Argumentaire Lecourieux : "Constitution européenne ou l’Union sous influence américaine "
Constitution européenne ou l’Union sous influence américaine
La Politique étrangère et de sécurité commune
Eléments du débat
Version provisoire - 5 février 2005
« Il est juste que ce qui est juste soit suivi. Il est nécessaire [1] que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste.
La justice est sujette à dispute [2], la force est reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. »
Blaise Pascal - Les Pensées - 1657
I. Historique (1951 - 2003) : l’Union européenne, nain politique
I.1 - L’échec de la Communauté européenne de défense (CED)
Inspirée par Jean Monnet la Communauté européenne de défense (CED) est proposée par la France dans le cadre du plan Pleven. Négocié à Paris en 1951, le traité de la CED est signé le 27 mai 1952.
Ses objectifs sont purement défensifs (art. 2) « en participant à la défense occidentale dans le cadre du traité de l’Atlantique nord et en réalisant l’intégration des forces de défense des Etats membres. » La CED repose sur le principe que toute agression contre l’un des membres est interprétée comme une agression contre tous les membres. L’armée européenne devait être composée de contingents nationaux mise à la disposition de la CED. Les six Etats membres concernés (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg) engagent même, au-delà de la question de la défense, des négociations sur la création d’une Communauté politique européenne disposant d’un Parlement composé de deux chambres, d’un Conseil exécutif européen et d’un Conseil des ministres.
Le 30 août 1954, le rejet par l’Assemblée nationale française de la CED condamne pour longtemps l’Europe de la défense, en dépit de la ratification du traité par les cinq autres Etats (cf. un complément sur le refus de la ratification de la CED, en annexe).
I.2 - L’impuissance de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC)
En 1992 le traité de Maastricht (Traité de l’Union européenne - TUE) institue la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il s’agit d’un prolongement de la Coopération politique européenne (CPE) commencée en 1969 qui consistait en des échanges d’informations et en une concertation entre les ministres des affaires étrangères des Etats membres. Les objectifs de la PESC (art. 11 du TUE) sont alors :
– la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux et l’intégrité de l’Union ;
– le renforcement de la sécurité de l’Union ;
– le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale ;
– la promotion de la coopération internationale ;
– le développement et le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Pour atteindre ces objectifs, l’Union peut recourir à de nouveaux instruments juridiques : la position commune et l’action commune, toutes décidées à l’unanimité du Conseil des ministres. La position commune consiste à définir et rendre publique une position de l’Union. L’action commune définit les objectifs, la durée et les moyens que doivent fournir l’Union et les Etats membres.
En 1997 le traité d’Amsterdam (TUE modifié) complète ce dispositif en instituant la stratégie commune qui n’est autre qu’une action commune décidée au niveau du Conseil européen ; la stratégie commune est décidée, elle aussi, à l’unanimité. A noter : le Conseil européen est composé des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres et du président de la Commission européenne.
Le traité d’Amsterdam crée le poste de Haut Représentant pour la PESC ainsi qu’une Unité de planification de la politique et d’alerte rapide (UPPAR).
Ce traité modifie le mode de décision par une clause d’abstention constructive. Les Etats membres qui s’abstiennent lors d’un vote du Conseil peuvent assortir leur abstention d’une déclaration formelle. Ils ne sont alors pas tenus d’appliquer la décision. Si les Etats membres qui recourent à l’abstention constructive représentent plus d’un tiers des voix pondérées, la décision du Conseil n’est pas adoptée.
Cette innovation ne supprime pas le droit de veto dont dispose chaque Etat membre.
Les traités de Maastricht et d’Amsterdam excluent la PESC du champ d’application des coopérations renforcées.
Enfin ils comportent une clause passerelle qui permet, par une décision à l’unanimité, de déterminer les questions qui sont décidées à la majorité qualifiée. Le traité d’Amsterdam a introduit la majorité qualifiée pour les positions ou actions communes qui résultent directement de stratégies communes, décidées elles à l’unanimité.
I.3 - La Politique de défense commune n’est pas la défense collective des pays européens contre une agression extérieure
Le traité de Maastricht
Le traité de Maastricht (TUE) reconnaît la compétence de l’Union dans le domaine de la défense (article 14) : « La PESC inclut l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union européenne, y compris la définition à terme d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune. »
Cette reconnaissance est largement virtuelle pour deux raisons :
– l’action commune est exclue de la politique de défense commune ;
– l’Union doit recourir à l’Union de l’Europe occidentale (UEO) pour mener une action effective (cf. un petit développement sur l’UEO en annexe).
Le traité de Maastricht précise dans la déclaration n°30 : « L’UEO sera développée en tant que composante de défense de l’Union européenne et comme moyen de renforcer le pilier européen de l’Alliance atlantique [...] [L’UEO est chargée] d’élaborer et de mette en œuvre des décisions et actions de l’Union qui ont des implications dans le domaine de la défense. »
Dès lors, l’UEO, et en son sein le Groupe armement de l’Europe occidentale (GAEO - cf. l’annexe sur l’UEO) est considérée comme le bras armé de l’Union.
L’OTAN
Depuis 1992 la majorité des Etats membres refusent que la Politique de défense commune ne se construise en concurrence avec l’OTAN (cf. annexe). Or un des axes de développement de l’OTAN consiste à développer le pilier européen de l’Alliance au travers notamment des groupes de forces interarmées (GFIM). Les GFIM reposent sur la mise à disposition des moyens collectifs de l’OTAN pour les opérations de l’UEO, menées dans le cadre de la PESC. En 1996 le sommet atlantique de Berlin confirme « le développement de capacités séparables mais non séparées, qui pourraient répondre aux besoins européens et contribuer à la sécurité de l’Alliance ». Il autorise les Européens à recourir à des moyens militaires de l’OTAN et des Etats-Unis d’Amérique sans que ceux-ci soient partie prenante à l’opération.
En fait la sécurité et la défense de l’Union européenne dépendent largement des Etats-Unis. La dépendance de l’Union vis-à-vis des moyens américains peut s’avérer très préjudiciable en cas de conflit d’intérêt. Les Etats-Unis ont placé dans les accords internationaux (et notamment ceux de l’OTAN) nombre de garanties qui leur permettent de conserver le contrôle de leurs moyens militaires. Les groupes de forces interarmées (GFIM) ne fonctionnent qu’en cas de non-participation des Etats-Unis, nullement en cas de désaccords ou de divergences entre les Etats-Unis et l’Union européenne.
Compte tenu de l’attachement de nombreux Etats membres de l’Union européenne à l’OTAN, la Politique de défense commune de l’UE est indissociable de la réalisation d’un véritable pilier européen de l’Alliance atlantique.
Le traité d’Amsterdam : Déclaration et missions de Petersberg du 19 juin 1992 et rôle premier de l’OTAN
La principale nouveauté du traité d’Amsterdam consiste dans l’introduction des missions de Petersberg dans les compétences de la PESC. Les Etats membres de l’UEO conviennent de fournir des unités provenant de leurs forces conventionnelles pour remplir des missions militaires menées sous l’autorité de l’UEO. Les missions de Petersberg qui orientent l’UEO vers la gestion des crises comprennent :
– les missions humanitaires ou d’évacuation des ressortissants ;
– les missions de maintien de la paix ;
– les missions de rétablissement de la paix.
La déclaration de Petersberg précise que de telles missions peuvent être menées dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou de l’ONU (cf. quelques informations sur l’OSCE en annexe). La déclaration insiste sur l’importance de l’OTAN dans le domaine de la sécurité.
Le traité d’Amsterdam renforce le rôle premier de l’OTAN dans la défense européenne notamment par le protocole sur l’article 17 annexé au TUE.
Le traité d’Amsterdam définit les relations entre l’Union européenne et l’UEO de la façon suivante : « L’UEO assiste l’Union européenne dans la définition des aspects de la PESC ayant trait à la défense et met en œuvre les décisions de l’Union européenne ayant des implications dans le domaine de la défense. » (Site de l’Internet de l’UEO).
I.4 - Les évolutions récentes de la PESC
En décembre 1999, à Helsinki, le Conseil européen décide de doter l’Union d’une capacité propre de décision pour lancer et conduire des opérations militaires, lorsque l’OTAN n’est pas engagée. Il décide la création d’une force de 50 000 à 60 000 hommes à la disposition de l’Union pour assurer les missions de Petersberg.
Lors de cette réunion d’Helsinki le Conseil européen crée, au sein du Conseil des ministres, des organismes nouveaux :
– Le Comité politique et de sécurité (COPS) traite de tous les aspects de la PESC, y compris la politique de défense commune ;
– Le Comité militaire de l’Union européenne (CMUE) donne des avis militaires et formule des propositions opérationnelles au COPS ;
– L’Etat-major de l’Union européenne (EMUE) est chargé de l’alerte rapide et de l’évaluation des situations et est responsable de la conduite des opérations militaires.
Le traité de Nice de décembre 2000 donne le nom de « Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) » à la politique de défense commune. Partie intégrante de la PESC, la PESD consiste en la capacité de l’Union européenne à mobiliser des instruments civils et militaires pour la gestion de crise et de prévention des conflits. Le traité de Nice intègre les fonctions de gestion de crises de l’UEO dans l’Union européenne. L’article 17 du traité de l’Union européenne (TUE) est modifié afin de supprimer les dispositions définissant la relation entre l’Union européenne et l’UEO. Il consacre l’effacement partiel de l’UEO (cf. l’annexe sur l’UEO).
L’Union européenne a repris alors les fonctions suivantes auparavant exercées par l’UEO, outre la gestion des crises et les missions de Petersberg : les activités de formation et de conseil en matière de police en Albanie ; le centre satellitaire de Torrejon ; l’Institut d’études et de sécurité (IES) situé à Paris ; les activités de dialogue politique avec la Russie, l’Ukraine, le Forum transatlantique.
En décembre 2001 le Conseil européen de Laeken a déclaré la PESD opérationnelle. La première mission de la PESD a eu lieu en Bosnie-Herzégovine, sous commandement des Etats-Unis, dans le cadre d’une force de l’OTAN. C’est également le cas des interventions au Kosovo et en Macédoine.
Certains experts font remarquer que l’Union européenne manque de missions. Elle en cherche alors en Afrique où elle prend partiellement le relais de la France (« Artémis » par exemple).
En 2003 le Conseil européen de Thessalonique a encouragé la création d’une Agence intergouvernementale dans le domaine de la défense ainsi qu’une approche pluridimensionnelle dans la lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.
Le Conseil européen des 12 et 13 décembre 2003 a adopté la stratégie européenne de sécurité, préparée par le Haut Représentant pour la PESC. Il a demandé à la future présidence de l’Union et au Haut Représentant pour la PESC, en coordination avec la Commission européenne, de présenter des propositions concrètes en vue de la mise en œuvre de cette stratégie. Le Conseil européen a enfin appelé à améliorer la préparation des opérations de l’Union avec le recours aux moyens et capacités de l’OTAN.
Les vifs et profonds désaccords qui sont apparus entre les Etats membres de l’Union européenne au printemps 2003 sur l’opportunité de faire la guerre en Irak illustrent les grandes difficultés à mettre en œuvre la PESC. La forte opposition des peuples européens à cette guerre montre le divorce entre les gouvernements et les peuples. C’est à ce moment précis que la Convention sur l’avenir de l’Europe discutait de l’action extérieure de l’Union européenne dans le cadre de son travail sur la Constitution européenne.
II. La Convention sur l’avenir de l’Europe (28 février 2002 - 18 juillet 2003)
D’emblée Valéry Giscard d’Estaing fixe deux objectifs majeurs à la Convention : un complément politique pour l’Union monétaire et une politique commune pour les affaires étrangères et la défense.
Le Praesidium de la Convention sur l’avenir de l’Europe présente le 3 juillet 2002 un document de réflexion sur l’action extérieure de l’Union européenne à destination des conventionnels. « Ce document est destiné à servir de base au débat qui aura lieu lors de la séance plénière de la Convention des 11 et 12 juillet 2002. » (Site de la convention - document CONV 161/02).
L’action extérieure de l’Union comprend trois domaines qui ne font pas partie du champ exploré dans ce document : la politique commerciale, la coopération au développement et « les autres aspects des relations extérieures de la Communauté » (à savoir : les aspects extérieurs de compétences telles que la politique monétaire, la recherche, l’environnement, les accords internationaux qui ne sont pas relatifs à la PESD, etc.).
Les considérations du Praesidium de la Convention sur la PESC méritent un petit résumé. Le voici en deux parties (PESC et Politique européenne de sécurité et de défense - PESD).
PESC
« Le moteur de la PESC est la volonté politique des Etats Membres de coordonner leurs positions et de parvenir à une attitude commune afin d’être en mesure d’exercer collectivement une plus grande influence sur la scène internationale [...] » Les actes juridiques disponibles sont les stratégies, décisions, actions et positions communes. « Trois stratégies communes ont été adoptées jusqu’à présent (Russie, Ukraine et région méditerranéenne). »
Les Etats membres coordonnent leurs actions auprès des organisations internationales.
La nomination de représentants spéciaux est inscrite dans le traité (article 18 du TUE). Actuellement l’Union a envoyé six représentants spéciaux : Grands lacs africains, processus de paix au Moyen-Orient, Pacte de stabilité dans l’Europe du sud-est, Afghanistan, Macédoine, Bosnie-Herzégovine. Par ailleurs l’Union publie plus de cent déclarations par an.
« Le budget de la PESC est de 30 à 40 millions d’euros par an en moyenne [...] Il s’avère insuffisant pour financer et mettre en œuvre les décisions de politique étrangère [...] Les décisions en matière de financement sont particulièrement complexes. »
« La Commission européenne est pleinement associée et a le droit, comme les Etats membres de soulever toute question relevant de la PESC et de soumettre des propositions au Conseil (articles 22 et 27 du TUE). »
« Le Parlement est informé par la présidence de l’Union, la Commission et le Haut Représentant. Le traité (article 21) prévoit que la présidence de l’Union consulte le Parlement européen et que ses vues sont dûment prises en considération. » NDLR : le Parlement européen est réduit à la portion congrue !
Politique européenne de sécurité et de défense (PESD)
« [...] La politique de sécurité et de défense [telle qu’elle résulte du traité en vigueur actuellement - TUE modifié] est définie essentiellement comme une politique de gestion de crises, et non de défense d’un territoire, même si le traité (article 17) laisse ouverte la possibilité que la PESC conduise à une défense commune, si le Conseil européen en décide ainsi [NDLR : à l’unanimité] Onze Etats membres [NDLR : sur les quinze] sont alliés au sein de l’OTAN (dix sont membres de l’UEO) et sont donc déjà liés par des engagements d’assistance mutuelle ; les autres Etats ont un statut de neutralité. »
« Le traité actuel (article 23 du TUE modifié) exclut explicitement le recours à la majorité qualifiée pour toute décision ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense. » Il exclut également les coopérations renforcées dans la PESD.
« L’approche globale qui sous-tend la mise en place des [capacités militaires de l’Union européenne] repose sur deux principes :
– l’utilisation de toute la gamme des instruments civils et militaires dont dispose l’Union et les Etats membres ;
– la nécessité d’une coopération avec l’OTAN et d’une complémentarité par rapport à celle-ci. »
Le Praesidium de la Convention, sous l’intitulé « points à débattre », pose alors la question : « Quel est le meilleur moyen de parvenir à véritablement améliorer les capacités dans ce domaine ? »
Pistes de réflexion proposées aux conventionnels sur l’action extérieure de l’Union
Le document de réflexion du Praesidium se termine par les questions que la Convention doit prendre en considération qu’il regroupe dans les objectifs, les remarques et les pistes suivantes : assurer la cohérence ; recenser les intérêts communs ; promouvoir la flexibilité pour réagir rapidement ; donner une identité à la voix de l’Union ; disposer d’une vision stratégique ; prendre en compte la diversité des réactions des Etats membres ; permettre à chaque Etat d’agir s’il n’y a pas de consensus européen ; développer des moyens pour renforcer la convergence ; renforcer la cohérence entre la PESC et les autres politiques ; recourir à la majorité qualifiée ; renforcer le rôle du Parlement.
Deux citations importantes
Il faut faire deux citations importantes de ce document du Praesidium de la Convention pour terminer ce paragraphe :
« [...] En outre, alors qu’un certain nombre d’Etats sont liés par des obligations de défense mutuelle dans le cadre de l’OTAN et de l’UEO, une action militaire collective de l’Union européenne ne serait pas possible dans le cadre des dispositions existantes, si un Etat membre faisait l’objet d’une agression ou si ses intérêts vitaux étaient menacés. »
« Pour ce qui est de la politique commune de défense, quelles missions, le cas échéant, devrait-on assigner à l’Union européenne au-delà des tâches de Petersberg ? Souhaitons-nous doter l’Union européenne d’une véritable capacité opérationnelle, y compris une capacité militaire ? Dans l’affirmative, comment pouvons-nous assurer la mise à disposition des capacités nécessaires pour garantir la crédibilité ? Devrions-nous envisager, en nous inspirant de ce qui a été fait pour l’union monétaire, d’établir des critères d’admission et un pacte auquel il faudra par la suite se conformer ? »
II. La PESC dans la Constitution européenne
« L’Union a la personnalité juridique. » (I-7)
Ceci permet donc à l’Union d’être un sujet de droit international. Ceci ouvre la possibilité de conclure des traités, d’avoir des ambassadeurs, d’agir devant une juridiction internationale, de siéger dans une organisation internationale... à la place ou à côte des Etats membres.
La PESC
La PESC est directement traitée dans la Constitution dans les articles I-16, I-28, I-40, I-41 et III-292 à III-313.
La compétence de l’Union couvre tous les aspects de politique étrangère et de sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune. Les Etats membres appuient activement et sans réserve la PESC (I-16). Il convient de noter que la PESC (I-6) constitue une compétence de l’Union qui n’est ni exclusive, ni partagée, ni d’appui, mais un hybride de compétence partagée et d’appui.
Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, avec l’accord du président de la Commission européenne, nomme le ministre des affaires étrangères de l’Union. Ce dernier conduit la politique étrangère et de sécurité de l’Union. Il contribue par ses propositions à l’élaboration de cette politique et l’exécute en tant que mandataire du Conseil. Il préside le Conseil des affaires étrangères. Il est l’un des vice-présidents de la Commission (I-28). Il s’appuie sur un service européen pour l’action extérieure (III-296-3).
Les dispositions qui s’appliquent à la PESC sont particulières : elles sont sur nombre de points différentes de celles qui s’appliquent aux autres politiques de l’Union.
Le Conseil européen identifie les intérêts stratégiques de l’Union et fixe les objectifs de sa politique étrangère et de sécurité commune en définissant des orientations générales. Le Conseil élabore cette politique dans le cadre des lignes stratégiques établies par le Conseil européen. Le Conseil européen et le Conseil adoptent des décisions européennes qui portent sur des actions, des positions, des modalités de mise en œuvre, des coopérations. (I-40 ; III-294 à III-298). Rappelons que les décisions européennes sont des actes juridiques non législatifs et obligatoires dans tous leurs éléments (I-33, I-35).
Les lois ou lois-cadres européennes sont exclues.
Les décisions européennes sont adoptées par le Conseil européen et le Conseil à l’unanimité, sauf exceptions décrites ci-dessous. L’initiative de la proposition des décisions européennes est réservée à chaque Etat membre et au ministre des affaires étrangères avec le soutien ou pas de la Commission européenne. Le Parlement européen est seulement consulté et informé. (I-40 ; III-297 à III-299 ; III-304). Donc il ne participe pas à l’élaboration des décisions et ne peut ni les amender, ni les empêcher, ni les approuver.
Tout membre du Conseil qui s’abstient lors d’un vote d’une décision européenne peut assortir son abstention d’une déclaration formelle. Dans ce cas il n’est pas tenu d’appliquer la décision européenne, mais il accepte qu’elle engage l’Union. C’est l’abstention constructive. Si au moins un tiers des Etats membres réunissant au moins un tiers de la population recourent à l’abstention constructive, la décision européenne n’est pas adoptée (III-300).
Par dérogation au principe de l’unanimité, le Conseil statue à la majorité qualifiée pour certaines décisions européennes dérivées (lire le détail à l’article III-300-2-a, b et c). Le principe de l’unanimité reste néanmoins tout à fait dominant.
« [...] Les Etats membres qui sont membres du Conseil de sécurité des Nations unies défendront dans l’exercice de leurs fonctions les positions et les intérêts de l’Union [...] » (III-305-2). Cet article semble sonner le glas d’une position indépendante de la France au Conseil de sécurité de l’ONU.
L’article III-308 introduit un cloisonnement entre la PESC et les autres politiques. Cela permet-il de faire échapper la PESC, donc le système militaro-industriel aux règles de la concurrence qui interdisent les aides des Etats membres ?
Les coopérations renforcées dans le cadre de la PESC
Les coopérations renforcées sont décrites dans les articles I-44 et III-416 à III-423. « Les Etats membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences non exclusives de l’Union européenne peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences en appliquant les dispositions appropriées de la Constitution, dans les limites et selon les modalités prévues [...] » (I-44) Un développement sur les coopérations renforcées dépasse le cadre de ce document. Signalons toutefois que les dispositions, les limites et les modalités des coopérations renforcées ne nous semblent pas du tout satisfaisantes et les rendent fort improbables.
L’article III-419-2 ouvre la possibilité de coopérations renforcées pour la PESC. La demande des Etats membres est adressée au Conseil, au ministre des affaires étrangères et à la Commission européenne. Le ministre des affaires étrangères et la Commission donnent leur avis au Conseil. « La demande est également transmise au Parlement européen pour information. » « L’autorisation de procéder à une coopération renforcée dans le cadre de la PESC est accordée par une décision européenne du Conseil, statuant à l’unanimité. » (III-419)
Les coopérations renforcées ne s’appliquent pas à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), pourtant sous-ensemble de la PESC. C’est un autre type de coopérations qui s’y applique : les coopérations structurées (cf. infra).
La politique de sécurité et de défense commune (PSDC)
La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) assure une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires. L’Union peut y avoir recours dans des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la Charte des Nations unies. L’exécution de ces tâches repose sur les capacités fournies par les Etats membres (I-41 et III-309).
Le Conseil peut confier la mise en œuvre d’une mission à un groupe d’Etats membres qui le souhaitent (III-310-1).
La PSDC inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi (I-41). Ceci veut dire clairement que cette possibilité ouverte d’une défense commune n’est pas pour demain.
« [...] Les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires. Il est institué une Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement (l’Agence européenne de défense) pour identifier les besoins opérationnels, promouvoir des mesures pour les satisfaire, contribuer à identifier et, le cas échéant, mettre en œuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participer à la définition d’une politique européenne des capacités et de l’armement, ainsi que pour assister le Conseil dans l’évaluation de l’amélioration des capacités militaires. » (I-41-3 ; lire aussi l’article III-311) L’agence promeut « une harmonisation des besoins opérationnels et l’adoption de méthodes d’acquisition performantes et compatibles. » (III-311-1-b) Tout ceci constitue une prescription éminemment politique qui échappe au débat et à la décision démocratiques, un soutien explicite au système militaro-industriel et une invitation explicite adressée au lobby militaire d’exercer une influence sur le Conseil. C’est une entorse de taille aux règles de la concurrence qui interdisent toute aide des Etats membres (III-167 à III-169).
Le Conseil statuant à la majorité qualifiée adopte une décision européenne définissant le statut, le siège et les modalités de fonctionnement de l’Agence européenne de défense (III-311-2).
Au cas où un Etat membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies (I-41-7).
« [...] Les engagements et [les coopérations structurées (cf. infra)] dans [le domaine de la PSDC] demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’OTAN, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. » (I-41-7)
Comment dire plus clairement que la défense collective reste sous la tutelle de l’OTAN.
Les coopérations structurées en matière de politique de sécurité et de défense commune (PSDC)
La PSDC peut faire l’objet de coopérations structurées (I-41-6 et III-312) dont les dispositions se distinguent de celles des coopérations renforcées.
L’article I-41-6 indique : « Les Etats membres qui remplissent les critères les plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l’Union [...] »
Le long article III-312 donne les règles des coopérations structurées. Les Etats membres qui souhaitent participer à une coopération structurée permanente notifient leur intention au Conseil et au ministre des affaires étrangères (III-312-1). Le Conseil établit la coopération structurée par une décision européenne prise à la majorité qualifiée (III-312-2).
Le protocole n°23, cité explicitement à l’article III-312-4 (c’est tout à fait exceptionnel dans la Constitution !), précise les critères requis pour participer aux coopérations structurées : développement intensif des capacités de défense ; fourniture avant 2007 d’unités de combat ; objectifs de dépenses d’investissement de défense ; rapprochement des outils de défense ; renforcement de la disponibilité, de l’interopérabilité, de la flexibilité et de la capacité de déploiement des forces. Ce protocole affirme que « l’Agence de l’Armement contribue à l’évaluation régulière des contributions de Etats membres [...] »
Les dispositions financières de la PESC
« Les dépenses administratives entraînées pour les institutions par la mise en œuvre de la PESC sont à la charge de l’Union. Les dépenses opérationnelles entraînées par la mise en œuvre de la PESC sont également à la charge du budget de l’Union, à l’exception des dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense, et des cas où le Conseil en décide autrement.
Quand une dépense n’est pas mise à la charge du budget de l’Union, elle est à la charge des Etats membres selon la clé du produit national brut, à moins que le Conseil n’en décide autrement [...] » (III-313)
Ceci veut dire en clair que l’essentiel des dépenses est à la charge des Etats membres.
Alain Lecourieux
Annexe
Le refus de la ratification de la Communauté européenne de défense (CED) par la France
Le Mouvement républicain populaire (MRP), conduit par Robert Schuman, se bat en faveur de la ratification du traité qui lui apparaît comme une étape décisive vers l’Europe fédérale. Le Parti communiste français (PCF) et le Rassemblement du peuple français (RPF), créé par le général de Gaulle, unissent leurs efforts pour combattre le projet qui entraînerait à leurs yeux un abandon de souveraineté nationale inacceptable et laisserait les Anglais en dehors d’un projet européen hautement stratégique. Les parlementaires radicaux, socialistes et indépendants sont très divisés.
La conjoncture internationale ne joue pas en faveur de la CED. Alors que la guerre d’Indochine inflige à l’armée française de graves revers militaires, la droite nationaliste redoute que la CED n’entraîne un nouvel affaiblissement de cette armée. La mort de Staline, en mars 1953, la signature de l’armistice de la guerre de Corée, en juillet 1953, semble augurer une période de dégel qui ôte à la CED son caractère d’urgence.
Plusieurs présidents du Conseil (chefs de gouvernement de la Quatrième République) repoussent à plus tard la ratification du traité. Le gouvernement présidé par Pierre Mendès France est divisé en « pro » et « anticédistes ». Pierre Mendès France lui-même est très réservé et demande, mais en vain, à ses partenaires européens la modification du traité dans un sens moins supranational. Par un artifice de procédure l’Assemblée nationale repousse, le 30 août 1954, par 319 voix contre 264, la discussion du document diplomatique qui doit autoriser le président de la République à ratifier le traité de la CED. La France rejette donc le projet d’armée européenne dont elle avait été l’instigatrice.
Le refus de la ratification de la CED va créer un clivage durable dans la classe politique française sur l’Europe et sur la question épineuse de la souveraineté. Les fédéralistes parleront longtemps du « crime du 30 août »
Union de l’Europe occidentale (UEO)
L’UEO est créée, le 23 mars 1954, par le traité de Paris. L’UEO est une organisation de défense collective.
Les membres de l’UEO se répartissent ainsi.
Les pays membres : Allemagne, Pays-bas, Belgique, Luxembourg, Royaume-Uni, France, Espagne, Italie, Portugal, Grèce.
Les observateurs (pays neutres) : Danemark, Autriche, Suède, Finlande, Irlande.
Les membres associés (pays européens membres de l’OTAN et non membres de plein exercice de l’UEO) : Turquie, Norvège, Islande.
Les associés partenaires : Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie ? Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie.
Lors de la négociation du traité d’Amsterdam la proposition de la France et l’Allemagne d’une absorption progressive de l’UEO dans l’Union européenne n’a recueilli les suffrages de neuf Etats membres sur quinze. Le Royaume-Uni, soutenu par certains pays neutres, y a opposé un refus catégorique.
Le traité de Nice de décembre 2000 intègre les fonctions de gestion de crise de l’UEO dans l’Union européenne.
L’UEO a maintenant un rôle réduit à deux fonctions :
– Elle est le dépositaire de l’article V du traité instituant l’UEO : « Au cas où l’une des Hautes Parties Contractantes serait l’objet d’une agression armée en Europe, les autres lui porteront, conformément aux dispositions de l’article 51 de la Charte des Nations unies, aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres. »
– Elle assure la tutelle politique du Groupe armement de l’Europe occidentale (GAEO) créé en 1976 et rebaptisé en 1993 ; le GAEO comporte une activité de recherche et de coopération multilatérale en matière d’armement.
Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN)
L’OTAN est créée le 4 avril 1949 par le traité de l’Atlantique nord. Elle est officiellement fondée sur une alliance militaire défensive d’Etats souverains face à la menace du bloc soviétique.
Initialement elle réunit les Etats-Unis d’Amérique, le Canada, la France, la Belgique, les Pays-bas, le Luxembourg, la Norvège, l’Islande, l’Italie, le Portugal, la Grèce. Elle s’étend à la Turquie (1955), à la République fédérale d’Allemagne (1955) et à l’Espagne (1982). Au sommet de Madrid de 1997 l’OTAN est élargie à la Pologne, à la République tchèque et à la Hongrie.
Le 29 mars 2004 les pays suivants « qui [selon la formule consacrée qui figure sur le site de l’Internet de l’OTAN et dont on appréciera toute la délicatesse] ont déposé leurs instruments d’accession à l’OTAN auprès du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique » deviennent membres : Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
La disposition principale du traité qui institue l’OTAN est l’article 5 qui oblige chaque Etat à considérer une attaque contre l’un de ses membres comme une attaque contre l’ensemble des membres. Mais cette disposition n’a pas de caractère d’automaticité : chacun des membres demeure maître de sa participation à la défense commune et de la nature de sa participation.
L’OTAN comporte des organes permanents comme le Conseil de l’Atlantique nord et le Comité militaire. Les forces militaires de l’Alliance sont intégrées dans une chaîne de commandement dirigée par un américain.
L’OTAN est avant tout l’instrument de l’engagement politico-militaire américain en Europe. Le sommet de Londres des 5 et 6 juillet 1990 lance un processus d’adaptation de l’OTAN au nouveau contexte stratégique consécutif à la chute du mur de Berlin. Cette adaptation élargit le concept de sécurité à la gestion des crises et étend le champ géographique des interventions de l’OTAN (actions hors zone).
Parallèlement la réorganisation des structures de l’OTAN vise à développer le pilier européen de l’Alliance atlantique en collaboration avec l’UEO.
Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) est signée le 1er août 1975 à Helsinki par trente-cinq Etats : les Etats-Unis d’Amérique, le Canada et tous les Etats européens, sauf l’Albanie. L’acte final dénué de portée juridique est consacré à la sécurité en Europe et en Méditerranée, à la coopération dans les domaines économique, environnemental et scientifique et aux droits de l’homme.
Le sommet de Paris (19 au 21 novembre 1990) renforce l’institutionnalisation de la CSCE. Cette réunion est aussi marquée par la conclusion d’un traité sur les forces conventionnelles en Europe. L’activité de la CSCE se développe notamment dans le domaine des missions de surveillance (ex-Yougoslavie), d’observation (Caucase), de soutien à la démocratie et de respect des droits des minorités.
En décembre 1994, le sommet de Budapest décide de transformer, à partir du 1er janvier 1995, la CSCE en OSCE. L’OSCE intervient alors en Bosnie-Herzégovine (1996) et au Kosovo (1999).