Commentaire Lecourieux : Tobin or not Tobin : that is the question...

, par Alain Lecourieux

La Constitution européenne et les taxes sur le marché des changes et de bourse

2 février 2005

“To be, or not to be : that is the question :
Whether ’tis nobler in the mind to suffer
The slings and arrows of outrageous fortune,
Or to take arms against a sea of troubles,
And by opposing end them ? To die : to sleep ;
No more ; and by a sleep to say we end
The heart-ache and the thousand natural shocks
That flesh is heir to, ’tis a consummation
Devoutly to be wish’d.”

William Shakespeare - Hamlet

« Etre ou ne pas être, c’est la question :
Y a-t-il plus de noblesse d’âme à subir
La fronde et les flèches de la fortune outrageante,
Ou bien à s’armer contre une mer de douleurs,
Et à l’arrêter par une révolte ? Mourir : dormir ;
Rien de plus ; et dire que par ce sommeil nous mettons fin
Aux mots du cœur et au mille tortures naturelles
Qui sont le legs de la chair, c’est là un dénouement
Qu’on doit souhaiter avec ferveur. »

Traduction proposée au plus près du texte

L’article III-156 de la Constitution européenne stipule :

"Dans le cadre de la présente section [Section 4 - Capitaux et paiements] les restrictions tant aux mouvements de capitaux qu’aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites."

Il est certain que la taxe Tobin sera considérée, à la fois par la Commission, certains membres du Conseil et la Cour de justice, comme une restriction aux mouvements de capitaux (sur les marchés des changes et de bourse) dans le sens de l’article III-156.

Mais l’article III-157 ouvre une voie très étroite et hautement improbable pour l’instauration d’une taxe Tobin.

L’article III-157-3 dispose : "Par dérogation au paragraphe 2 [ce paragraphe 2 traite de la possibilité de lois ou lois-cadres relatives aux mouvements de capitaux destinés aux investissements directs], seule une loi ou loi-cadre européenne du Conseil peut établir des mesures qui constituent un recul dans le droit de l’Union en ce qui concerne la libéralisation des mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers. Le Conseil statue à l’unanimité, après consultation du Parlement."

Il n’y a aucune « Déclaration » dans le volume II de la Constitution sur les articles III-156 et III-157 qui apporterait des compléments à cette interprétation.

Pour résumer :

 L’article III-156 interdit toutes les restrictions. C’est à la fois une interdiction et un principe directeur.

Mais, comme souvent dans la Constitution, cette interdiction et ce principe directeur sont assortis d’exceptions et de dérogations.

 L’article III-157-2 (non cité ici) prévoit la possibilité de légiférer en codécision (procédure législative normale) pour les mouvements de capitaux destinés aux investissements directs. Il indique que « le Parlement européen et le Conseil s’efforcent de réaliser l’objectif de libre circulation des capitaux entre Etats membres et pays tiers, dans la plus large mesure et sans préjudice d’autres dispositions de la Constitution. »

 L’article III-157-3 ouvre une possibilité que le Conseil légifère seul, à l’unanimité, dans les autres cas (les cas où les mouvements de capitaux ne sont pas destinés aux investissements directs). Cette possibilité est qualifiée de recul.

L’instauration d’une Taxe Tobin est donc en complète contradiction avec la logique de la Constitution. Mais la Constitution ne l’interdit pas formellement. Pour autoriser une taxe Tobin il conviendrait, une fois la Constitution adoptée, que le Conseil statue favorablement à l’unanimité. « A vue d’homme » c’est une hypothèse qu’on ne peut pas retenir.

Par ailleurs les articles III-156 et III-157 sont des copies exactes, au mot près, des articles 56 et 57 du traité actuel (TCE). Donc tout ce qui a été écrit ci-dessus s’applique et s’appliquera, que la Constitution soit ratifiée ou pas. Seule une révision du traité permettrait de desserrer ou de supprimer l’interdiction et de permettre un contrôle des mouvements de capitaux. Seule une révision du traité peut rendre effectivement possible l’instauration d’une taxe Tobin. Cette révision ne concernerait pas seulement ces deux articles.

Il faut ajouter qu’il se poserait un problème pour taxer les mouvements de capitaux à l’intérieur de l’Union européenne entre la zone euro (12 pays) et les pays qui n’ont pas l’euro (Royaume-Uni, Suède, Danemark et les dix pays qui viennent de rejoindre l’Union). Rien n’est prévu ni dans le traité actuel, ni dans la Constitution pour restreindre les mouvements de capitaux entre les Etats membres de l’Union européenne et, en particulier, entre les Etats membres de la zone euro et les autres Etats membres. Un vote du Conseil à l’unanimité ne permet pas une restriction des mouvements de capitaux entre les Etats de l’Union. Ceci se heurte de front à l’une des quatre libertés fondamentales de l’Union : la libre circulation des capitaux dans l’Union (I-4).
Alain Lecourieux

Voir article du 25 janvier 1999 : La taxe Tobin, par Alain Lecourieux