traité de Nice, qui assignait "pour but essentiel" à la construction européenne "l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi des peuples". Le droit de grève n’a été retenu qu’étendu aux employeurs : "les travailleurs et les employeurs [...] ont le droit de [...] recourir, en cas de conflit d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève" (II-88). Les employeurs peuvent donc fermer une entreprise en cas de conflit social (lock out).
Il n’y a rien sur le droit des femmes à disposer de leur corps et notamment aucune référence à la liberté de la contraception et de l’avortement, ni à la protection contre les violences subies par les femmes. De même le droit de se marier et de fonder une famille est inclus (II-69) mais pas celui de divorcer.
Le projet de traité ignore ou contourne la laïcité par l’oubli de la référence à la laïcité ou à la séparation de l’État et des églises dans la définition des valeurs de l’union (I-2), par l’obligation constitutionnelle de maintenir un dialogue permanent avec les églises (I-52-3), par "la liberté de manifester sa religion [...] individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites" (II-70-1), ce qui consacre la fin de la neutralité de la sphère publique.
Enfin l’Union n’adhère pas à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, mais à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 (I-9-2 et 3), qui ne garantit, elle, aucun droit collectif ou social.
Pour réaliser l’Europe sociale, il eut fallu :

  énoncer clairement un objectif de convergence vers le haut des conditions de vie et de travail dans tous les États membres,

  rendre possible des conventions collectives européennes sur les rémunérations,

  étendre la majorité qualifiée afin que des lois européennes de progrès social puissent être adoptées.
Au lieu de cela, force est de constater que :

  tout ce qui sert le marché et les profits pourra être renforcé par une loi européenne décidée à la majorité qualifiée,
ce qui est considéré comme une entrave au marché est certes évoqué, mais rendu impossible par l’obligation du vote à l’unanimité et la possibilité de veto d’un seul État membre.

Les services publics soumis à la concurrence, comme aujourd’hui

Le principe de "service public", auxquels tous ont accès et dont les coûts sont mutualisés, n’est admis ni comme valeur (I-2), ni comme objectif (I-3) de l’Union, contrairement aux traités actuels qui depuis Amsterdam incluent les services publics dans les valeurs communes de l’Union (art. 16).
La notion de service public ne fait plus partie du vocabulaire européen. Les services d’intérêt général non marchands, c’est-à-dire qui ne sont pas directement payés par l’usager, comme l’éducation nationale, les services sociaux, les services de santé, les services culturels, ne figurent pas dans le projet de constitutionnel. Ces services sont par contre sous la coupe de l’Accord général sur le commerce des services de L’Organisation mondiale du commerce (AGCS - OMC), aux objectifs de laquelle le projet constitutionnel adhère (III-292-2-e, III-314). Le terme de "service public" n’est cité qu’une seule fois comme une "servitude" concernant les transports (III-238).
Sont introduits des « services d’intérêt économique général », qui ne sont définis nulle part dans le projet de constitution. Il faut consulter un « livre blanc » de la Commission pour apprendre que ce sont des services publics marchands - que l’usager paie directement comme l’eau, les transports publics, l’énergie - et que les États membres soumettent à des obligations de service public en vertu d’un critère d’intérêt général. Le projet de constitution reconnaît l’accès à ces "services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales" (II-96), ce qui ne fait que poser "le principe du respect par l’Union de l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les dispositions nationales, dès lors que ces dispositions sont compatibles avec le droit de l’Union" (déclaration 12 - art. 36). Le projet reconnaît aussi la place qu’ils occupent en tant que services auxquels tous "attribuent une valeur" (III-122), mais ce dernier article reprend l’article 16 du traité de Nice, le traité de Rome comportant déjà un article pour ces services. Il renvoie à une loi européenne (dont seule la Commission européenne a l’initiative) pour donner à ces services d’intérêt économique général leur traduction concrète, et leur permettre d’exister, ce qui pourrait clarifier la pratique communautaire. Mais la constitution ne rendrait une telle loi ni plus ni moins obligatoire que le traité en vigueur.
Les entreprises chargées de la gestion de ces services sont "soumises aux règles de la concurrence dans la mesure où l’application de ces dispositions ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de [leur] mission" (III-166-2). Cet article 166 est la reprise quasi in extenso de l’article 86 du traité actuel et de l’article 90 du traité de Rome. Il n’apporte donc rien de nouveau. Comme dans le traité instituant la Communauté européenne, c’est par dérogation et sous réserve de conditions strictes qu’un État peut accorder une aide à une telle entreprise ; la libre circulation et la liberté d’établissement des services sont des libertés fondamentales de l’Union (I-4) qui s’opposent donc à tout monopole d’un service public.
Le projet de constitution exprime donc la soumission des services publics au principe de concurrence dans les mêmes termes que les traités en vigueur, sans permettre une législation spécifique et non dérogatoire sur les services publics. Or cette ouverture des services publics à la compétition les pousse à se comporter comme des entreprises privées, avant d’être démantelés.
Ces services sont de la compétence des États (II-96 et 122), leur instauration à l’échelle européenne n’étant prévue nulle part.
Enfin nulle part n’est affirmé le droit à l’usage de biens communs à l’ensemble de l’humanité (eau, culture, énergie...).

Pas d’initiative citoyenne, pas de défense collective, peu de coopérations renforcées

Le projet reconnaît le droit "d’initiative citoyenne" (I-47-4), mais il est soumis au bon vouloir de la Commission, qui est seulement "invitée" à soumettre une proposition et n’a donc aucune obligation d’examiner ni de prendre en compte l’initiative et les propositions formulées par un minimum d’un million de citoyens "aux fins de l’application de la Constitution", tout projet de modification de la constitution étant donc exclu. La Commission n’est même pas tenue d’expliquer sa décision aux citoyens. Le droit de pétition était déjà reconnu par le traité de Nice (art. 194) comme par les constitutions de tous les États membres.
Le projet de constitution stipule également que "les institutions de l’Union européenne entretiennent un dialogue [...] avec les associations représentatives et la société civile" (I-47-2 et 3). Mais rien n’est dit sur les critères retenus pour accorder à telle ou telle association un caractère "représentatif", ce qui peut ouvrir la porte à la reconnaissance constitutionnelle de la pratique des lobbies (courante actuellement auprès de la Commission), souvent ouvertement liés à des intérêts privés.
L’objectif de la politique de sécurité et de défense commune est de permettre aux États membres de s’associer pour effectuer des "missions en dehors de l’Union" (I-41-1). Cette politique n’a donc pas pour objectif d’assurer la défense collective de l’Union proprement dite, mais seulement de favoriser les interventions communes sur des théâtres extérieurs, tant que le Conseil européen n’en aura pas décidé autrement à l’unanimité (I-41-2). Des États membres peuvent initier une "coopération structurée permanente" en matière militaire (I-41-6). Une telle coopération doit être adoptée à la majorité qualifiée par le Conseil (III-312-2). Les décisions propres à cette coopération sont prises à l’unanimité des États membres participants (III-312-6).
Les coopérations renforcées entre pays souhaitant une intégration plus poussée dans certains domaines nécessitent "qu’au moins un tiers des États membres y participent" (I-44-2), c’est-à-dire 9 États membres sur 25, au lieu de 8 avec le traité actuel. Les six pays fondateurs de l’Union n’y suffiraient pas par exemple. De très nombreux domaines en sont exclus et notamment ceux de compétence exclusive de l’Union, ce qui exclut par exemple toutes les questions ayant une incidence sur la libre concurrence ou la politique monétaire (III-416 et 419). Ainsi un groupe de pays ne pourrait instaurer aucune réglementation ou taxe à finalité écologique, car cela provoquerait des distorsions de concurrence au sein de l’Union. Toute coopération renforcée (hors politique étrangère et de sécurité) exige l’accord de la Commission, l’accord d’au moins 55 % des États membres au sein du Conseil (soit un minimum de 14 pays) et l’accord du Parlement (III-419-1). Les coopérations renforcées dans le domaine de la politique étrangère ou de sécurité exigent le seul accord unanime du Conseil (III-419-2). Il n’est donc pas question qu’un nombre limité d’États membres mènent une politique ne correspondant pas aux canons de l’ensemble des États.
Enfin la première phrase du traité de Rome de 1957 où les Six se disaient "déterminés à établir les fondements d’une Union sans cesse plus étroite entre les peuples européens" a été supprimée.

7. Un projet pour une démocratie ?

Le pouvoir constituant appartient au peuple

Un des acquis fondamentaux de l’histoire contemporaine de l’État constitutionnel est que le pouvoir constituant appartient au peuple, seul souverain capable de dire les conditions dans lesquelles il délègue l’exercice de son pouvoir. Les Américains inventèrent dès 1776 le principe de la convention constituante, la révolution française poursuivit ce chemin dès 1789. La méthode fut reprise en 1848, en 1945 et 1946. Cette procédure n’est pas réservée à la tradition française, elle s’est imposée partout, jusqu’aux plus récentes démocraties européennes, comme en Italie en 1947, en Grèce en 1975, en Espagne en 1978, en Pologne en 1997. Cette procédure tient tout entière au principe de publicité. Le travail constituant est soumis à la contrainte de l’échange argumenté, contradictoire et public entre mandataires du pouvoir constituant originaire.
La convention qui a élaboré la première version du projet de constitution, présidée par V. Giscard d’Estaing, était composée de 72 parlementaires (56 représentants des parlements des États membres et candidats, 16 représentants du Parlement européen), 28 représentants des gouvernements et 2 représentants de la Commission européenne. Les 72 parlementaires siégèrent sans jamais avoir été mandatés pour cela par les citoyens européens, contrairement à ce qu’affirme le préambule du projet de constitution. Ils étaient censés représenter les 450 millions de citoyens européens, ce qui est un record absolu de plus de six millions de citoyens par représentant. Le mode de fonctionnement de cette convention, par consensus, a donné un poids prépondérant aux plus réticents en débouchant sur le plus petit dénominateur commun. Le travail de synthèse et de rédaction a été confié à un secrétariat général, dirigé par un ancien haut responsable du Foreign Office britannique, qui s’est personnellement impliqué pour que la constitution ne s’éloigne pas trop des vues de son gouvernement. De plus, c’est le présidium de la convention, formé de trois personnalités nommées par les chefs d’État et de gouvernement (et non élus par la convention), et entourés de treize membres représentant les composantes de la convention, qui a joué le rôle essentiel. C’est lui qui a fait les choix décisifs, a fait passer des compromis sans vote et à l’évidence minoritaires dans la convention. Beaucoup des membres de la convention n’ont jamais eu l’occasion de voter une seule fois, et les travaux sont restés largement confidentiels. La partie III qui contient 322 des 448 articles du projet n’a pas été présentée lors du sommet de Salonique de juin 2003, et n’a été discutée par la convention qu’en juin et juillet 2003 sans qu’il leur soit possible de la modifier. Cette convention rassemblait des représentants des principaux partis. Les partis de gauche ont pu introduire des modifications mineures, très loin de leurs "exigences minimales" et ont eu ainsi l’impression d’être associés au travail. Il n’est guère étonnant qu’ils aient par la suite soutenu majoritairement le texte ; dès lors qu’on participe à l’élaboration d’un projet, on a tendance à en approuver les résultats. C’est humain.
Une conférence intergouvernementale a ensuite remanié le projet issu de la convention. Notons que 23 des 25 gouvernements ayant participé à cette conférence ont été désavoués lors des élections européennes de juin 2004. Ce projet apparaît comme le résultat de négociations, de sommets et de compromis entre gouvernements, plutôt que comme le fruit des débats de constituants mandatés par les citoyens.
La mise en ligne sur le site internet de la convention des résultats au jour le jour, la discussion d’éléments du projet dans des cercles réduits, voire la possibilité pour chacun de faire part de ses commentaires à la convention par courriel sont loin de suffire pour assurer le principe de publicité sans lequel les juristes ne sauraient parler de travail constituant.
Faute de travail constituant mené correctement, le projet une fois adopté ne pourra avoir la légitimité des constitutions nationales, même s’il en a le pouvoir.

Une constitution non révisable

Une fois adoptée, cette constitution pourra-t-elle être révisée si les citoyens européens en expriment majoritairement la volonté ? La constitution, établie "pour une durée illimitée" (IV-446), peut être révisée, en théorie. Seul le Conseil européen peut décider à la majorité simple qu’il convient d’examiner des propositions de modification, et convoquer une convention. Celle-ci adopte ensuite une position, par consensus uniquement. Le dernier mot revient aux gouvernements dont l’unanimité est nécessaire pour valider les modifications. À toutes ces étapes, il faut ajouter la ratification par l’ensemble des États membres (IV-443). Des procédures simplifiées existent (IV-444), notamment pour réviser la partie III qui définit les politiques de l’Union (IV-445), mais l’unanimité des gouvernements et des États membres est toujours indispensable ainsi que l’accord de tous les parlements nationaux et du Parlement européen (IV-444-3).
Cette unanimité était déjà nécessaire pour réviser les traité antérieurs. Des révisions ultérieures seront donc possibles. Cependant il suffit qu’un gouvernement ou un État membre sur les 25 mette son veto pour que toute révision du texte soit écartée. Il sera plus difficile d’obtenir l’unanimité à 25, et bientôt 30 États membres que lorsque l’Europe était composée de 12 ou 15 pays. L’absence de vision politique commune croît en effet mécaniquement avec l’extension du nombre et de l’hétérogénéité des États membres. Surtout il ne faut pas oublier que chacun des derniers traités contenait en son sein une clause fixant le rendez-vous suivant. C’est ainsi que le traité de Maastricht annonçait en son article N2 la convocation d’une conférence intergouvernementale en 1996. Or, on ne trouve rien de tel dans le projet de traité constitutionnel, qui s’apparente en cela au traité de Rome, lequel n’a été révisé qu’au bout de 28 ans. Les révisions successives des traités n’ont enfin jamais été fondamentales, ne remettant pas en cause le mode de construction intergouvernemental et renforçant la primauté de la concurrence sur les exigences sociales ou environnementales.
Aussi est-il pratiquement exclu que le traité constitutionnel, une fois ratifié, soit révisé fondamentalement, soit pour donner priorité aux aspects sociaux ou environnementaux, soit pour permettre la construction d’une Europe politique.
Il n’est en outre pas prévu que les citoyens européens aient leur mot à dire dans tout ce processus improbable.
Pour mémoire, rappelons que dans l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme de la République française de 1793, les fondateurs de la République avaient eu la sagesse et la modestie d’inscrire une disposition, qui fait défaut dans le projet de constitution européenne : "un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures".
Ce texte étant une constitution, c’est-à-dire un texte qui définit comment les politiques seront collectivement décidées par les seuls détenteurs du pouvoir en démocratie - les citoyens, il doit être révisable par les citoyens et par eux seuls. Avoir transformé une constitution en un traité intergouvernemental s’apparente à une supercherie qui permet, en jouant sur les mots, de s’affranchir des règles démocratiques en court-circuitant la souveraineté populaire.

Le peuple européen absent

Les constitutions française, allemande ou suisse par exemple écrivent respectivement que "le peuple français proclame" que le principe de la République est "le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple" (art. 2), que "le peuple allemand s’est donné la présente constitution" (préambule) et que "tout pouvoir émane du peuple" (art. 20-2), ou que "le peuple et les cantons suisses [...] arrêtent laconstitution que voici" (préambule).
Rien de tel dans le projet de constitution européenne, où la souveraineté du peuple n’est nulle part mentionnée. Le seul rôle du peuple et des citoyens est de légitimer une construction interétatique à laquelle ils ne participent pas, comme en témoigne le préambule du traité. Celui-ci indique que les États sont "reconnaissants aux membres de la Convention européenne d’avoir élaboré le projet de cette Constitution au nom des citoyens et des États d’Europe".

Certains citoyens sont « plus égaux que d’autres »

Si "l’Union respecte le principe d’égalité de ses citoyens" (I-45), leur droit à être également représentés au Parlement européen n’est pas respecté puisque "la représentation des citoyens est assurée de façon dégressivement proportionnelle, avec un seuil minimum de six membres par État membre", et que "aucun État membre ne se voit attribuer plus de 96 sièges" (I-20-2). Les 82,5 millions d’Allemands auront donc un député européen pour 860 000 habitants, tandis que les 453 000 Luxembourgeois auront un député pour 76 000 habitants, et les 394 000 Maltais un député pour 66 000 habitants : cela signifie qu’un citoyen de ce dernier pays pèse politiquement plus de treize fois plus qu’un citoyen allemand ou environ douze fois plus qu’un citoyen français. Par comparaison la grande région électorale française Massif Central - Centre élira elle aussi six députés européens, mais avec une population de 4,5 millions d’habitants. L’Irlande ou la Finlande ont des populations équivalentes, mais éliront 13 à 14 députés. La Belgique, le Portugal, la République tchèque, la Grèce, et les grandes régions françaises du Sud-est ou de l’Île-de-France ont tous une population oscillant entre 10,4 et 11 millions d’habitants, mais les premiers éliront 24 députés, les derniers 13 à 14 seulement.
Si le préambule du projet de constitution dit s’inspirer "des droits inviolables et inaliénables de la personne humaine" ainsi que de "l’égalité", le projet ne fait pas la moindre référence au droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers hors Union, pourtant en vigueur dans plusieurs États membres. Certains humains sont « plus égaux que d’autres ».

Égalité des États membres : une construction intergouvernementale

Le texte prévoit que "l’Union respecte l’égalité des États membres" (I-5-1), ce qui se retrouve dans la composition de la Commission européenne et dans l’ordre de passage de leur ressortissant au sein de celle-ci (I-26), dans la composition du Conseil (I-23-2) et du Conseil européen (I-21-2), dans celle de la Cour de justice (I-29-2), de la Cour des comptes (I-31-3), comme de divers comités (III-217 par exemple) où tous les pays ont le même nombre de ressortissants. Cela se retrouve également dans la composition du collectif des parlements nationaux veillant au principe de subsidiarité (art. 7 du protocole 2).
On pourrait justifier à la rigueur cette égalité d’États membres aux populations parfois si peu comparables pour une chambre des États (analogue à notre Sénat, au Bundesrat allemand, ou au Sénat des États-Unis). Mais est-il justifié qu’au sein de l’exécutif de l’Union qu’est la Commission, les commissaires issus des 7 États comptant seulement 2 % de la population soient plus nombreux que ceux issus des 6 États représentant les trois quarts de la population ? De toute évidence cette égalité des États n’est pas justifiable pour les institutions exécutives et judiciaires de l’Union, à moins de considérer que l’Union est essentiellement une construction intergouvernementale.
L’égalité des États devant la loi européenne est à géométrie variable, le Royaume-Uni ayant obtenu par exemple une clause d’exemption le dispensant des règles de coopération policière, judiciaire civile, administrative et en matière d’asile et d’immigration (protocole 19).
Par ailleurs le projet de constitution prétend dicter aux députés des éléments de leur ligne politique puisque "le Parlement européen [...] s’efforce de réaliser l’objectif de libre circulation des capitaux [...] dans la plus large mesure possible" (III-157-2).
Un Parlement européen faible

Le Parlement européen reste écarté des décisions sur les recettes de l’Union, c’est-à-dire ne vote pas la partie recettes du budget de l’Union, ne vote pas l’impôt, est exclu de la fiscalité, dont le monopole appartient au Conseil après approbation à l’unanimité des États membres (I-54-3). Les députés européens peuvent rejeter et même amender la partie dépenses du budget (III-404).
Le Parlement reste écarté de la politique monétaire dont le monopole appartient à la Banque centrale européenne, totalement indépendante et donc hors d’atteinte de tout contrôle démocratique (III-188). L’Union européenne deviendrait ainsi le seul et unique pays au monde et dans l’histoire où l’indépendance absolue d’une banque centrale aura été constitutionnalisée.
Le Parlement n’est que consulté sur la politique étrangère et de sécurité qui reste du domaine exclusif du Conseil européen unanime (III-295 et 300), tout comme la sécurité et la protection sociales (III-210-3). Il est exclu de toute décision sur le marché intérieur et sur l’essentiel de la politique agricole.
Le Parlement est exclu de toute initiative législative, c’est-à-dire ne peut prendre l’initiative d’une loi, dont la Commission a le monopole (I-26-2), ce qui confère à celle-ci un pouvoir redoutable. Une loi comme "le droit de laisser mourir" votée récemment à la quasi-unanimité du Parlement français serait donc impossible. Le Parlement européen pourrait seulement faire des propositions à la Commission qui est libre d’y donner suite ou non (III-332), et doit motiver son refus. Le Parlement n’est donc guère mieux traité qu’un million de pétitionnaires...
Le Parlement peut censurer et donc démettre la Commission, mais seulement à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés (III-340), ce qui signifie que la Commission peut gouverner tout en n’ayant le soutien que d’un tiers des députés élus.

Ni séparation, ni contrôle des pouvoirs

Tout pouvoir tendant naturellement, mécaniquement, à l’abus de pouvoir, il est essentiel, pour protéger les citoyens contre la tyrannie, de séparer les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et d’organiser le contrôle des pouvoirs. C’est un principe essentiel de la démocratie connue depuis Montesquieu, sans doute la meilleure idée de toute l’histoire de l’Humanité : pas de confusion des pouvoirs, et pas de pouvoir sans contre-pouvoirs.
Ainsi le peuple dit : « Toi, tu fais les lois, mais tu ne les exécutes pas. Et toi, tu exécutes les lois, mais tu ne peux pas les écrire toi-même. » Ainsi, aucun pouvoir n’a, à lui seul, les moyens de devenir un tyran. « D’autre part, si l’un des pouvoirs estime que l’autre a un comportement inacceptable, il peut le révoquer : l’assemblée peut renverser le gouvernement, et le gouvernement peut dissoudre l’assemblée. Dans les deux cas, on en appelle alors à l’arbitrage (élection) du peuple qui doit rester la source unique de tous les pouvoirs. » C’est ça, la meilleure idée du monde, la source profonde de notre quiétude quotidienne.
Rappelons que la Commission mêle des pouvoirs législatifs (initiative des lois), exécutifs, et judiciaires (surveillance de l’application des lois) (I-26-1 et 2). Le Conseil est le seul organe qui vote toutes les lois (hors politique monétaire dépendant de la seule Banque centrale européenne), car le Parlement est exclu de 21 domaines parmi les plus importants sur 90. Or le Conseil n’est pas élu par les citoyens, mais est le représentant des exécutifs nationaux. De plus le Parlement ne peut renverser la Commission qu’à la majorité des deux tiers (III-340).
Le Parlement, seule instance porteuse de la souveraineté populaire par le jeu du suffrage universel direct, est ainsi privé à la fois d’une grande partie de son pouvoir législatif et de son pouvoir de contrôle de l’exécutif, pendant que la confusion des pouvoirs la plus dangereuse est réalisée dans les mains d’un exécutif largement irresponsable.
Enfin le gouvernement de l’Union ne peut dissoudre le Parlement et en appeler à l’arbitrage des citoyens.
Les exécutifs nationaux et européen s’affranchissent ainsi du contrôle parlementaire. Cette constitution foule aux pieds les principes fondateurs de la démocratie.

Une ligne politique, militaire, agricole et économique, constitutionnalisée

Le plus inacceptable car le plus anti-démocratique est le fait que le projet de constitution définisse sur plusieurs aspects une ligne politique, enlevant par là même aux citoyens de l’Union le droit et le pouvoir de choisir à tout moment la ligne politique commune.
Politique militaire

Ainsi le projet stipule, dès sa première partie consacrée à l’identité de l’Europe, que "la politique de l’Union" doit être "compatible avec la politique" arrêtée dans le cadre de l’OTAN (I-41-2), et que "au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies.. [...] Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’OTAN" (I-41-7). La constitution donne ainsi une reconnaissance constitutionnelle, en lui faisant allégeance, à l’OTAN. Cette reconnaissance constitutionnelle est totalement contraire au libre choix démocratique des Européens quant à leur politique commune de défense. De plus, c’est lier constitutionnellement la politique de l’Union à celle d’une organisation qu’elle ne contrôle absolument pas, même si elle y participe ; c’est donner aux membres de l’OTAN et notamment aux États-Unis qui la contrôlent le droit de définir, au moins en partie, la politique européenne de défense.
Le projet de constitution stipule ensuite que "les États membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires" (I-41-3). C’est un appel clair, et un engagement des États, à une hausse continue des budgets de la défense ; c’est amputer clairement le droit de chaque nation à définir son budget militaire.

Politique agricole

Le deuxième domaine où le projet de constitution définit une ligne politique est la politique agricole commune (PAC). L’article III-227-1 définit l’augmentation de la productivité de l’agriculture comme le premier but de la PAC, mais ne retient par exemple ni le maintien de l’emploi agricole ou le respect de l’environnement comme des buts. C’est clairement faire un choix politique, ce qui est tout à fait légitime pour un exécutif ou un parlement, mais non pour une constitution.

Politique économique

Le dernier domaine concerne les politiques économique, budgétaire, monétaire et commerciale qui sont définies et encadrées avec beaucoup de précision. Contrairement à toute autre constitution, tout au moins celles des démocraties occidentales, elle définit un système économique ; elle sacralise la concurrence, l’Europe étant fondée sur "un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée". Ce marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée est, au même titre que la liberté, la sécurité ou la justice, un objectif de l’Union (I-3-2) que les États membres doivent s’abstenir de mettre en péril (I-5-2). Il faut relever un changement radical entre les anciens traités qui laissaient le marché et la concurrence à leur rôle de moyens, certes prépondérants mais discutables par rapport aux objectifs, et ce projet qui en fait un objectif à part entière. La solidarité, quant à elle, n’est ni une valeur, ni un objectif de l’Union. Elle n’est un objectif de l’Union qu’entre les générations, entre les États membres (I-3-3), et entre les peuples (I-3-4), et donc pas entre citoyens. L’article I-4-1 classe sur un plan identique parmi les libertés fondamentales "la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux", périphrase reprise dans le préambule de la charte des droits fondamentaux (partie II). Cette exigence est le leitmotiv de tout le texte, le mot "marché" y figurant 78 fois, et le mot "concurrence" 27 fois (mais "progrès social" trois fois, "plein emploi" une seule fois, et "chômage" jamais). On détaillera plus loin cette sacralisation de l’ultra-libéralisme économique, auquel toutes les autres politiques sont subordonnées. La loi absolue du marché n’est plus une option à soumettre aux électeurs, mais un acquis constitutionnel, à ne pas discuter.
L’interdiction de toute entrave à la concurrence interdit d’aider certains acteurs nationaux et prive l’Union et les États membres de toute possibilité d’aider une entreprise, qu’elle soit en difficulté - avec des emplois à sauver - ou qu’elle présente un caractère industriel stratégique. Le budget doit être équilibré (I-53-2) et intégralement financé par les ressources propres de l’Union (I-54-2). Les États membres doivent respecter des taux de déficit public et de dette publique par rapport au produit intérieur brut, ce qu’on appelle le pacte de stabilité (III-184). Ces taux sont définis dans l’article 1 du protocole 10. L’Union peut imposer à l’État qui ne respecte pas ce pacte des amendes. L’Union ne peut donc pas mener une politique budgétaire de soutien à l’activité (déficits interdits). Enfin l’indépendance de la Banque centrale européenne prive l’Union de toute politique monétaire. L’Union se priverait ainsi elle-même, et donc ses citoyens, des trois principaux leviers économiques qui permettent à tous les États du monde de gouverner.
L’allégeance à l’OTAN, l’augmentation des dépenses militaires, les orientations de la politique agricole, et surtout la définition du modèle économique et la subordination des politiques dans les autres domaines à cette politique économique sont absolument inadmissibles dans une constitution démocratique. Non pas parce qu’elles expriment une ligne politique avec laquelle nous ne serions pas d’accord, mais parce qu’une constitution démocratique ne doit privilégier a priori aucun choix politique. À moins bien sûr d’avoir une acception du mot démocratie telle que celle en vigueur jadis en Union soviétique et dans les "démocraties" populaires de l’Europe de l’Est, pays "démocratiques" où les constitutions définissaient la politique économique ("économie sociale de production") et y subordonnaient toutes les autres politiques.

Un projet contre la démocratie

Un projet de constitution qui a peu de légitimité pour ne pas s’être appuyé sur une vraie constituante, un projet non révisable, l’absence de référence au peuple européen seul souverain et seule source de légitimité d’une constitution européenne, l’absence de séparation des pouvoirs, l’absence de contrôle parlementaire, enfin la définition a priori de politiques militaire, agricole, économique, font de ce projet de constitution un texte qui ne respecte pas les acquis fondamentaux de l’histoire de l’État constitutionnel, un projet non démocratique.
La démocratie n’est pas éternelle, elle est même extrêmement fragile. En la croyant invulnérable, nous sommes en train de la laisser perdre. Comme le disait P. Mendès-France à l’Assemblée Nationale en 1957, "l’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes : soit elle recourt à une dictature interne par la mise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit [elle recourt] à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car, au nom d’une saine économie, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale..., finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale".

8. "Une économie de marché ouverte où la concurrence est libre"

Le projet de constitution fait quelques appels louables à un vague "développement durable de l’Europe" (I-3-3), comme de la planète. L’Union "contribue [...] au commerce libre et équitable" (I-3-4), associant ainsi deux mots contradictoires. Le thème de l’économie de marché, ouverte, "hautement compétitive", où "la concurrence est libre et non faussée" infuse tout le projet et est répété à satiété. À cette aune, toute aide publique accordée à un secteur économique, tout service public, tout code du travail même, est une entrave à la "libre concurrence".
Le projet instaure une politique économique des États membres conduite "conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre" (III-177). Un mécanisme économique, la concurrence, est érigé en principe d’organisation de la société. Le "marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée" est mis sur le même plan (I-3-2) que des valeurs morales, des libertés politiques ou des objectifs sociaux (l’égalité, la solidarité, la justice, la cohésion sociale...) dont on sait par expérience qu’ils sont peu compatibles avec une société basée sur la concurrence. Ce projet de constitution européenne organise concrètement la mise en oeuvre d’un principe et d’un seul, celui de la concurrence libre et non faussée. C’est le seul principe pour lequel on précise que les politiques doivent, non pas le « prendre en compte », mais le « respecter ». Il est proposé que la concurrence, qui est souvent une réalité lointaine sur des marchés dominés par des monopoles privés, devienne la loi régissant les rapports sociaux entre les hommes et les rapports entre les États.
Une politique monétaire sans contrôle des citoyens ou de leurs représentants

La monnaie de l’Union est l’euro (I-8), alors que 13 des 25 États membres ont une autre monnaie.
La politique monétaire de la zone euro est du ressort exclusif de la Banque centrale européenne, indépendante de tout contrôle des citoyens ou de leurs représentants, dont l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix (I-30-2, III-177, III-185). C’est elle qui fixe les taux d’intérêt, contrairement à la Réserve fédérale américaine des États-Unis où les taux de change sont du ressort exclusif de la Maison Blanche qui peut obliger la Réserve fédérale à modifier ses taux d’intérêt. Ainsi les instruments traditionnels de la gestion macro-économique sont soit inexistants soit empêchés. De ce fait, les ajustements des économies nationales ne peuvent se faire que par des variations de prix et de coûts relatifs. D’où l’insistance sur la suppression des obstacles à la concurrence au risque de voir les inégalités se creuser davantage, les services publics et la protection sociale se réduire comme peau de chagrin. L’Europe se prive ainsi de tout moyen de réagir en cas de chocs externes.
La promotion de l’emploi et la formation ne font pas partie des missions de la Banque centrale européenne dont la mission est de rendre la zone euro attractive pour les investisseurs.
Modifier les attributions ou les missions de la Banque centrale exige une révision de la constitution et donc l’unanimité des 25 États membres (IV-443), y compris les pays qui n’ont pas l’euro comme monnaie. Un seul pays, non membre de la zone euro, serait donc en mesure d’interdire aux pays de la zone euro de changer de politique monétaire si ceux-ci le souhaitent unanimement !

De la libre circulation des capitaux au délire libéral

On a vu que la "libre circulation des capitaux" hante tout le projet constitutionnel. "Les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites" (III-156). Cependant, pour établir des mesures qui constitueraient "un recul dans le droit de l’Union en ce qui concerne la libéralisation des mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers, le Conseil statue à l’unanimité" (III-157-3), ce qui rend théoriquement possible mais hautement improbable toute taxe sur les transactions financières, type taxe Tobin. Ce type de taxe reste cependant anticonstitutionnel et donc strictement interdit entre les 12 pays de la zone Euro et les autres États membres. Par contre les États sont encouragés à intervenir (fait rare) pour aller plus loin dans la libéralisation (III-148).
Cette constitution part de l’axiome que le meilleur moyen de réaliser l’accroissement du bien-être de la population est la concurrence. Il n’est pas une activité économique qui ne doive échapper à la concurrence libre, et à terme pas une activité humaine, puisque toute activité humaine est susceptible de faire l’objet de rapports économiques.
Ainsi, si on veut avoir une idée du délire libéral qui a atteint les rédacteurs de ce projet, on se reportera à l’article III-131 qui indique que "en cas de trouble intérieur grave affectant l’ordre public, en cas de guerre ou [...] de menace de guerre", les États se consultent "pour éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit affecté". Aucune disposition n’est prévue pour assurer prioritairement le maintien de la paix, si nécessaire au détriment du marché intérieur.
Le projet, en sacralisant le principe de "concurrence libre et non faussée", revient sur la préférence communautaire, inscrite dans le traité de Rome pour l’agriculture et la pêche. Ce projet constitutionnel calque surtout la politique commerciale commune, c’est-à-dire vis-à-vis de l’extérieur, sur celle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à moins que ce ne soit l’inverse : "l’Union contribue [...] à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres" (III-292-2-e, III-314). Cela signifie que l’Union vise à prohiber toute forme de protection. Présenté dès l’article I-3-4 comme une "valeur" de l’Union dans ses rapports au "reste du monde", le commerce libre devient le credo unique de l’Union dans sa politique commerciale. Les coopérations renforcées entre États membres (pour aller plus loin au sein d’un groupe plus restreint de pays) ne sont possibles que si elles ne portent pas atteinte au marché intérieur, si elles ne constituent "ni une entrave, ni une discrimination aux échanges entre États membres", et si elles ne provoquent pas "de distorsion de concurrence entre ceux-ci" (III-416).

Bolkestein dans le droit-fil du traité constitutionnel

La politique de recherche de l’Union n’a aucun objectif de création de connaissances, de maîtrise des évolutions de la société et des problèmes qui lui sont posés. Elle ne vise que "à favoriser le développement de la compétitivité" (III-248-1), la multiplication des partenariats entre recherche privée et recherche publique (III-249-a), la stimulation de la mobilité des chercheurs (III-249-d). La recherche fondamentale est totalement ignorée. Ce projet va donc à l’encontre des conclusions des récentes Assises des États généraux de la recherche française, mais ce n’est ni un projet gouvernemental, ni un projet de loi, mais une constitution.
L’harmonisation de la fiscalité des entreprises au sein de l’Union exige l’unanimité du Conseil des ministres (III-171 et 173), ce qui la rend de fait impossible. Cela pousse à la concurrence fiscale entre pays, c’est-à-dire à terme à l’imposition zéro des entreprises. Par contre le projet de constitution promeut "la mobilité géographique et professionnelle des travailleurs" ainsi que leur "adaptation aux mutations industrielles" (III-219-1). De même les lois sur l’environnement exigent l’unanimité du Conseil (III-234-2). L’article III-247-1-c conditionne le soutien de l’Union à des projets de réseaux trans-européens de transport, de télécommunication ou d’énergie à "leur viabilité économique", c’est-à-dire à leur rentabilité immédiate, plutôt qu’à leur utilité économique à long terme ou à leur utilité sociale ou environnementale. Il en est de même pour la politique industrielle de l’Union (III-279-3). L’emploi, le développement humain et social, l’environnement ne sont pas mentionnés dans les nombreux articles traitant de politique économique et monétaire.
La politique sociale est subordonnée à "la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union" (III-209) et doit éviter "d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques" aux PME (III-210-2-b). Le projet de directive Bolkestein est dans le droit-fil du projet de constitution et en est une excellente illustration. Il vise à libéraliser les services dans l’Union, en leur appliquant le principe du pays d’origine quant aux droits sociaux. Ainsi une agence de placement ou un cabinet de conseil pourraient établir leur siège social dans un pays à faible protection sociale et fournir leurs services en France par exemple sans avoir à respecter le droit à la sécurité sociale ou à la retraite. On a vu que l’article I-4-1 et le préambule de la charte des droits fondamentaux en partie II réduisaient les libertés fondamentales à "la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux" (à quand une déclaration des droits de l’homme et des marchandises ?). Plus explicitement encore, dans la "sous section 3 - Liberté de prestation des services", l’article III-144 dit que "dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation". Les travailleurs peuvent circulerlibrement sans discrimination en ce qui concerne "l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail" (III-133). En revanche, dans cet article et ceux qui suivent, rien n’est dit sur la discrimination liée à la protection sociale des travailleurs. Le projet de traité affirme par ailleurs que l’Union Européenne s’en remet au marché pour "favoriser l’harmonisation des systèmes sociaux" (III-209), que toute harmonisation sociale entre États membres est explicitement exclue (III-210-2-a), et que "les États membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne [...]. La Commission adresse aux États membres intéressés des recommandations à cet effet" (III-148). Absolument rien ne s’oppose donc à la directive Bolkestein dans le projet de constitution, bien au contraire. D’ailleurs une autre directive "concernant l’accès aux marchés des services portuaires" est dans les tiroirs de la Commission, avec le même principe du pays d’origine...

Si ce projet de constitution est adopté, l’Europe aura ainsi réalisé en grande partie la vieille utopie des libéraux les plus radicaux : soustraire la décision économique au pouvoir du législateur, placer l’économie hors de portée de la responsabilité politique, soumettre toutes les politiques à l’exigence de la concurrence libre et non faussée, et finalement soustraire l’essentiel de la décision politique au pouvoir des citoyens, seuls dépositaires du pouvoir en démocratie.

Robert Joumard