Argumentaire Lecourieux : Quatre regards obliques sur la Constitution européenne

, par Alain Lecourieux

En janvier 2003 je pointais quatre contradictions importantes de l’UE à l’aune desquelles il semblait opportun de juger tout projet européen d’envergure. Je les reprends ici pour « regarder » la Constitution européenne.

Union des Etats et des peuples

L’UE reste une union d’Etats-nations. La répartition des pouvoirs entre l’Union et les Etats-membres d’une part et entre les institutions européennes d’autre part est modifiée à la marge (extension de la codécision et de la décision à la majorité qualifiée). La Constitution ne prend pas en compte le décrochage de 57% des électeurs qui se sont abstenus aux dernières élections européennes. Il n’y a pas d’instruments nouveaux qui favorisent l’émergence d’un espace politique et d’un intérêt général européens qui seraient indispensables à une inflexion vers une union des peuples. Les pouvoirs fédéraux de l’UE (monnaie, commerce et concurrence) ne seront pas mieux contrôlés demain qu’aujourd’hui.
On peut même dire que l’unanimité requise dans les domaines budgétaire, fiscal et social réaffirme que cette union d’Etats-nations organise leur concurrence au bénéfice du capital et au détriment du travail.

Elargissement et approfondissement

L’élargissement à dix nouveaux membres et les élargissements futurs laissent penser qu’on ne souhaite pas que l’intégration aille au-delà des limites déjà atteintes. Cette décision implicite a été prise sans débat. Les élargissements ont des conséquences multiples :
Erreur ! Argument de commutateur inconnu. une hétérogénéité sans solidarité financière qui va accentuer les formes dures de la concurrence interétatique ;
Erreur ! Argument de commutateur inconnu. un vaste espace géographique non borné par des frontières stables qui ne peut plus à vue d’homme être un espace politique ;
Erreur ! Argument de commutateur inconnu. une perte indiscutable d’influence des Etats fondateurs et en particulier de la France (nombre de commissaires et de parlementaires ; doits de vote au Conseil des ministres) : c’est la fin du directoire franco-allemand ;
Erreur ! Argument de commutateur inconnu. un « biais américain » pour de longues années des gouvernements des nouveaux entrants.
C’est donc de fait la conception de l’UE comme une « très grande Suisse » qui se lit dans la Constitution au travers des incontournables minorités de blocage et majorités d’idées.

Capitalisme et politique

L’inclusion de la partie III (les politiques libérales de l’UE) dans la Constitution, les insuffisances et les conditions extrêmement limitatives d’application de la Charte des droits fondamentaux, le caractère - au total - dérogatoire de services publics au rabais et les limites du budget européen ne laissent aucun doute sur la place éminente du capitalisme dans l’UE, véritable entrepreneur au service du capital et font même douter de ses capacités à réparer les dégâts du marché.
Ne nous y trompons pas : la Constitution n’introduit pas brusquement l’idéologie libérale et la concurrence ; elle confirme de façon éclatante (dans une Constitution !) ce que les cinq traités précédents affirmaient ; elle apporte un point d’orgue à l’inflexion libérale de la fin des années 1980 donnée par le Conseil, la Commission et la Cour de justice des Communautés européennes.
Cette place hégémonique du capitalisme déconstruit la politique entendue comme choix entre des options significativement différentes. Elle interdit la formulation même (sans parler de la mise en œuvre) de projets publics puisque le marché digère tout, est tout. La réalité de l’UE est le capitalisme ; l’Union est et reste donc dans un rôle normatif de créateur et de soutien des marchés. Toute proposition est jugée en termes techniques - et non politiques - dans le cadre unique et incontesté de l’économie de marché. L’UE est confirmée comme machine à dépolitiser toute résistance, toute proposition, toute action. L’économie de marché n’est autre que la société de marché qui est ainsi constitutionnalisée.

Force et justice

L’UE n’a pas de politique intérieure autre que celle de mettre en œuvre un société de marché dans le cadre de la mondialisation capitaliste. Elle ne peut donc avoir de politique extérieure significativement indépendante et différente des Etats-Unis d’Amérique. N’étant pas juste - à l’intérieur - elle ne peut être forte - à l’extérieur.
La Constitution n’apporte rien de significativement nouveau pour aller vers un nécessaire accord politique qui sorte la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) de l’échec.
Le concept d’Europe puissance (ou d’Europe au-delà de la puissance - c’est selon) reste englué dans un droit international daté et sans sanction et dans un pseudo multilatéralisme qui a peine à cacher des rapports brutaux de domination.

Que faire ?

Repartir de zéro sur d’autres bases - dans ou hors l’UE - avec des pays comme l’Allemagne, la Belgique en souhaitant que d’autres pays voudront bien s’associer à ce nouveau projet. En étant très optimiste le « non » au referendum peut être un catalyseur pour ce nouveau projet.

Alain Lecourieux 27 septembre 2004