Argumentaire Malhouitre : Le PS et la directive Bolkestein
Le PS et la directive Bolkestein
Par Lia Malhouitre
Lia Malhouitre est syndicaliste CGT 04
Le projet de directive Bolkestein, visant à créer un véritable marché intérieur des services, trouve son origine dans l’Acte Unique, signé et ratifié en 1986. Dix-huit ans après l’Acte Unique la Commission européenne a constaté que la libre circulation des services n’avançait pas. Par ailleurs "étendre les bienfaits du marché intérieur et de la libre circulation au secteur des services est un des objectifs essentiels de la "Stratégie de Lisbonne" qui vise à accroître la compétitivité et l’emploi dans l’Union".
En janvier 2004, M. Bolkestein, membre néerlandais de la Commission européenne, a présenté une proposition de directive sur la libéralisation du marché des services dans l’Union européenne. Le projet Bolkestein a été adopté à l’unanimité par tous les membres de la Commission européenne. Rappelons pour mémoire que les deux membres d’origine française étaient Pascal Lamy, socialiste, et Michel Barnier, chiraquien. Que le sémillant M. Barnier n’ait pas saisi immédiatement ce qui semble préoccuper aujourd’hui M. Chirac dans ce texte, c’est excusable ... mais que l’inestimable Pascal Lamy, spécialiste des affaires européennes et grand connaisseur de la libéralisation du commerce des services, ait approuvé sans broncher un texte qui donne aujourd’hui des sueurs froides à François Hollande ne laisse pas de surprendre !
Toujours est-il que si Raoul-Marc Jennar et les socialistes belges n’avaient pas tiré la sonnette d’alarme au mauvais moment pour la ratification de la Constitution européenne la directive Bolkestein n’aurait pas dépassé le cercle des altermondialistes et autres empêcheurs de tourner en rond. Il n’est pas loin le temps où ceux qui évoquaient Bolkestein dans le débat interne au PS sur la Constitution européenne s’entendaient répondre que cela n’avait rien à voir.
Mais les tenants du "non" ayant voulu en faire un de leurs chevaux de bataille, un certain nombre de socialistes pour le "oui" ont commencé à s’agiter et ont pris les devants en lançant le mot d’ordre : "oui à la Constitution et lutte sans concession à Bolkestein". Suivant le principe qu’une couleuvre cela va, deux couleuvres bonjour les dégâts ...Une bonne manœuvre, sans risques d’ailleurs pour la directive Bolkestein, compte tenu du fait qu’elle devrait être adoptée bien avant l’entrée en vigueur de la Constitution européenne... mais après le référendum en France. On aurait donc pu en rester là : une couleuvre à la fois.
C’était compter sans Bernard Poignant, Président de la délégation socialiste française au Parlement européen. M. Poignant, spécialiste des subtilités des textes européens, est formel : voter oui à la Constitution c’est le meilleur rempart contre la directive Bolkestein. Fort de son analyse M. Poignant a décidé de la faire partager par tous les militants socialistes, "preuves" à l’appui. A commencer par ceux qui rédigent l’HEBDO du PS. Ainsi, dans le numéro de ce journal daté du 5 février un encadré explique "Pourquoi cette directive est "anti-constitutionnelle".
M. Poignant est certainement beaucoup plus familier que moi de la jurisprudence de la Cour de Justice des C.E. Néanmoins je vais tenter une analyse "juridique" des raisons pour lesquelles, d’après l’HEBDO du PS, la directive Bolkestein serait contraire au Traité constitutionnel.
La règle veut que dans l’Union européenne l’on applique les traités et autres textes au fur et à mesure qu’ils sont ratifiés et à la date à laquelle ils entrent en vigueur. L’Acte Unique de 1986 est pour l’instant une réalité incontournable. Il en est de même de la "Stratégie de Lisbonne", comme du Traité de Nice qui, quoi qu’il arrive, sera d’application jusqu’au 1er novembre 2009. La directive Bolkestein peut être adoptée en toute légalité dans ces cadres et aucun recours n’aurait de sens. Par ailleurs on ne voit pas bien en quoi le nouveau traité constitutionnel modifierait le mode d’adoption de la directive Bolkestein étant donné que tout ce qui concerne le grand marché intérieur est soumis à une décision à la majorité qualifiée, dans le traité de Nice comme dans le traité constitutionnel.
Cette directive - dit l’HEBDO - contredirait les dispositions de l’article I-3 de la Constitution européenne qui prévoit que "l’Union œuvre pour une économie sociale de marché qui tend au plein emploi et au progrès social ...un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ...Elle promeut la justice et la protection sociales". Voyons cela de plus près. Pourquoi des petits points empêchent les militants socialistes de se remettre exactement en mémoire l’article en question ? C’est l’article de la Constitution qui fixe les objectifs de l’Union. Premier objectif la paix. Deuxième objectif un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. Troisième objectif un développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive ...etc.
Si les socialistes français envisagent la possibilité de demander à la Cour de Justice européenne de se prononcer sur la prééminence de certains objectifs de l’Union par rapport à d’autres il est probable que les juges de Luxembourg liront la totalité de l’article I-3. Qui dit en son cinquième et dernier paragraphe "L’Union poursuit ses objectifs par des moyens appropriés, en fonction des compétences qui lui sont attribuées par la Constitution". La Constitution attribue beaucoup de compétences à l’Union pour la réalisation du grand marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. La Constitution attribue beaucoup de compétences à l’Union pour préserver la stabilité des prix. La Constitution n’attribue pas de compétences à l’Union pour atteindre le plein emploi et encore moins pour promouvoir le progrès social et autres merveilles. Ces merveilles, sans les moyens nécessaires pour les atteindre, sont justement censées découler toutes seules de la mise en oeuvre de textes tels que la directive Bolkestein.
Je passe sans m’attarder sur la mention de l’article III-172 qui n’a pas grand chose à voir avec la directive Bolkestein. Et j’en viens à l’article III-209 qui, d’après l’HEBDO du PS, "ambitionne que le fonctionnement du marché intérieur permette l’égalisation dans le progrès des conditions de vie et de travail". Ce n’est pas ce que dit l’article III-209. Cet article n’ambitionne rien du tout. Il se borne à un énième et inutile coup de chapeau aux objectifs sociaux avant de préciser que l’Union et les Etats membres estiment que c’est le fonctionnement du marché intérieur qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux. Raison de plus, d’un point de vue juridique, pour considérer la directive Bolkestein comme un bienfait social !
Et d’ailleurs, je signale aux socialistes français désireux d’en découdre avec Bolkestein devant la Cour de Justice européenne qu’ils n’ont pas besoin d’attendre l’éventuelle ratification de la Constitution européenne pour le faire : depuis le Traité de Rome de 1957, les textes en vigueur aujourd’hui précisent bien que "l’Union s’assigne pour but essentiel l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi de ses peuples" et donnent pour mission à la Communauté "un niveau d’emploi et de protection sociale élevé".
Quant au dernier argument mis en avant par l’HEBDO il est presque trop beau pour être vrai. La directive Bolkestein "prend de vitesse" l’objectif de protection des services publics ... qui n’existe pas dans la Constitution ! Que dit la Constitution ? Elle dit qu’une loi-cadre européenne PEUT (mais ne doit pas forcement ...) fixer les principes et conditions de fonctionnement des "services d’intérêt économique général". En toute logique c’est à partir de 1986 que la France aurait dû exiger de la Commission une loi-cadre européenne lui permettant de préserver ses services publics. Ni la Commission présidée par Jacques Delors de 1985 à 1995 ni les Commissions suivantes n’ont considéré une telle proposition comme une priorité. Mais maintenant que l’éventualité de cette problématique possibilité va s’ouvrir en 2009, quand des services publics à la française il ne restera plus rien, les socialistes français s’énervent contre Bolkestein. Mais pourquoi ?
Lia Malhouitre