Compte-rendu réunion du 30 septembre 2004 sur "L’élargissement de la base sociale d’ATTAC "
Compte-rendu de la réunion du 30 septembre 2004
sur le thème de
“ L’élargissement de la base sociale d’ATTAC ”
C’est une question qui revient comme un leitmotiv depuis deux ans à différents niveaux d’Attac. Mais c’est aussi un dossier que l’association tarde à ouvrir, se contentant de rappeler la nécessité “ d’élargir la base sociale du mouvement ” : comment donner aujourd’hui à Attac un souffle nouveau, alors que son nombre d’adhérents (souvent issus d’un même milieu social) a tendance à plafonner ? Un rapprochement avec d’autres associations ne permettrait-il pas de diversifier ses formes d’action et de profiter de l’expérience de travailleurs de terrain, qui luttent au quotidien contre les effets des politiques que dénonce Attac ?
C’est dans le but d’ouvrir ce débat, et d’aller plus avant dans ce sens, que le groupe Rueil-Garches-Saint Cloud a souhaité organiser, le 30 septembre dernier, une rencontre entre plusieurs adhérents d’Attac et des représentants d’associations de terrain. Parmi celles qui avaient été contactées, deux nous avaient fait le plaisir de se déplacer. De leur côté, quelques adhérents du groupe local, de ceux de Nanterre, de Clamart ou des Yvelines avaient fait le déplacement. En tout, une trentaine de personne ont palabré ensemble autour de différents thèmes : quelle image les associations invitées ont-elles d’Attac ? Serait-il possible, souhaitable, intéressant ou productif de travailler ensemble ? Comment y parvenir, dans quelles conditions ?
Voici le compte-rendu de cette soirée d’échanges, qui n’aspire qu’à être la première pierre d’une action à plus long terme...
Les deux associations invitées :
Respect les amis (représentée par Erwan) :
« Le but de notre association est de recréer du lien social, d’être un porte voix pour des populations issues des quartiers populaires qui se posent des questions et qui ressentent le besoin de s’exprimer sans en avoir les moyens, sans être représentées dans les médias traditionnels. Dans ce but, nous avons mis en place trois outils :
– le magazine RESPECT (diffusion mensuelle nationale en kiosque)
– organisation de réunions festives avec concerts, débats...
– organisation de réflexions sur différents thèmes de société, en s’appuyant en particulier sur les cultures urbaines telles que la culture hip-hop. ”
’’ZyVa (représentée par Mamadou et Ameziane, son président) :
« ZyVa est une association d’aide à la scolarité (qui fête cette année ses 10 ans), basée à Nanterre, dans le quartier du petit Nanterre, à la cité des Pâquerettes. Elle compte de nombreux bénévoles de tous les âges (de 15 à 82 ans) et de tous les milieux, étudiants, retraités, salariés, qui aident les enfants après les cours ou pendant les vacances scolaires. Elle s’occupe aujourd’hui d’environ 280 enfants. »
De l’extérieur, quelle image avez-vous de l’association Attac ?
Mamadou (ZyVa) :
On perçoit l’association comme un club de réflexion, un contre poids au capitalisme, à l’économie de marché. Pour ce qui est du travail sur le terrain, les actions, on ne sait pas trop, et on ne voit pas trop...
Ameziane (ZyVa) :
Attac est perçu comme un club de réflexion, un contre poids à la pensée unique. On sait qu’elle est née, à la base, sur l’idée de la taxe Tobin, sur une idée de redistribution des richesses. Mais on sent aussi qu’il y a peut-être dans cette association un certain élitisme. On semble voir s’y reproduire ce à quoi on assiste dans d’autres partis, en terme de représentation sociale ou des populations. En clair, on ne voit pas de “ minorités ” à Attac ! Le message, les actions d’Attac ne nous semblent pas toujours clairs.
Erwan (Respect) :
Je triche : je connais déjà bien le milieux du militantisme politique, j’en suis issu. Si je travaille sur la question des quartiers, et dans les quartiers, j’ai certainement le profil type du militant d’Attac, qui a mené des études supérieures après le bac. Si je me place de l’autre côté de la barrière, celui où je me trouve aujourd’hui, j’ai un sentiment d’étrangeté. Il y a une rupture, un mur hermétique entre ces deux mondes, celui du militantisme type Attac et celui des quartiers - ne serait-ce que sur le vocabulaire, essentiel pour bien se comprendre.
A Respect, on à tout d’abord essayer de créer un magazine en s’appuyant sur les structures institutionnelles. Nous sommes soutenus par différentes institutions et ministères à près de 70%, soit quelques centaines de milliers d’euros... En revanche, on s’est alors pris une grande claque en ne recevant aucun soutien des différents cercles de la gauche alternative, partitaire, et du mouvement de "l’économie sociale et solidaire", ce qui est largement plus grave. On nous a expliqué que notre projet était irréaliste. L’échec de cette dernière mouvance en ce qui nous concerne (et en ce qui concerne l’ensemble des questions liées aux « banlieues », pour faire vite) est absolument consternant. Cela traduit le vide de pensée dans certains milieux sur ce genre d’actions. Finalement on s’est débrouillé tout seul et maintenant il y a des pubs de TF1 sur la quatrième de couverture ! ! Désolé... On a l’impression que le mouvement altermondialiste, comme l’ensemble des partis politiques, a commencé à s’intéresser à ce qui se passe dans les quartiers après le 11 septembre. En s’appuyant sur des intervenants qui me semblent très loin de représenter ce qu’est la réalité des quartiers et dont la légitimité peut être remise en cause. Aujourd’hui, dans les divers FSE, on voit invités le MIB, Tariq Ramadan... On parle de fermeture des différents milieux sociaux, c’est vrai. Attac est fermée, mais tous les milieux le sont ! Dans le contexte actuel, c’est aux plus favorisés de venir chercher ceux qui le sont moins. Mais il y a un moment ou il faut savoir lâcher les armes idéologiques, savoir se taire et écouter pour apprendre.
Un rapprochement entre Attac et les associations de quartiers, de terrain, est-il souhaitable ?
Remi (Attac Rueil) :
Est-ce vraiment la question ? Ne doit-on pas se demander plutôt comment aller conquérir les étudiants de HEC ou de l’ENA, plutôt que les associations de banlieue ? N’est-ce pas davantage la vocation d’Attac ? L’économie est compliquée, les réflexions développées à Attac le sont. Mais le monde est compliqué. On ne va pas simplifier les tracts pour que les gens qui ne savent pas lire puissent les comprendre...
Erwan (Respect) :
L’élargissement n’est pas un thème crucial d’ATTAC ? ? ATTAC se veut un mouvement d’éducation populaire, c’est au centre de pas mal de choses. ATTAC doit intégrer les milieux populaires car aujourd’hui, dans les quartiers, il est plus valorisant d’être consumériste qu’engagé associatif ! Le modèle appliqué dans les milieux populaires tend vers le modèle américain.
Patrick (Attac Rueil) :
Il ne faut pas niveler par le bas les propositions que ATTAC fait. On a toujours besoin d’une élite. Vous aussi, en tant que responsables associatifs, vous faites partie d’une certaine élite et cela est nécessaire...
Mamadou (ZyVa) :
Personnellement, j’ai arrêté l’école en CM2...
Cyril (Attac Rueil) :
J’ai l’impression qu’Attac prend un peu ce sujet de manière « colonialiste » (avec tous les guillemets du monde !) : on va venir dans les quartiers pour y apporter la vérité et apprendre à ceux qui ne savent pas. Je suis pour ma part persuadé qu’une association comme Attac a plus à apprendre des associations de terrain que l’inverse. Elles ont un savoir-faire et une expérience face aux problèmes ou à l’urgence que n’ont pas forcément les militants d’Attac. L’association, même si elle parle beaucoup depuis deux ans de l’élargissement de la base sociale, ne fait concrètement pas grand’ chose. Mon sentiment ? Dans le fond, elle ne s’en soucie guère...
Comment parvenir à un rapprochement ?
DIFFERENCES DE VUES A SURMONTER ?
Rémi (Attac Rueil) :
Le fait qu’une publicité de TF1 apparaisse au dos du magazine Respect me gêne, désolé...
Erwan (Respect) :
C’est une question qui fut un point de débat, mais je peux vous assurer que lorsqu’on essaie de monter un projet comme celui-là, au bout d’un moment, on est très contents de pouvoir recevoir une telle manne financière, même si on n’est pas forcément d’accord avec TF1. On a reçu davantage d’écoute de la part des entreprises privées de ce type que des institutions et des services de l’Etat. Encore une fois, il faut accepter de laisser tomber les armes idéologiques et faire avec les moyens qu’on a pour exister. Après, quand on sera en position de choisir, on pourra en rediscuter...
Ameziane (ZyVa) :
Moi, si TF1 finance des sorties avec les jeunes, des événements, des vacances, comme a pu le faire Vivendi avec nous, je prends l’argent, et ça ne me pose aucun problème de conscience. Je ne peux pas me permettre ce luxe.
QUEL ROLE POUR ATTAC NATIONAL ?
Jean-Claude (Attac 78) :
ATTAC National ne pourrait-il pas déjà remonter et exprimer les sentiments des adhérents sur ce sujet ?
Yves (Attac Rueil) :
Le National peut faire des choses : répertorier, par exemple, les associations de terrain et leur fournir les moyens d’avancer et de traiter des sujets. Apporter un soutien de coordination et de moyens !
Nathalie (Attac) :
Pourquoi ATTAC National ne se prendrait pas en main et ne ferait pas une double page pédagogique sur des thèmes locaux ?
Attac Nanterre :
Il ne faut pas attendre du National un 4 pages “ Mode d’emploi ” pour élargir la base sociale (la plupart des adhérents hurleraient !). Faisons les choses nous-mêmes, localement. ATTAC est mouvement d’éducation populaire et ce sujet est crucial, il faut que chacun réalise son importance et le prenne en main à son niveau, à chaque niveau.
Nelly (Attac Nanterre) :
Nous avons attaqué le sujet, modestement, sans prétention, avant le National. Nous sommes allés au-devant d’associations à Nanterre. Notre expérience nous fait dire que c’est une question de pédagogie. Il ne faut surtout pas construire une relation prof-élève ! Il faut construire un autre type de lien. Les gens ne peuvent pas avoir envie d’apprendre si il n’y a pas d’espoir concret derrière. C’est important qu’il y ait de l’écoute, du faire ensemble, du vivre ensemble.
UNE PEDAGOGIE ?
Nicolas (Attac Clamart) :
Nous voyons bien que nos associations respectives ont des rôles différents, comment pouvons nous nous rejoindre ? ATTAC essaie de décrypter des mécanismes, des phénomènes, pour être en mesure de les dénoncer. Je suis conscient que cela est rapidement chiant pour une grande partie de la population. Mais c’est la meilleure forme d’action que je vois...
Gilbert (Attac Rueil) :
Il manque cruellement d’une littérature plus vulgarisée. La plupart des textes (les 4 pages, etc.) et des tracts sont illisibles ou difficilement abordables pour la plupart des gens.
Jacques (Attac Garches) :
Dans les Hauts-de-Seine, nous sommes en train de réfléchir au développement d’outils pédagogiques (bibliothèque, cinéma...). Ne pourrait-on pas travailler sur ce genre de sujets ensemble ?
Mamadou (ZyVa) :
Attention, nous ne voulons pas non plus de misérabilisme. Il n’y a pas que de la misère sociale dans les quartiers. Il n’y a pas que des gens qui ne savent pas lire, qui n’ont pas de toit... Il y en a qui ont le ventre plein, pour qui les choses ne vont pas mal, qui ont des projets, militent dans des associations. On peut très bien s’appuyer sur ces gens là, travailler et leur proposer des choses...
Ameziane (ZyVa) :
D’une manière générale, j’ai envie de dire aux associations comme aux institutions qui se penchent sur la question des quartiers : « arrêtez de penser pour les autres, arrêtez le misérabilisme ! »
Erwan (Respect) :
On est dans une logique ou l’ensemble des milieux se referment sur eux mêmes (c’est encore plus vrai dans les quartiers...). Or la pédagogie ne peut pas passer dans un tel contexte. La situation catastrophique d’aujourd’hui ne permet pas d’intervention extérieure tant elle débouche sur une situation de repli. Il faut travailler de l’intérieur, on ne peut plus faire autrement ! C’est le sens de notre approche à Respect : nous souhaitons que les gens se réapproprient leur histoire et leur parole. Il faut donc créer des outils pour que les gens parlent d’eux-mêmes. Nous nous sommes fixé un certain nombre d’impératifs :
– Tous les gens qui travaillent sur ce projet (50 personnes, même ponctuellement, même occasionnellement) sont payés
– Ce n’est pas un journal de journalistes : il y a des étudiants, des rappeurs, des associatifs, etc. Et même des journalistes ! Mais on veut en revanche que les gens soient professionnels, que le produit fini soit nickel, et on essaie de les former pour cela.
L’association n’a pas de positionnement idéologique, mais, de fait, les thèmes abordés - les questions qui nous intéressent - sont révélateurs d’un certain positionnement. Ces thèmes : identité, mémoire, rapport hommes / femmes, rapport avec les Etats Unis... C‘est en abordant ces questions culturelles, et uniquement comme cela, que l’on peut ensuite aborder les questions politiques. Si on attaque d’emblée par le politique, on n’intéresse pas les gens.
Cyril (Attac Rueil) :
D’accord avec Erwan : il faut travailler de l’intérieur, que les gens se réapproprient les choses. Cela demandera une certaine forme d’humilité pour les militants d’Attac.
QUELLES THEMATIQUES ABORDER ? QUELLE BASE DE TRAVAIL COMMUNE ?
Mamadou (ZyVa) :
ATTAC ne doit pas forcément changer pour être utile dans les quartiers. Nous quand on veut organiser une animation autour du théâtre, on se tourne vers les professionnels du théâtre. Le jour où l’on souhaite se tourner vers les sujets dont vous vous occupez, nous nous tournerons vers vous. Il est en revanche effectivement important que vous fassiez un effort sur la forme.
Ameziane (ZyVa) :
Ce serait bien qu’Attac réfléchisse sur les problèmes de terrain. Pourquoi pas par exemple sur la ségrégation urbaine ? C’est un sujet important, qui nous touche au quotidien, et qui est en lien direct avec les thèmes d’Attac. Comment fait on pour en sortir ? Venez en parler avec nous, intégrez-le dans vos réflexions... Mais là dessus, on n’entend rien.
Nelly (réponse à Mamadou) :
Vous dites que l’on pourrait travailler ensemble sur des sujets dont nous nous occupons, par exemple les paradis fiscaux. Mais vous savez bien bien que cela n’a pas fonctionné lorsque nous avons essayé ensemble. En revanche, si nous organisons ensemble une fête locale et que nous arrivons avec des produits du commerce équitable et que l’on commence ensuite à engager une discussion (consommation, production...) sur ce thème, cela peut marcher !
Erwan (Respect) :
Quelques axes de réflexion qui pourraient un jour trouver un écho dans pas mal de quartiers, et qui seraient peut-être susceptibles de rencontrer l’intérêt des militants d’ATTAC :
– la ségrégation urbaine, la question du logement / de la ghettoïsation
– les questions internationales (répercussions en France du conflit israélo-palestinien, et une thématique sur laquelle certains FSE se sont sûrement déjà interrogés : « l’islamisme est-il un tiers-mondisme ? »)
– économie parallèle et consumérisme
– sécurité et précarité (insécurité sociale)
– le monde de l’entreprise : nouvelles formes de management (type McDo, Eurodisney, etc.) et la discrimination (cf Le plafond de verre, de Yamina Benguigui et les nouvelles propositions d’Axa/Institut Montaigne et consorts)
– et pourquoi pas médias - cultures alternatives des quartiers, laïcité, mémoire coloniale, de l’immigration, et République, réforme des institutions (éducation, politique envers la jeunesse / éducation populaire et transfert aux entreprises / assos de la politique de la ville).
Il y a le choix !!! L’ensemble de la société française se pose de plus en plus de questions sur tout ça... A mon avis, on a des choses à faire ensemble là-dessus !
En guise de conclusion
La question de l’élargissement de la base sociale d’Attac est un thème important, dans le sens où cela pourrait constituer un nouveau mode d’action pour l’association. Elle influerait, même en partie, même faiblement, sur la stratégie, voire la nature d’Attac.
Si un rapprochement doit s’opérer entre Attac et les associations de quartiers, et les « classes populaires », comme le National l’a récemment énoncé parmi les « Orientations stratégiques pour 2005 »*, il semble toutefois qu’un certain nombre de points importants soient à prendre en compte par Attac si l’association veut que cette initiative soit un succès. A savoir :
– Attac devra s’inscrire et s’intégrer dans un tissu social et associatif qui existe déjà et fournit un gros travail de terrain. Il faudra apprendre à écouter avant de parler, à gagner la confiance, à travailler sur des projets différents de ce qu’Attac a peut-être l’habitude de faire, à construire quelque chose en commun avant de prétendre sortir une boîte à idées. Et accepter de mettre de côté, pour un temps au moins, les « armes idéologiques ».
– Besoin de s’appuyer sur les acteurs de terrain, qui ont déjà une expérience difficilement remplaçable. Eviter de vouloir parler et penser en lieu et place des gens.
– S’appuyer sur l’une des forces d’Attac : son réseau de comités locaux, sa force d’initiative et ses énergies.
– Faire un effort sur la forme de ses publications et productions diverses, en les vulgarisant davantage encore.
– aborder des questions en lien concret et direct avec les problèmes quotidiens qui découlent des politiques néo-libérales.
* « La stratégie d’Attac-France doit se mener avec la préoccupation constante de l’élargissement de toutes les initiatives aux classes populaires et aux jeunes ; aux femmes, aux chômeurs et précaires, aux travailleurs pauvres qui sont les premières victimes de la mondialisation néolibérale. »
Recueilli et mis en forme par Grégory Launay et Cyril Pocréaux