Analyse critique de l’AGCS

, par Alain Lecourieux

On trouve sur le site de l’OMC le document GATS - Fact and fiction ou AGCS - Faits et fictions. L’OMC entend y " démentir les mythes et les mensonges " colportés par les critiques de l’AGCS.
Le texte qui suit est une contribution à l’analyse de ce document ; dans ce texte le document GATS - Fact and fiction de l’OMC est appelé GFF, par commodité.

Alain Lecourieux

Structure et objectifs du traité

Si l’OMC admet, en une phrase, dans son document GFF que le libre-échange n’est pas une fin en soi et que les services doivent répondre à une demande individuelle et sociale et concourir au bien-être humain (welfare), elle reprend longuement les arguments traditionnels du néo-libéralisme : les Etats ne peuvent pas prospérer avec une infrastructure de services inefficace et coûteuse ; la concurrence est la seule réponse, elle est source d’efficacité, de qualité des services, de choix plus larges pour le consommateur, de prix plus bas, d’emplois plus nombreux et de transferts de technologie.

L’OMC constate aussi que le secteur des services est le plus vaste, le plus croissant de l’économie et qu’il contribue peu au commerce mondial (20% des échanges) et que l’AGCS apporte la transparence et la prévisibilité nécessaires aux acteurs économiques privés pour qu’ils développent leurs activités dans ce secteur.

Le caractère multilatéral de l’AGCS (clause de la nation la plus favorisée - NPF) est affirmé : chaque Etat est en concurrence avec tous les autres (sauf exceptions motivées).

L’OMC insiste sur le fait que l’AGCS est constitué d’un accord-cadre qui comporte peu d’obligations et d’engagements spécifiques que les Etats prennent volontairement sous-secteur par sous-secteur (appelés schedule of specific commitments).

La critique que l’on peut formuler ici est multiple :
 la demande sociale mentionnée ne trouve aucune réponse ni dans les valeurs de l’OMC, ni dans le texte du traité, ni dans le document : pour la satisfaire les Etats n’ont d’autres choix que d’exclure les secteurs concernés du champ du traité ;
 au credo libéral sur les vertus de la concurrence doit être opposé celui de la coopération : le premier tire le social vers le bas, l’autre vers le haut ; il doit être accompagné d’un effort pour promouvoir une réforme des services publics qui privilégie l’efficacité sociale (Cf. les nombreuses publications à ce sujet) ;
 la marchandisation de services qui échappent, pour une part (les services publics) aux intérêts privés est un objectif du traité (les 20%) et l’un des buts, sous couvert de transparence et de prévisibilité, est de mettre dans le champ des négociations tout ce qui est un obstacle au commerce ;
 la NPF est un moyen de renforcer le plus fort : c’est le combat entre le renard libre et la poule libre ; là encore, pour se protéger ou prendre en compte les accords bilatéraux ou régionaux entre Etats, on en est réduit à recourir aux exceptions à la NPF ;
 l’affirmation selon laquelle l’accord-cadre, sans engagement dans un secteur, n’entraîne que peu d’obligations est contestable ; nous devons expliciter ce point.

Le champ du traité, sa flexibilité, les engagements, leur réversibilité

L’OMC présente, dans ce domaine, trois arguments majeurs :
 les services rendus dans le cadre de l’exercice de l’autorité gouvernementale sont exclus du champ de l’AGCS ;
 le traité offre toutes les flexibilités aux gouvernements qui peuvent ou non prendre des engagements en excluant des secteurs ou sous-secteurs, limiter ou pas l’accès au marché ou le traitement national, exclure ou pas un ou plusieurs modes ; le rythme de la libéralisation est à la discrétion des gouvernements ;
 les engagements sont réversibles moyennant certaines conditions.

A noter :
 parmi les limitations d’accès au marché mentionnées dans le traité figurent notamment le nombre de fournisseurs, la valeur totale des transactions, le nombre de personnes employées, le type d’entité légale autorisée, la part du capital étranger ;
 les quatre mode de fourniture des services du traité sont : les services transfrontaliers, les services consommés à l’étranger, la présence d’une entité étrangère fournissant des services, la présence physique d’étrangers fournissant des services.

Tout ceci appelle les remarques suivantes :
 les services rendus dans l’exercice de l’autorité gouvernementale sont définis, dans le traité, comme n’étant fournis ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs ; le document de l’OMC déclare qu’il n’est pas nécessaire d’interpréter cette définition ; en effet la culture, la santé et l’éducation, par exemple, font partie clairement du champ du traité ;
 pour préciser le champ du traité, il convient de citer le traité : il s’applique à toutes les mesures qui affectent le commerce des services que ces mesures soient prises par les autorités gouvernementales centrales, régionales ou locales ou non-gouvernementales dans l’exercice de délégations ; il s’applique à tous les stades d’élaboration des services : production, distribution, marketing, vente et livraison ; le document GFF de l’OMC ne mentionne pas ces points ;
 il est exact que le traité offre des flexibilités pour limiter l’engagement, mais la logique du traité est justement d’éliminer ces limitations ; pour la première fois, et à la différence des traités qui concernent les marchandises, l’AGCS stipule explicitement dans sa partie IV que les membres chercheront dans les rounds successifs un degré toujours plus grand de libéralisation ; la logique même des négociations est rappelée, par exemple, par Pascal Lamy, commissaire de l’UE au commerce, devant le United States Council for International Business le 8 juin 2000 : " Si nous voulons améliorer notre propre accès aux marchés étrangers, alors nous ne pouvons mettre à l’abri nos secteurs protégés. Il nous faut être prêts à les négocier tous, si nous voulons avoir matière à un accord global ? Pour les Etats-Unis, comme pour l’UE, cela veut dire quelques douleurs dans quelques secteurs, mas des gains dans beaucoup d’autres, et je crois que nous savons, de part et d’autre, qu’il faudra consentir des sacrifices pour obtenir par ailleurs ce que nous voulons " ;
 enfin, quand un Etat prend un engagement, il ne peut revenir sur celui-ci qu’au bout de trois ans en négociant avec les autres Etats concernés les " dommages " qu’il leur cause, soit sous forme monétaire, soit sous la forme d’une concession d’une valeur équivalente ; les Etats peuvent, dans des cas tout à fait exceptionnels, invoquer un intérêt public majeur ou un problème crucial de balance des paiements ; ces conditions de retrait sont si excessives que les Etats négocient actuellement des mesures de sauvegarde d’urgence.

Les financements publics

Le document GFF de l’OMC déclare qu’il n’y a pas de règles, dans le traité, relatives aux subventions.

Or les subventions sont reconnues, dans le traité, comme des obstacles éventuels au commerce des services et les Etats qui prennent des engagements dans un secteur de service doivent signaler toute subvention accordée dans ce secteur comme limitation au principe du traitement national.

De plus, le traité annonce l’ouverture de négociations sur les subventions visant à développer les disciplines multilatérales nécessaires pour éviter les distorsions sur le commerce ; le document GFF indique que ces négociations se déroulent actuellement.

La dérégulation

Le document GFF de l’OMC rappelle que l’objectif de l’AGCS est de libéraliser (c’est-à-dire d’ouvrir aux acteurs privés de nouveaux secteurs de service) et non pas de déréguler ; les acteurs privés se plieraient donc, selon l’OMC, aux obligations du secteur public, s’ils veulent les concurrencer.

Citons d’abord le traité (Article VI : Domestic regulations) : pour s’assurer que les mesures relatives aux exigences de qualification (des personnes), aux procédures, aux standards techniques et à l’octroi de licences ne constituent pas des barrières non nécessaires au commerce des services, le conseil du commerce des services (un des services de l’OMC) développera les disciplines nécessaires.

Le document GFF de l’OMC précise que la seule circonstance où des régulations nationales peuvent être mises en cause est le règlement des différends entre Etats.

Ces deux éléments permettent d’affirmer que l’AGCS et l’Organe de Règlement des Différends (ORD), dans certaines circonstances, peuvent contraindre un Etat à revenir sur des régulations nationales ; c’est l’ORD qui, en cas de différend, décidera si les régulations sont nécessaires ou pas. Quand on connaît les critiques dont l’ORD fait l’objet (arbitraire de la désignation des juges, opacité, coût, domination du droit anglo-saxon), on peut être légitimement inquiet.

L’ORD menace-t-il la démocratie ?

C’est le document GFF de l’OMC qui pose la question et répond : non.

Revenant sur le fait que les régulations nationales ne seront questionnées que par la procédure de règlement des différends, l’OMC indique qu’aucun différend entre Etats n’est advenu en six ans, sur les services ; elle ajoute que cela peut néanmoins arriver. Pour l’OMC, l’AGCS entraîne, comme tout traité, un abandon de souveraineté ; en cas de condamnation dans le règlement d’un différend, un Etat doit admettre que les droits d’un autre Etat peuvent prévaloir sur les siens.

L’OMC oublie ce qu’a déclaré Renato Ruggiero, ancien directeur de l’OMC, le 2 juin 1998 à Bruxelles : " L’AGCS fournit des garanties sur un champ de droit et de régulation bien plus vaste que celui du GATT ; le droit d’établissement d’une entreprise de services dans un autre pays et l’obligation de traitement national à l’égard des fournisseurs de services étrangers étendent le champ de l’accord à des domaines qui n’avaient jamais été reconnus auparavant comme faisant partie de la politique commerciale. "

C’est qu’à la différence des traités concernant les marchandises, l’AGCS s’applique aux mouvements de capitaux et de personnes, par les modes 3 et 4 de fourniture de services (établissement d’une entreprise de services dans un autre pays et mouvement de personnes physiques à l’étranger) ; l’AGCS pèse donc sur les régulations nationales pour assurer de " bonnes conditions " aux capitaux investis dans l’entreprise qui opère à l’étranger ; de même, le mouvement de personnes physiques à l’étranger conduit à un dumping social exercé par la concurrence que ces personnes exercent sur les personnes présentes dans le pays qui rendent les mêmes services.

L’OMC indique, à juste titre, que ce sont les gouvernements qui décident de leurs engagements ; l’OMC est en effet une institution inter-gouvernementale. Dans ce document, l’OMC rejette les autres organisations comme auto-proclamées, donc illégitimes et considère qu’elles sont bien informées (briefings, site internet).

En fait la question qui est posée est celle du caractère démocratique de l’ensemble des organisations concernées et du processus d’élaboration et de modification de traités tels que l’AGCS ... et de la place que doit y tenir le débat démocratique.