Compte rendu réunion du 23 mai 2003 à Rueil "Profs : les raisons d’une grève"

, par attac92

Profs : les raisons d’une grève

Compte rendu de la réunion du vendredi 23 mai 2003
au collège des Martinets, à Rueil

Ce vendredi 23 mai, le collège des Martinets, à Rueil, est resté animé un peu plus tard que de coutume. De 20 heures à 23 heures, les professeurs en grève y tenaient une énième réunion d’information à l’attention des parents d’élèves pour expliquer les raisons qui motivent leur action. Dès l’entrée, la banderole annonce la couleur : les personnels ATOS (chargés de l’entretien, de l’accueil...) se proclament solidaires de l’action des professeurs. Même s’ils n’ont pas arrêté de travailler. Il faut dire qu’à 300 francs par jour de grève en moins sur la feuille de paye, il y a de quoi réfléchir. Les fonctionnaires de l’Education Nationale ne sont pas payés, en effet, quand ils choisissent de cesser le travail pour faire valoir leurs droits. C’est donc à leurs frais que les profs des Martinets, comme d’autres en France, ont décidé d’entamer leur action. En prenant, également, sur leur temps libre : ce soir, c’est le réfectoire qui tient lieu de salle de débat. Une trentaine de parents sont venus prêter une oreille attentive, et échanger leurs points de vue avec celui des enseignants. L’occasion pour Nathalie Soihet, prof de français, de prendre la parole au nom des grévistes du collège. Compte rendu sous forme de propos recueillis.

Nathalie Soihet :

« Je tiens d’abord à préciser que notre action concerne la situation du personnel menacé par la réforme que tente d’imposer actuellement le gouvernement. Un personnel qui travaille dans les écoles et collèges : assistantes sociales, conseillers d’orientation, personnels ATOS (chargés de l’entretien des bâtiments, de l’accueil des élèves...), etc.
Les premières alertes quant à la situation actuelle, qui à notre sens met en péril l’éducation en tant que service public, nous sont parvenues au mois de mars dernier. Les psychologues qui interviennent dans les établissements scolaires ont alors reçu une lettre de Luc Ferry leur expliquant qu’ils seraient rattachés à la fonction territoriale, donc à l’autorité de leur région et non plus à celle de l’Etat, à partir de janvier 2004. Nous avons voulu en savoir plus, ce qui nous a poussés à vérifier cette information au Bulletin Officiel. Là, quelle ne fut notre surprise de découvrir qu’il n’était plus prévu que les Conseillers d’Orientation, qui jouent un rôle important dans les équipes éducatives, fasse partie de ces équipes pour la rentrée de septembre 2003. Il nous a fallu du temps pour vérifier et recouper toutes ces informations. Nous nous sommes penchés sur le Journal Officiel. Là, nous avons découvert que le Ministère de l’Education Nationale était devenu le Ministère « chargé de l’éducation ». Plus de référence au caractère « national ».

Ce qui a un effet direct sur les Conseillers d’Orientation (les COPSY, Conseillers d’Orientation et psychologues) : ceux-ci passent en effet un concours national, qui leur ouvre deux années de formation. Ce concours, désormais, n’existera plus. Et personne ne sait comment ils pourront être recrutés ni formés. Or les Conseillers sont des partenaires essentiels dans les équipes éducatives. D’abord parce qu’ils interviennent sur l’orientation des élèves, leur indiquent les filières à suivre, leur ouvrent des perspectives, leur fournissent les adresses utiles... Ils distribuent, également, des revues d’orientation gratuites (comme celle de l’ONISEP). leur disparition impliquera aussi la disparition de ces revues. A moins que leur production ne soit confiée au secteur privé ?
Les Conseillers ont par ailleurs un recul et une objectivité que nous, professeurs, n’avons pas toujours, puisque nous passons notre temps à évaluer les élèves. C’est le conseiller qui peut indiquer à l’élève les différentes voies qui s’offrent à lui. D’autre part, ils jouent un rôle de psychologues (ils ont en effet suivi une formation en psychologie) qui est grandement utile auprès des élèves. Car si des psys existent dans le secteur primaire, ce n’est pas le cas dans le secondaire.
Le gouvernement nous assure qu’il veut faire passer cette loi de décentralisation pour favoriser la proximité... Mais la proximité est déjà effective ! Les conseillers sont sur le terrain, ils tiennent des permanences sur place, travaillent au contact des jeunes. En revanche, s’ils deviennent, comme c’est prévu, placés sous l’autorité de la Région, aucun texte ne dit s’ils pourront travailler dans les établissements. Nous ne savons pas où ils seront affectés.

Par ailleurs, cette loi implique aussi la disparition des assistantes sociales des établissements. Ces assistantes tiennent elles aussi des permanences dans les collèges. Nous, professeurs, pouvons régulièrement et facilement discuter avec elles. Si un problème apparaît pour un enfant, on sait qu’on pourra leur en parler dans la semaine, lorsqu’elles viendront travailler ici. Mais dans le cadre de la nouvelle loi, les assistantes n’auraient plus de missions spécifiques. Imaginons qu’elles n’aient plus la possibilité de se rendre sur place, et que le service social dont dépend un établissement soit situé sur une autre commune, pas forcément proche : pensez-vous qu’un jeune en difficulté s’y rendra ? Je peux vous assurer qu’il ne fera pas le déplacement, alors qu’il aurait pu s’entretenir avec son assistante si celle-ci était venue sur place. Et ne croyez pas que des cas de figure de ce type soient rares : nous en voyons sans cesse, j’en ai personnellement encore vu cette année. Que les assistantes sociales ne soient plus présentes dans les établissements, comme c’est prévu actuellement, est une mesure profondément injuste. Le problème n’est donc pas seulement celui d’un changement d’employeur, de l’Etat à la Région : il s’agit aussi d’un changement de mission, comme pour les conseillers d’orientation. Pour l’heure, aucun texte, aucun cadre n’a été donné pour faire en sorte que ces membres des équipes éducatives soient maintenus sur place.

Nous l’avons dit, le projet de loi prévoit aussi que les personnels ATOS passent sous la coupole de la Région, qui pourra alors, si bon lui semble, confier les tâches d’entretien ou d’accueil à des sociétés privées. Or ces personnels représentent une présence adulte appréciable et même indispensable pour tous dans un établissement. D’une part parce que les élèves les connaissent, mais aussi parce qu’ils permettent de préciser les règles du lien social. Les élèves apprennent à respecter leur travail, comprennent que l’école ne se résume pas à un tête-à-tête entre les profs et eux. Leur travail est aussi un vrai outil éducatif. Si leurs tâches sont confiées à des sociétés privées, cet outil sera soumis aux horaires et au contraintes imposées par le privé, qui ne vont pas forcément dans le sens de l’intérêt des élèves, et qui pourraient avoir des incidences non négligeables sur la gestion de la cantine, ou de l’accueil par exemple.

Ce projet de loi va de pair avec une politique générale d’économie budgétaire sur les services publics. Cette politique d’économie touche également directement les moyens éducatifs, et les missions des personnels enseignants. Une note officielle a ainsi demandé aux professeurs de ne plus exercer de cours de soutien ou d’études dirigées pour cette année. Ce volant d’heures supplémentaires, correspondant à 1% du temps de travail annuel, permettait aux profs d’aider les élèves à préparer le Brevet des Collèges, à accompagner ceux qui en ont besoin, ou à rattraper des heures d’absence pour cause de maladie. Aujourd’hui, concrètement, les classes de sixième qui bénéficiaient d’heures de soutien ont vu ces cours s’arrêter, puisque les profs n’ont plus le droit de les dispenser. C’est donc bien également sur l’éducatif que rogne ce gouvernement pour faire des économies.

Quelques-uns de ces projets sont inspirés par un rapport de la documentation française, sur lequel nous sommes tombés au fur et à mesure de nos recherches sur la loi en préparation. Ce rapport s’interroge : « Comment réformer l’Education ? » On y conseille d’instaurer un système où le professeur devra passer un contrat avec l’établissement dans lequel il voudra travailler. Ce qui laisse entendre et prévoir beaucoup de choses... Nous avons recoupé ces documents avec d’autres textes, pour nous apercevoir que tout cela faisait écho aux déclarations de Xavier Darcos, notre ministre délégué, qui s’inspire lui carrément du système anglais. En janvier dernier, il expliquait en effet dans le journal Libération que l’enseignant, l’assistante sociale et le conseiller d’orientation sont une seule et même personne dans l’école anglaise. Et que ce système serait bien plus efficace pour les élèves...
Alors, nous avons encore cherché. Comme on remonte un fil, nous avons voulu savoir d’où venaient ces idées surprenantes. Nous avons consultés différents rapports de l’Assemblée Nationale, des rapports économiques... Nous nous sommes aperçus que beaucoup des idées qu’on cherche à nous imposer actuellement sont en fait soufflées par l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques), qui publie régulièrement des cahiers et des dossiers à l’attention des gouvernements pour leur indiquer la marche à suivre sur la voie du libéralisme. Or ces rapports vont tous dans le sens d’une privatisation de l’enseignement, dans le but de s’en approprier les marchés, comme celui du parc informatique par exemple. Nous avons parfois eu du mal à croire ce que nous avons lu ( [1])...

Enfin, pour conclure, je dirais que la régionalisation recèle de nombreux dangers, car les choix budgétaires qui pèseront sur l’école dépendront alors des élus, et non plus d’une volonté politique nationale, mais aussi des ressources de la région, des ressources locales : des impôts locaux ou des taxes des entreprises par exemple. Une région riche sera donc bien mieux armée pour dispenser un enseignement de qualité qu’une région pauvre. »

QUESTIONS DIVERSES

- En quoi la privatisation des personnels ATOS risque-t-elle d’influer sur l’enseignement ? N’est-ce pas là une diabolisation du privé ?

 Si les personnel ATOS sont privatisés, ils ne seront plus soumis, dans l’école, à l’autorité du chef d’établissement, mais uniquement à celle de leur patron. Le directeur d’établissement ne pourra plus rien leur imposer, ni au niveau des horaires, ni sur la sécurité par exemple. Un exemple : ici, aux Martinets, le service du chauffage dépend d’une société privée. Elle seule décide de le mettre en route ou pas, sans que nous puissions lui en faire la demande. Nous nous retrouvons parfois dans des situations ou il fait froid mais où nous n’avons pas de chauffage. A contrario, il peut faire chaud dehors tandis que le chauffage est à fond... Par ailleurs, si le Ministère ne veut pas que les profs s’alarment sur des sujets de la sorte, il lui suffit de préciser les choses. Jusqu’à présent, tous les textes un tant soit peu précis qui ont été publiés montrent que le gouvernement veut rogner sur le côté éducatif.

- L’école ne doit-elle pas être plus réactive face à l’évolution de la société ?

 Rapprocher l’école, l’administration et les citoyens est bien sûr le but de chacun. Mais pourquoi toucher à un personnel qui a prouvé son efficacité et sa proximité, la qualité et la nécessité de son travail sur le terrain : les conseillers d’orientation et les assistantes sociales ? Beaucoup peuvent être d’accord sur la pesanteur de l’Education Nationale. Mais il faut savoir que partout, dans de nombreux établissements, des expériences fécondes pour améliorer le système sont menées qui méritent d’être étendues, qui méritent qu’on en discute. Beaucoup d’établissements se bougent, même parmi ceux qui ont des difficultés. Mais organisons un vrai débat démocratique sur la question, demandons aux citoyens ce qu’ils en pensent, discutons de l’avenir de l’école. Nous ne demandons rien d’autre qu’un vrai débat démocratique, dont on nous prive actuellement.

Interventions des membres d’ATTAC Rueil assistant à la réunion (deux, pas plus, mais qui ont beaucoup parlé...)

 Peut-être faudrait-il cesser de considérer que ce qu’apporte l’école et l’éducation peut se mesurer en termes de rentabilité, de le mesurer comme on mesure les différents secteurs économiques. Ne doit-on pas considérer que l’échange des savoirs va produire du lien social, de la citoyenneté, des richesses (y compris économiques, stricto sensu) qui ne se mesureront pas immédiatement mais à long terme ?

 Quels sont les critères objectifs, les données concrètes qui peuvent nous faire dire, comme l’idée en est répandue un peu partout, que « l’école, ça ne marche pas ?  » Que « trop d’argent est alloué à l’éducation ? » ? On nous le répète sans cesse, comme pour nous le faire admettre comme une évidence. Mais, une fois encore, quels sont les éléments concrets qui permettent d’affirmer cela ?

 Les dangers de la régionalisation des ressources a juste été évoqué, mais il semble primordial : je ne vois pas comment, à long terme, des collectivités territoriales qui auront besoin de l’argent des entreprises pour financer les établissements scolaires pourront garantir la neutralité de l’enseignement et le fait que la sphère privée n’interviendra pas sur les contenus. Quand un élu local devra composer avec un chef d’entreprise qui sera l’un des bailleurs de fond des écoles du coin, quelle sera sa marge de manœuvre réelle ?

 La privatisation des personnels ATOS pose concrètement le problème de l’inégalité entre régions. Dans une région riche comme l’Ile-de-France, il existera peut-être bel et bien plusieurs entreprises d’entretien ou d’accueil qui proposeront leurs services aux établissements scolaires, éventuellement à des prix intéressants. Ce ne sera pas le cas pour un village dans un zone rurale peu peuplée, dans les régions ou les départements les plus défavorisés, qui ne représentent pas un marché assez rentable pour une entreprise. Comment feront ces établissements ?

Notes

[1Un exemple : dans son cahier n°13, qu’elle a transmis aux gouvernements, L’OCDE traite la question de savoir « Comment aborder les risques politiques ? » face à la privatisation des services publics. Le cahier aborde justement la question de l’éducation. Je vous en fais lecture : « Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la « quantité » de service, quitte à ce que la « qualité » baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnements aux écoles et aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement (...) supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. »