Commentaire Lecourieux : L’union douanière, zone de libre-échange et tarif extérieur commun

, par Alain Lecourieux

Les pouvoirs fédéraux de l’Union européenne

L’union douanière,
zone de libre-échange et tarif extérieur commun

Une pièce maîtresse du « carré libéral » de l’Union européenne

28 février 2005

Picasso, Matisse l’admiraient.
De Picasso, le douanier Rousseau disait :
« Nous sommes les deux plus grands peintres de ce siècle,
Picasso dans le style égyptien, et moi dans le style réaliste ».


« Là où il y a du commerce, il y a des douanes. L’objet du commerce
est l’exportation et l’importation des marchandises en faveur de l’Etat,
et l’objet des douanes est un certain droit sur cette même exportation
et importation, aussi en faveur de l’Etat »
Montesquieu (1689 - 1755), Esprit des lois , 1748

I. L’union douanière, pouvoir fédéral de l’Union européenne

L’union douanière est avant tout un composant essentiel du marché intérieur de l’Union européenne. L’union douanière est une zone de libre-échange dotée d’un tarif extérieur commun. C’est le tarif extérieur commun qui transforme une zone de libre-échange en union douanière. L’Union européenne a développé aussi une politique commerciale commune avec les pays tiers qui est un complément de l’union douanière. L’union douanière est un élément central de cette politique commerciale.

L’union douanière et la politique commerciale commune sont deux des cinq compétences exclusives ou pouvoirs fédéraux de l’Union européenne ; les trois autres sont les règles de la concurrence, la politique monétaire et la conservation des ressources biologiques de la mer.

Ce document propose une analyse de l’union douanière. D’autres documents sur le site d’Attac traitent de la politique commerciale commune qui n’est ici qu’effleurée.

Le premier objet du Marché commun a été de créer entre les Etats membres une union douanière à l’intérieur de laquelle les échanges sont libres de toute entrave mais séparés des pays tiers par une frontière commune. Cette frontière limite un territoire douanier défini par le tarif douanier ou tarif extérieur commun (TEC) et l’application d’un code des douanes communautaires.

L’article 9 du Traité de Rome (Traité instituant la Communauté européenne - TCE) stipule : « La Communauté est fondée sur une union douanière qui s’étend à l’ensemble des échanges de marchandises, et qui comporte l’interdiction, entre les Etats membres, des droits de douane à l’importation et à l’exportation et de toutes taxes d’effet équivalent, ainsi que l’adoption d’un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers. »

II. Le territoire douanier

Le territoire douanier est fixé par le traité de Rome (article 299 du TCE), par un règlement du Conseil du 23 juillet 1984, modifié en 1985 et 1988, et par le code des douanes communautaires (art. 3). Il comprend les vingt-cinq Etats membres de l’Union européenne à l’exception de certains territoires « ultrapériphériques » ; les territoires d’outre-mer et les collectivités territoriales de la France en sont, par exemple, exclus. Il comprend également des Etats et territoires qui ne sont pas membres de l’Union comme Monaco, Saint-Marin, Jungholtz et Mittelberg, ainsi qu’Andorre (ce dernier, pour les seuls produits manufacturés). Font également partie du territoire douanier la mer territoriale, les eaux intérieures maritimes et l’espace aérien des Etats membres de l’Union européenne.

III. Le tarif extérieur commun (TEC)

Qu’est-ce que le TEC ?

Le tarif extérieur commun s’est substitué aux tarifs nationaux (droits de douane notamment) ; il est constitué par l’ensemble des droits appliqués aux importations sur le territoire de la Communauté de produits en provenance de pays tiers. Pour certains produits agricoles le TEC a été remplacé par des prélèvements agricoles. Les ressources qui proviennent du TEC et des prélèvements agricoles forment une partie des ressources propres et du budget de l’Union européenne.

Les droits de douane résultant du TEC, ressource propre de l’Union européenne

Les quatre catégories de ressources propres de l’Union européenne sont :


 les droits de douane résultant du TEC qui représentaient 10,4 % des ressources de l’Union en 2004 ;

 les prélèvements agricoles (1,3% en 2004) ;

 les prélèvements sur la TVA des Etats membres (14,1%) ;

 les prélèvements sur le Produit national brut (PNB) des Etats membres (73,4%).

La baisse considérable des ressources propres résultant du TEC

Le total des droits de douane et des prélèvements agricoles représentait 29,1% des ressources propres de l’Union européenne en 1988 contre 11,7% en 2004. Cette baisse considérable résulte de la libéralisation des échanges commerciaux mondiaux et de la baisse concurrente des droits de douane dans le cadre de la politique commerciale commune de l’Union européenne, des traités commerciaux bilatéraux et multilatéraux ainsi que des traités et accords du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) que l’Union européenne a conclus (lire les documents de la rubrique « politique commerciale » du site d’Attac).

L’instauration du TEC, le 1er juillet 1968, et du code des douanes communautaires, le 12 octobre 1992

Le TEC a été progressivement mis en place selon les règles du traité de Rome ; il résulte d’un règlement du Conseil du 28 juin 1968. Le TEC est entré en vigueur le 1er juillet 1968. Le Conseil a adopté, le 12 octobre 1992, un règlement établissant le code des douanes communautaires qui unifie tous les textes relatifs à la réglementation douanière.
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La préférence communautaire en matière agricole et les prélèvements agricoles

La préférence communautaire consiste à donner la priorité à la production communautaire par rapport aux importations en provenance des pays tiers à la Communauté, en utilisant trois instruments principaux : les droits de douane, les prélèvements et les restitutions.

En principe le TEC s’applique aux produits agricoles importés de l’extérieur de la Communauté. Mais, pour les produits agricoles qui sont soumis à des organisations de marchés, le TEC est remplacé par un prélèvement agricole.

Le prélèvement agricole permet de faire respecter la préférence communautaire. Il n’est pas un droit de douane, mais une taxe différentielle concernant les importations dont les prix sont inférieurs à ceux de la Communauté et dont le montant est fixé par la Commission sous forme de règlement pour chaque produit ; il représente en général la différence entre le « prix de seuil » et le prix du produit importé.

Les exportations agricoles dont les prix sont supérieurs aux prix européens bénéficient au contraire de « restitutions ».

La préférence communautaire en matière agricole tend de plus en plus à être remise en cause par la conclusion d’accords préférentiels avec certains pays ou groupe de pays et par les traités et accords conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce - OMC (lire à ce propos les autres documents dans la rubrique « politique commerciale » du site d’Attac).

La nomenclature combinée et le tarif douanier commun

Le tarif douanier est fondé actuellement sur la « nomenclature combinée » instituée par le Conseil du 23 juillet 1987. La nomenclature combinée comprend une liste précise de tous les types de marchandises pouvant entrer sur le territoire de la Communauté et précise les droits de douane qui leur sont applicables.
La nomenclature combinée, les taux et les dispositions du tarif intégré des Communautés européennes (TARIC) constituent le tarif douanier commun.

IV. L’assouplissement du Tarif extérieur commun (TEC)

La modification et la suspension du TEC

Le TEC n’est pas intangible et peut être modifié ou suspendu temporairement à la suite de décisions autonomes de l’Union (art. 26 - TCE) ou de négociations tarifaires avec les pays tiers (art. 133 - TCE).

Le TEC et la politique commerciale commune

Le Traité de Nice demande au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les accords résultant de négociations tarifaires internationales soient compatibles avec les politiques communautaires (art. 133-3). La Commission conduit les négociations dans le cadre des instructions que le Conseil peut lui adresser ; à cet effet elle tient informé et consulte un comité spécial désigné par le Conseil ; ce comité est connu sous le nom de comité 133. L’article 133-3 du TCE a étendu à ces négociations « la conclusion d’accords entre la Communauté et un ou plusieurs Etats ou organisations internationales » définie par l’article 300 du TCE.

Les régimes de préférence et les contingents tarifaires

Le TEC peut être assoupli selon deux modalités principales : les régimes de préférences et les contingents tarifaires.

Les régimes de préférence (ou régimes préférentiels) instituent des droits réduits ou nuls dans le cadre d’accords commerciaux ou de régimes d’association. C’est le cas, par exemple, du régime préférentiel accordé aux Etats Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) par les Conventions de Lomé. Mais il y a bien d’autres exemples dans le cadre des relations extérieures privilégiées de l’Union (lire le document sur les relations privilégiées dans la rubrique « politique de voisinage » du site d’Attac).

Les contingents tarifaires instituent des droits réduits ou nuls pour des quantités déterminées. Ils ne sont pas des restrictions quantitatives ; les Etats membres peuvent importer des produits excédant le contingent mais les produits excédant le contingent sont alors soumis aux droits normaux du TEC.
Sous la pression des Etats membres les plus libéraux et notamment celle du Royaume-Uni et des Pays-Bas, un régime de préférences généralisées a été accordé à partir du 28 juin 1971 par la Communauté aux pays en voie de développement ainsi qu’à un certain nombre de pays tiers comme l’Australie, la Nouvelle-zélande, le Canada et l’Argentine

V. L’unification douanière

L’harmonisation des législations douanières

Les produits importés de pays tiers sont en libre pratique dans l’Union européenne dès qu’ils ont été soumis aux formalités de douane : ils peuvent notamment circuler librement dans l’Union. La logique du marché intérieur et du TEC a conduit à l’harmonisation des législations douanières des Etats membres à partir du 1er janvier 1958 ; cette harmonisation a donné lieu à de très nombreux textes, directives et règlements, touchant tous les aspects de la législation douanière.
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Le code des douanes communautaires

Le 12 octobre 1992 toutes les dispositions précédentes ont été remplacées par un code des douanes communautaires.
Ce code traite des droits et des obligations des personnes au regard de la législation douanière, des tarifs, de l’origine, de la valeur en douane, des procédures, des régimes douaniers, etc. Il regroupe l’ensemble des règles relatives à l’application des mesures tarifaires, concernant les échanges entre la Communauté et les Etats tiers.

VI. L’union douanière dans la Constitution européenne

L’union douanière dans les objectifs et libertés fondamentales de l’Union

Comme composant essentiel du marché intérieur, l’union douanière apparaît dans la Constitution dès l’article I relatif aux objectifs de l’Union (I-3-2) : « L’Union offre à ses citoyens [...] un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. »

Elle fait partie des libertés fondamentales (I-4) : « La libre circulation [...] des marchandises est garantie par l’Union et à l’intérieur de celle-ci, conformément à la Constitution. » Elle est une compétence exclusive de l’Union (I-13-1-a). «  [...] seule l’Union peut légiférer [en matière d’union douanière] et adopter des actes juridiquement contraignants. » (I-12-1). L’exercice de cette compétence exclusive est régi par les articles I-33 à I-39 et dispose de tous les instruments juridiques et non juridiques de l’Union.

L’union douanière, pièce maîtresse du marché intérieur

L’union douanière est concernée par les dispositions du marché intérieur (chapitre I - III-130 à III-176).

A l’intérieur de ce chapitre les articles III-151 à III-155 sur la libre circulation des marchandises traitent spécifiquement de l’union douanière (III-151) et de la coopération douanière (III-152 à III-155). Les articles III-151 à III-155 reprennent, à l’identique, les articles correspondants du traité actuel, le traité de Nice (TCE et TUE modifiés).

Voici un résumé de ces articles.

La définition de l’union douanière, zone de libre-échange et tarif extérieur commun

L’union douanière s’étend à l’ensemble des échanges des marchandises ; elle interdit, entre les Etats membres, les droits de douane à l’importation et à l’exportation et toutes taxes d’effet équivalent ; elle comprend un tarif douanier commun avec les pays tiers (III-151-1). Les droits de douane à caractère fiscal sont interdits (III-151-4). Les produits en provenance des pays tiers sont en libre pratique dès que les formalités d’importation ont été accomplies (III-151-3).

Le Parlement européen absent

Sur proposition de la Commission européenne le Conseil adopte à la majorité qualifiée les règlements ou décisions européens qui fixent les droits du tarif douanier commun (III-151-5).

Les prescriptions et politiques libérales et libre-échangistes constitutionnalisées

L’article II-151-6 constitutionnalise des prescriptions et politiques libérales à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union européenne. Dans l’exercice des missions relatives à l’union douanière, la Commission européenne :
promeut les échanges commerciaux entre les Etats membres et les pays tiers ;
accroît la compétitivité des entreprises par les conditions de concurrence à l’intérieur de l’Union ;
assure l’approvisionnement de l’Union en matières premières et demi-produits tout en veillant à ne pas fausser entre les Etats membres les conditions de concurrence en ce qui concerne les produits finis ;
évite les troubles sérieux dans la vie économique des Etats membres et assure un développement rationnel de la production et une expansion de la consommation dans l’Union

La coopération douanière par la loi ou la loi-cadre européenne et le rôle premier de la Commission

« Dans les limites du champ d’application de la Constitution, la loi ou la loi cadre européenne établit des mesures pour renforcer la coopération douanière entre les Etats membres et entre ceux-ci et la Commission. » (III-152)

L’interdiction des restrictions quantitatives entre les Etats membres et pour les produits, en libre pratique, en provenance des pays tiers

« Les restrictions quantitatives tant à l’importation qu’à l’exportation, ainsi que toute mesure d’effet équivalent, sont interdites entre les Etats membres » (III-153)

Cette interdiction s’applique également aux produits en provenance de pays tiers, une fois que ces produits se trouvent en libre pratique dans les Etats membres (III-151-2).

Les monopoles nationaux, les organismes d’Etat, les monopoles d’Etat délégués soumis à toutes les règles de l’union douanière

Tous les organismes dans lesquels « un Etat membre, de jure ou de facto, contrôle, dirige ou influence sensiblement, directement ou indirectement, les importations ou les exportations entre les Etats membres » ainsi que « les monopoles d’Etat délégués » sont soumis aux dispositions de l’union douanière au travers de « l’exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des Etats membres. » (III-155)

VII. L’insertion de l’union douanière dans le « carré libéral » de l’Union européenne

Le « carré libéral » de l’Union européenne est un ensemble de politiques et un jeu de contraintes constitués par :

le marché : hégémonie du « tout marché, contraintes européenne et mondiale ;

la monnaie : taux d’intérêt élevé et capitalisme patrimonial ;

la concurrence : libéralisations et concurrence entre les Etats membres ;

le budget de l’Union et des Etats membres : orthodoxie.

Le « carré libéral » prescrit des politiques et exerce des contraintes précises et puissantes. Il laisse comme seules marges de manœuvre aux Etats membres les domaines fiscal, social et environnemental (lire le document sur le « carré libéral » sur le site d’Attac).

Par ses dispositions libérales l’union douanière est une pièce maîtresse du « carré libéral » de l’Union européenne.

Ce document n’est pas une condamnation de l’union douanière en soi, mais une analyse critique de ses modalités et de la place relative du marché et de la solidarité dans l’Union européenne. On peut et il faut imaginer d’autres dispositions qui permettent de larges échanges marchands et non marchands d’une part entre les Etats membres et d’autre part entre l’Union et les pays tiers. Ce doit être une des propositions de l’Union européenne solidaire (lire les documents de la rubrique « L’Europe que nous voulons « sur le site d’Attac).

Alain Lecourieux