Les crises alimentaires. Texte de la conférence-débat du 19 décembre 2008
Les crises alimentaires
Débat Attac Colombes
Le 19/12/2008 Bernard Kervella
Introduction
L’humanité est confrontée à plusieurs crises : financière, économique, alimentaire, énergétique qui entraînent une crise sociale d’une ampleur sans précédent et qui entraîne un appauvrissement rapide de larges secteurs de la population mondiale. Les économies nationales s’effondrent, le chômage est endémique. Des famines se déclarent en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et dans certaines parties de l’Amérique latine. Cette « mondialisation de la pauvreté, » qui a annulé bon nombre des progrès de la décolonisation d’après-guerre, a commencé dans le tiers-monde avec la crise de la dette du début des années 1980 et l’imposition des réformes économiques meurtrières du Fonds monétaire international (FMI).
Ce Nouvel Ordre Mondial se nourrit de la pauvreté humaine et de la destruction de l’environnement. Il engendre la ségrégation sociale, il encourage le racisme et les conflits ethniques et s’attaque aux droits des femmes et il précipite souvent les pays dans des affrontements destructeurs entre les nationalités. Depuis les années 1990, il s’étend, par l’entremise du « libre marché », dans toutes les régions du monde y compris l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale, les pays de l’ex-bloc soviétique et les « nouveaux pays industriels » (NPI) de l’Asie du Sud-est et de l’Extrême-Orient.
Cette crise planétaire est encore plus dévastatrice que la Grande Dépression des années 1930. Elle a de lourdes conséquences géopolitiques ; le démembrement économique donne lieu à des guerres régionales, à la fracture des sociétés nationales et, dans certains cas, à l’anéantissement de pays. Elle constitue de loin la plus grave crise économique des temps modernes. (Livre de Michel Chossudovsky intitulé : Mondialisation de la pauvreté et le nouvel ordre mondial).
C’est dans ce contexte général que se situent
Les crises alimentaires
Introduction
La famine est le résultat d’un processus de restructuration en « marché libre » de l’économie mondiale qui prend ses assises dans la crise de la dette du début des années 1980. Ce n’est pas un phénomène récent, tel qu’il a été suggéré par plusieurs reportages des médias occidentaux, en se concentrant strictement sur l’offre et la demande à court terme des produits agricoles de base. La pauvreté et la sous-alimentation chronique sont des conditions qui préexistaient avant les récentes hausses des prix des produits alimentaires. Ces derniers frappent de plein fouet une population appauvrie, qui a à peine les moyens de survivre.
Des émeutes de la faim ont éclaté presque simultanément dans toutes les grandes régions du monde : « Les prix des denrées alimentaires en Haïti a augmenté en moyenne de 40 % en moins d’un an, avec le coût des produits de première nécessitée tels que le riz qui a doublé... Au Bangladesh, [à la fin avril 2008] quelques 20.000 travailleurs du textile sont descendus dans la rue pour dénoncer l’augmentation vertigineuse des prix des produits alimentaires et aussi pour demander des salaires plus élevés. Le prix du riz dans le pays a doublé au cours de la dernière année, menaçant les travailleurs qui gagnent un salaire mensuel de seulement 25 $ et qui ont faim. En Égypte, des protestations de travailleurs concernant les prix des produits alimentaires a secoué le centre industriel du textile de Mahalla al-Kobra, au nord du Caire, pendant deux jours, où deux personnes ont été abattues par les forces de sécurité. Des centaines de personnes ont été arrêtées et le gouvernement a envoyé des policiers en civil dans les usines pour forcer les travailleurs à travailler. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 40% en Égypte au cours de la dernière année... Plus tôt ce mois-ci, en Côte d’Ivoire, des milliers de personnes ont marché vers la maison du président Laurent Gbagbo, scandant « nous sommes affamés » et « la vie est trop chère, vous allez nous tuer ».
Des manifestations de même nature ainsi que des grèves et des affrontements sont survenus en Bolivie, au Pérou, au Mexique, en Indonésie, aux Philippines, au Pakistan, en Ouzbékistan, en Thaïlande, au Yémen, en Éthiopie et à travers la majeure partie de l’Afrique subsaharienne. » (Bill Van Auken, Amid mounting food crisis, governments fear revolution of the hungry, Global Research, April 2008)
Avec de grands pans de la population mondiale déjà bien en dessous du seuil de pauvreté, la hausse des prix des denrées alimentaires de base qui se produit sur une courte période est dévastatrice. Des millions de personnes dans le monde sont dans l’incapacité d’acheter de la nourriture pour leur survie.
Ces augmentations contribuent d’une manière très réelle à « éliminer les pauvres » à travers « la mort par la famine. » Dit dans les mots de Henry Kissinger : « Contrôlez le pétrole et vous contrôlerez les nations, contrôlez la nourriture et vous contrôlerez la population. »
Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, le prix des céréales a augmenté de 88% depuis mars 2007. Le prix du blé a augmenté de 181% sur une période de trois ans. Le prix du riz a augmenté de 50% dans les trois derniers mois (Voir Ian Angus, Food Crisis : "The greatest démonstration of the historical failure of the capitalist model", Global Research, April 2008) :
« La plus populaire variété de riz de la Thaïlande se vendait il y a 5 ans 198 $ US et à 323 $ la tonne l’an dernier. En avril 2008, le prix a atteint 1000 $. Les augmentations sont encore plus élevées sur les marchés locaux ; en Haïti, le prix d’un sac de 50 kilos de riz a doublé en une semaine à la fin mars 2008. Ces augmentations sont catastrophiques pour les 2,6 milliards de personnes dans le monde qui vivent avec moins de 2 $ US par jour et qui consacrent de 60% à 80% de leurs revenus à l’alimentation. Des centaines de millions de personnes n’ont pas les moyens de manger » Selon les estimations du FAO (Rapport du 9/12/08) qui publie son rapport annuel sur l’insécurité alimentaire, 963 millions de personnes souffrent de la faim en 2008, soit 40 millions de plus qu’en 2007. Le bilan s’est surtout alourdi du fait de l’envolée des prix alimentaires, et la crise économique pourrait aggraver la situation.
Cette crise à Deux dimensions interdépendantes :
Il y a deux dimensions interdépendantes dans la crise alimentaire mondiale en cours, qui plonge des millions de personnes à travers le monde dans la famine et la privation chronique, une situation où des populations entières n’ont plus les moyens d’acheter de la nourriture.
Tout d’abord, il y a un processus historique à long terme de politiques de réforme macroéconomiques et de restructuration économique mondiale, qui a contribué à baisser le niveau de vie partout dans le monde, autant dans les pays développés que dans les pays en développement.
Deuxièmement, ces conditions historiques préexistantes de pauvreté de masse ont été exacerbées et aggravées par la récente flambée des prix des céréales, qui a entraîné dans certains cas, le doublement du prix de détail des denrées alimentaires de base. Ces hausses de prix sont en grande partie le résultat de la spéculation boursière sur les denrées alimentaires de base. Les médias ont induit en erreur l’opinion publique sur les causes de ces hausses de prix, en se concentrant presque exclusivement sur la question des coûts de production, le climat et d’autres facteurs qui ont pour effet de réduire l’offre et qui pourraient contribuer à gonfler les prix des aliments de base. Bien que ces facteurs puissent entrer en jeu, ils ne peuvent expliquer à eux seuls l’impressionnante et spectaculaire hausse des prix des produits de base
Les causes : En réalité que s’est-il passé ?
Dans un premier temps : Les pays en développement ont renoncé aux protections douanières qui permettaient de mettre les paysans locaux à l’abri de la concurrence des producteurs agricoles étrangers, principalement les grandes firmes d’agro-exportation nord-américaines et européennes. Celles-ci ont envahi les marchés locaux avec des produits agricoles vendus en dessous du coût de production des agriculteurs et éleveurs locaux, ce qui a provoqué leur faillite (nombre d’entre eux ont émigré vers les grandes villes de leurs pays ou vers les pays les plus industrialisés). Selon l’OMC, les subsides versés par les gouvernements du Nord à leurs grandes entreprises agricoles sur le marché intérieur ne constituent pas une infraction aux règles anti-dumping. Comme l’écrit Jacques Berthelot : « alors que, pour l’homme de la rue, il y a dumping si on exporte à un prix inférieur au coût moyen de production du pays exportateur, pour l’OMC, il n’y a pas de dumping tant qu’on exporte au prix intérieur, même s’il est inférieur au coût moyen de production . » Bref, les pays de l’Union européenne, les Etats-Unis ou d’autres pays exportateurs peuvent envahir les marchés des autres avec des produits agricoles qui bénéficient de très importantes subventions internes. Le maïs exporté au Mexique par les Etats-Unis est un cas emblématique. A cause du traité de libre commerce (TLC) signé entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, ce dernier a abandonné ses protections douanières face à ses voisins du Nord. Les exportations de maïs des Etats-Unis au Mexique ont été multipliées par neuf entre 1993 (dernière année avant l’entrée en vigueur du TLC) et 2006. Des centaines de milliers de familles mexicaines ont dû renoncer à produire du maïs car celui-ci coûtait plus cher que le maïs provenant des Etats-Unis (produit avec une technologie industrielle et fortement subventionné). Cela n’a pas seulement constitué un drame économique, il s’est agi aussi d’une perte d’identité car le maïs est le symbole de la vie dans la culture mexicaine, notamment chez les peuples d’origine maya. Une grande partie des cultivateurs de maïs ont abandonné leur champ et sont partis chercher du travail dans les villes industrielles du Mexique ou aux Etats-Unis. Le Mexique qui dépend dorénavant pour nourrir sa population du maïs des Etats-Unis est confronté à une augmentation brutale du prix de cette céréale provoquée, d’une part, par la spéculation sur les Bourses de Chicago, de Kansas City, de Minneapolis et, d’autre part, par la production chez le voisin du Nord d’éthanol de maïs. Les producteurs mexicains de maïs ne sont plus là pour satisfaire à la demande interne et les consommateurs mexicains sont confrontés à une explosion du prix de leur nourriture de base, la tortilla, cette crêpe de maïs qui remplace le pain ou le bol de riz consommé sous d’autres latitudes. En 2007, d’énormes protestations populaires ont secoué le Mexique. Dans des conditions spécifiques, les mêmes causes ont produit grosso modo les mêmes effets. L’interconnexion des marchés alimentaires à l’échelle mondiale a été poussée à un niveau jamais connu auparavant.
Dans un second temps : L’escalade des prix des produits alimentaires est en grande par le résultat d’une manipulation du marché. Elle est en grande partie attribuable à la spéculation boursière sur les marchés des matières premières. Les prix des céréales sont artificiellement gonflés par la spéculation à grande échelle sur les opérations des marchés boursiers de New York et de Chicago. Il est intéressant de noter qu’en 2007, le Chicago Board of Trade (CBOT), a fusionné avec le Chicago Mercantile Exchange, formant la plus importante entité au monde traitant dans le commerce des produits de base et comptant un large éventail d’instruments spéculatifs (les options, les options sur contrat à terme, les fonds indiciels, etc.) Des transactions spéculatives sur le blé, le riz ou le maïs, peuvent se produire sans qu’il y ait de transactions réelles de ces produits.
Les institutions, qui actuellement spéculent sur le marché des céréales, ne sont pas nécessairement impliquées dans la vente ou la livraison des grains. Les transactions peuvent se faire par fonds indiciels qui permettent de parier sur la hausse ou la baisse en général de la variation des prix des marchandises.
Une « option de vente » est un pari que les prix vont baisser, une « option d’achat » est un pari que les prix vont augmenter. Grâce à la manipulation concertée, les opérateurs institutionnels et les institutions financières font augmenter les prix. Ils placent alors leurs paris sur la hausse du prix d’un produit en particulier. La spéculation génère la volatilité du marché. À son tour, l’instabilité qui en résulte encourage la poursuite de l’activité spéculative.
Les bénéfices sont réalisés lorsque le prix monte. En revanche, si le spéculateur est un short-selling , le bénéfice sera réalisé lorsque le prix diminuera.
Cette récente flambée spéculative des prix des denrées alimentaires a engendré un processus mondial de création de la famine à une échelle sans précédent.
Ces opérations spéculatives ne devraient pas pouvoir engendrer délibérément la famine. Ce qui cause la famine est l’absence de procédures règlementaires relatives au commerce spéculatif (les options, les options sur contrat à terme, les fonds indiciels). Dans le contexte actuel, un gel des transactions spéculatives sur les produits alimentaires de base, décrété par décision politique, contribuerait immédiatement à faire baisser les prix des produits alimentaires.
Rien n’empêche que ces opérations soient neutralisées et désamorcées par un ensemble soigneusement élaboré de mesures règlementaires.
Visiblement, ce n’est pas ce qui est proposé par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).
Le rôle du FMI et de la Banque mondiale dans cette crise :
La Banque mondiale et le FMI ont présenté un plan d’urgence, afin d’accroître l’agriculture en réponse à la « crise alimentaire. » Cependant, les causes de cette crise ne sont pas prises en compte.
La « médecine économique » du FMI et de la Banque mondiale n’est pas la « solution, » elle est plutôt en grande partie la « cause » de la famine dans les pays en développement. Plus le FMI et la Banque mondiale prêtent « pour accroître l’agriculture » et plus ils augmenteront les niveaux d’endettement.
La « politique de prêts » de la Banque mondiale consiste à accorder des prêts à la condition que les pays se conforment à l’agenda politique néolibérale qui, depuis le début des années 1980, a été propice à l’effondrement de l’agriculture alimentaire locale.
La « stabilisation macro-économique » et les programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale aux pays en développement (comme condition de renégociation de leur dette extérieure) ont conduit à l’appauvrissement de centaines de millions de personnes.
Les dures réalités économiques et sociales derrières les interventions du FMI sont les causes de l’augmentation démesurée des prix des produits alimentaires, des famines au niveau local, des licenciements massifs de travailleurs urbains et de fonctionnaires et de la destruction des programmes sociaux. Le pouvoir d’achat interne s’est effondré, les cliniques de santé contre la famine et les écoles ont été fermées, des centaines de millions d’enfants ont été privés du droit à l’enseignement primaire.
La dérèglementation des marchés céréaliers :
Depuis les années 1980, les marchés céréaliers ont été dérèglementés sous la supervision de la Banque mondiale et des surplus céréaliers des États-Unis et de l’Union européenne ont systématiquement été utilisés pour détruire la paysannerie et pour déstabiliser l’agriculture alimentaire nationale. À cet égard, les prêts de la Banque mondiale exigent la levée des barrières commerciales sur les importations de produits agricoles de base, conduisant au dumping des surplus céréaliers des États-Unis et de l’Union européenne sur le marché local. Ces mesures, ainsi que d’autres mesures, ont mené les producteurs agricoles locaux à la faillite. Un « marché céréalier libre », imposé par le FMI et la Banque mondiale, détruit l’économie paysanne et affaibli la « sécurité alimentaire. » Le Malawi et le Zimbabwe étaient auparavant des pays prospères en excédent céréalier, le Rwanda était pratiquement autosuffisant en matière alimentaire jusqu’à 1990, date à laquelle le FMI a ordonné le dumping des excédents céréaliers de l’Union européenne et des États-Unis sur le marché intérieur, précipitant ainsi les petits agriculteurs en faillite. En 1991-1992, la famine a frappé le Kenya, un pays qui connaissait un succès pour ses surplus céréaliers. Le gouvernement de Nairobi avait précédemment été mis sur une liste noire pour ne pas avoir obéi à des recommandations du FMI. La déréglementation du marché des céréales a été exigée comme une des conditions pour le rééchelonnement de la dette extérieure de Nairobi avec les créanciers officiels du Club de Paris. (Livre de Michel Chossudovsky, Mondialisation de la pauvreté et le nouvel ordre mondial)
Dans toute l’Afrique, ainsi qu’en Asie du Sud-est et en Amérique latine, le modèle des « ajustements structurels » dans l’agriculture sous la tutelle des institutions de Bretton Woods a servi de manière sans équivoque à la disparition de la sécurité alimentaire. La dépendance vis-à-vis du marché mondial a été renforcée, entraînant une augmentation des importations de céréales commerciales, ainsi qu’une augmentation de l’afflux « d’aide alimentaire. »
Les producteurs agricoles ont été encouragés à abandonner l’agriculture alimentaire et à se convertir dans des cultures de « haute valeur » à des fins d’exportation, souvent au détriment de l’autosuffisance alimentaire. Les produits de grande valeur ainsi que les cultures à des fins d’exportation ont été soutenus par des prêts de la Banque mondiale.
Les famines à l’ère de la mondialisation sont le résultat de ces politiques. La famine n’est pas la conséquence d’un manque de nourriture, c’est en fait tout le contraire : les surplus alimentaires mondiaux sont utilisés pour déstabiliser la production agricole dans les pays en développement.
Strictement règlementée et contrôlée par l’industrie agroalimentaire internationale, cette offre excédentaire est finalement propice à la stagnation de la production et de la consommation des produits alimentaires de base essentiels et à l’appauvrissement des agriculteurs dans le monde. En outre, en cette époque de mondialisation, les programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale ont un lien direct sur le processus de développement de la famine, car ils affaiblissent systématiquement toutes les catégories d’activités économiques urbaines ou rurales, qui ne servent pas directement les intérêts du marché mondial.
Les revenus des agriculteurs dans les pays riches et dans les pays pauvres sont réduits par une poignée d’industriels du secteur de l’agroalimentaire mondial qui en même temps contrôlent les marchés des céréales, les intrants agricoles, les semences et la transformation des aliments. La géante société Cargill Inc avec plus de 140 filiales et sociétés affiliées à travers le monde contrôle une part importante du commerce international des céréales. Depuis les années 1950, Cargill est devenue le principal contractant pour « l’aide alimentaire » des États-Unis financée par la Loi Publique 480 (1954).
L’agriculture mondiale a pour la première fois de l’histoire, la capacité de satisfaire les besoins alimentaires de toute la planète, mais la nature même du marché mondial de ce système ne permet pas que ça se réalise. La capacité de produire de la nourriture est immense, mais les niveaux de consommation alimentaire restent extrêmement faibles, car une grande partie de la population mondiale vit dans des conditions d’extrême pauvreté et de privation. En outre, le processus de « modernisation » de l’agriculture a conduit à la dépossession des paysans et à l’augmentation du niveau de dégradation des terres et de l’environnement. Autrement dit, les forces mêmes qui encouragent la production alimentaire mondiale à se développer favorisent également une diminution du niveau de vie et une baisse de la demande de nourriture.
Les semences génétiquement modifiées :
Coïncidant avec la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, un autre important changement historique a eu lieu dans la structure de l’agriculture mondiale.
Dans le cadre du contrat de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)), les géants de l’agroalimentaire ont une entière liberté d’entrer dans les marchés céréaliers des pays en développement. L’acquisition de « droits de propriété intellectuelle » exclusifs sur les variétés végétales par des intérêts agroindustriels favorise aussi la destruction de la biodiversité.
Agissant au nom d’une poignée de conglomérats de biotechnologie, des semences OGM ont été imposées aux agriculteurs, souvent dans le cadre de « programmes d’aide alimentaire. » Par exemple, en Éthiopie des trousses de semences OGM ont été remis aux agriculteurs pauvres afin de rétablir la production agricole à la suite d’une grande sécheresse. Les semences OGM ont été plantées, donnant une seule récolte. Mais après, les agriculteurs ont réalisé que les semences OGM ne pourraient pas être replantées sans payer de redevances à Monsanto, Arch Daniel Midland et al. Ensuite, les agriculteurs ont découvert que les graines ne pousseraient que s’ils utilisaient les intrants agricoles soit, les engrais, les insecticides et les herbicides qui sont produits et distribués par les entreprises agroalimentaires de biotechnologie. Toute l’économie paysanne est dorénavant enfermée entre les mains des conglomérats de l’agro-industrie. Avec l’adoption généralisée de semences OGM, une transition majeure a eu lieu dans la structure et dans l’histoire de l’agriculture depuis sa création il y a 10.000 ans. La reproduction de semences au niveau des villages et chez les producteurs de semences a été perturbée par l’utilisation de semences génétiquement modifiées. Le cycle agricole, qui permet aux agriculteurs de stocker leurs semences biologiques et de les semer pour en tirer la prochaine récolte a été brisé. Ce concept destructeur, produisant invariablement la famine, est reproduit partout, pays après pays, conduisant à la disparition de l’économie paysanne mondiale.
Quelle est la part de responsabilité des agro carburants dans cette hausse ?
Ce ne sont pas les volumes actuels de produits agricoles destinés aux agro carburants qui expliquent la hausse des prix, sauf localement chez les fournisseurs de maïs des Etats-Unis, principaux producteurs de ces carburants. D’après les estimations d’Agrimonde, projet de prospective mené par le Cirad et l’Inra, sur le total des calories végétales produites dans le monde, moins de 5 % sont destinées aux usages non alimentaires dont font partie les agro carburants. L’alimentation humaine représente 55 % de ce total et l’alimentation animale 30 %. En outre, les volumes destinés aux agro carburants sont, pour le moment, faibles. Ainsi, selon l’Agence internationale de l’énergie, en 2005, 1 % des terres cultivées servaient à produire des agro carburants remplaçant 1 % de notre consommation mondiale de carburants fossiles. En revanche, la hausse annoncée de l’utilisation des céréales pour des agro carburants accroît l’intérêt du marché des produits agricoles pour les spéculateurs financiers. C’est donc plus l’anticipation de cette hausse de la demande qu’une hausse réelle qui contribue à expliquer la flambée des prix.
Le problème se situe-t-il uniquement au niveau de la production agricole ?
Le secteur vivrier ne se limite pas aux producteurs agricoles. On l’oublie trop souvent. Il concerne également un très grand nombre d’activités permettant d’assurer la connexion entre les producteurs et le marché : activités de transformation agroalimentaire (extraction d’huile, broyage des céréales ou des racines et tubercules, séchage du poisson, etc.), de commercialisation et de distribution, ou encore de restauration. C’est, d’une part, grâce à ce secteur que les produits circulent, sont acheminés vers des marchés, sont stockés, adaptés à la demande des consommateurs et leur sont distribués. C’est, d’autre part, par l’intermédiaire de ces activités que les incitations du marché sont transmises aux producteurs, en termes de quantité, de qualité et de prix requis. Ce secteur est dans une situation paradoxale : il joue un rôle crucial de courroie d’entraînement du secteur agricole par le développement des marchés domestiques et il est pourtant presque partout négligé dans les politiques. Celles-ci se limitent bien souvent à considérer d’un côté des producteurs agricoles ruraux et de l’autre des consommateurs urbains, faisant fi de tout ce secteur qui fait le lien entre eux et régule ainsi offre et la demande.
Une marge de manœuvre de taille se situe donc dans ces activités de transformation et de commercialisation, dans la création d’un environnement plus favorable à leur développement, dans la création d’infrastructures de transport, de stockage, dans les technologies de transformation des produits agricoles. Ce secteur est essentiellement tenu par les femmes et une grande partie de la marge de manœuvre est entre leurs mains. Mais sa forte croissance depuis une vingtaine d’années a attiré quelques gros opérateurs qui spéculent et répercutent mal aux producteurs la hausse des prix à la consommation. Il faut donc des politiques qui permettent au marché de mieux fonctionner et non pas un total laisser-faire qui laisse les plus puissants profiter de positions avantageuses et accroît davantage les inégalités.
Quelles pistes pour gérer la crise et en sortir ?
A court terme, des mesures d’urgence s’imposent : la crise risque d’avoir des conséquences dramatiques sur la situation nutritionnelle des plus vulnérables. Cependant, une aide alimentaire d’urgence ne règlera pas le problème.
Il est également nécessaire de libérer les marges de productivité dans le secteur du vivrier marchand, tant au niveau de la production que de la transformation et de la commercialisation. Sans qu’il y ait de solution miracle, il suffit déjà, pour faire réagir le vivrier marchand, de pouvoir garantir l’accès pour les paysans à un peu plus d’engrais, de produits phytosanitaires, de routes en bon état, de moyens de transformation, de crédit, de conseils, d’assurance, d’informations sur les prix, de réduire les taxations policières sur les routes, le prix du gas-oil. Par ailleurs, les paysans sont appauvris par des années d’abandon du secteur agricole par les politiques. C’est donc tout un soutien à l’agriculture des pays à vulnérabilité alimentaire qu’il faut relancer et non pas poursuivre une politique de libéralisation accélérée de ce secteur, lui faisant subir les aléas des marchés internationaux. Le développement agricole doit donc devenir une priorité dans l’agenda international.
A plus long terme, il sera sans doute difficile de s’affranchir de la question d’une meilleure répartition des ressources. Car c’est bien parce que certains grands pays, très peuplés, se mettent à consommer comme les pays les plus industrialisés que l’on se rend compte des limites du système. Ceux qui souffrent aujourd’hui sont bien peu responsables de ce qui les fait souffrir. Il ne s’agit plus de transférer le modèle agro-industriel pour le généraliser à l’ensemble de la planète, mais bien d’inventer ensemble un système plus durablement équitable.
Conclusions
:
La crise alimentaire mondiale met à nu le moteur de la société capitaliste : la recherche du profit privé maximum à court terme. Pour les capitalistes, les aliments ne sont qu’une marchandise qu’il faut vendre avec le plus de profit possible. L’aliment, élément essentiel du maintien en vie des êtres humains, est transformé en pur instrument de profit. Il faut mettre fin à cette logique mortifère. Il faut abolir le contrôle du capital sur les grands moyens de production et de commercialisation et donner la priorité à une politique de souveraineté alimentaire.
La crise climatique. Les effets du changement climatique ont momentanément disparu de la une de l’actualité, supplantés par la crise financière. Néanmoins le processus est en cours à l’échelle de la planète et ici aussi l’interconnexion est évidente. Certes les populations des pays « pauvres » seront plus fortement touchées que celles des pays « riches » mais personne n’en sortira indemne.