Une nouvelle dynamique pour ATTAC : "Radicalité, violence et désobéissance civile"
Texte élaboré par le groupe de proximité de Rueil - Garches - Vaucresson - Marnes la Coquette
Après « ATTAC et les partis politiques » en novembre 2003, et avant « Quelles alternatives au néo-libéralisme ? » en janvier 2004, le thème « Radicalité, violence et désobéissance civile » avait été choisi par le groupe local d’ATTAC comme axe de débat. Tout ça pour participer, comme on nous l’avait demandé (nous sommes des gens obéissants) à la réflexion lancée par le bureau national sur la nouvelle étape de l’association. Le 18 décembre 2003, une quinzaine d’adhérents s’étaient donc réunis pour échanger leurs points de vues sur le sujet. Qui n’allaient pas toujours, on pouvait s’en douter, dans le même sens.
Pour mieux rendre compte d’un débat à plusieurs voix et à bâtons rompus, imaginons donc deux militants… Ou deux militantes, au choix. Mieux, même, une militante et un militant. Enfin bref… Imaginons, disions-nous, deux altermondialistes accoudés à un bar… Non, non, ça fait trop « café du commerce ». Donc, deux altermondialistes en train de prendre un pot quelque part. Voilà à peu près quel pourrait être leur conversation sur la question s’ils étaient choisis parmi un échantillon représentatif du groupe local de Rueil - Garches. Ou du moins de ceux qui étaient présents ce soir-là.
Recueilli par Cyril Pocréaux
– Je peux te dire une chose, c’est qu’y a matière à débat, avec la réflexion sur la nouvelle étape d’ATTAC. Tiens, jette un œil sur ce thème : « Radicalité, violence et désobéissance civile ». Rien que ça… J’en connais qui vont s’étriper, sur un sujet comme celui-là. Qu’est-ce que ça t’évoque, à toi ?
– Ben, visiblement, ça fait référence, par exemple, aux actions contre les OGM. On les a vues à la télé : des artistes, des écrivains, des gens connus ou inconnus qui s’en allaient arracher des plants en plein champ…
– Ouais, je vois… des actes Illégaux, peut-être pas illégitimes mais illégaux, voire violents. Un recours à des types d’actions radicales, en tout cas… Moi, je n’y suis pas vraiment favorable. Ce qui me gêne dans le terme radicalité, c’est qu’il sous-entend qu’on va s’opposer systématiquement à tout ce qu’on va nous dire et nous proposer…
– Non, non, pas forcément. Ça peut très bien laisser une porte ouverte au débat, voire même le provoquer quand on ne peut visiblement débattre de rien. Les actions contre les OGM, si on les considère comme radicales, ont surtout pour but d’obtenir un moratoire et un droit au débat.
– Et la violence, alors ?
– Si on évoque la violence, il faut peut-être d’abord se demander de quoi on parle. La violence, c’est quoi ? Fracasser une porte d’immeuble pour loger des gens qui vivent dehors, c’est violent ? Empêcher physiquement l’expulsion d’étrangers en situation irrégulière mais atteints du Sida, c’est violent ? Et si on compare ça avec le fait de tailler dans les droits des chômeurs, alors ? On peut tous sentir, à certains moments, des pulsions violentes. Mais c’est tout simplement parce que ce qu’on nous fait subir est violent. Parce que la politique sociale mise en place est violente. Vois ce qu’on a imposé aux intermittents du spectacle… Dans ce rapport de force, quand on a recours aux moyens légaux pour s’opposer à cette violence qu’on nous inflige, on nous oppose une fin de non-recevoir. Qu’est-ce qui nous reste, alors, comme solutions ? Vois les indépendantistes Corses : ils prennent des mitraillettes, passent des cagoules, et ils sont écoutés, quelle que soit d’ailleurs la justesse de leur cause…
– Oui, mais finalement, qu’y ont-ils gagné ? Pas grand-chose… Moi, je suis vraiment partagé sur le sujet. Je me dit souvent que la culture, la musique, les chansons engagées, bref, que l’action pacifique peut faire évoluer les choses. D’une manière générale, j’ai peur que les effets de la désobéissance civile soient très limités. Tout simplement parce que la loi du nombre est prépondérante.
– Bien sûr, et je suis d’accord avec toi. ATTAC, d’ailleurs, a choisi d’être un mouvement d’éducation populaire. Mais est-ce que dans quelques situations, pas forcément nombreuses, une action violente ne serait pas justifiée ?
– Cela peut être tentant, oui… On a tous, à un moment ou un autre, envie de se laisser aller à ses pulsions. Quand on entend parler Francis Mer, qu’on l’entend raconter qu’il veut gérer la France comme une entreprise, il y a de quoi être scandalisé. Et avoir envie de tout foutre en l’air. Mais on ne le fait pas, la plupart du temps en tout cas. Parce qu’avant de se laisser aller à des actions radicales, on fait toujours le point de ce qu’on aurait à perdre ou à ne pas perdre dans l’histoire. A mon avis, toutes ces pulsions remonteront à la surface quand tout le monde, ou une large majorité des gens, n’aura plus grand-chose à perdre. Mais d’ici là, ça m’étonnerait qu’on tombe bientôt dans la radicalité…
– Mais même sans considérer ce qu’on a à perdre ou pas, ne crois-tu pas qu’il existe des situations d’urgence qui commandent d’agir ? Voir des gens mourir dans la rue, comme je le disais tout à l’heure ?
– Bien sûr. Mais tu ne peux pas oublier qu’on est en démocratie, et qu’il y a des règles à respecter pour qu’elle fonctionne…
– Justement ! Un des problèmes qui nous poussent à évoquer ce genre de questions, c’est le décalage actuel entre les représentants politiques et la population. Faudrait peut-être pas oublier que le droit à l’insurrection est reconnu par la Déclaration des Droits de l’Homme de 1793 ! Aujourd’hui, nous ne vivons plus que dans une illusion de démocratie. C’est vraiment une construction mentale étrange que de se dire « Nous vivons en démocratie » puis, dans la foulée, « mais nous serons dans l’illégalité si nous essayons d’améliorer les choses ». A mon sens, c’est l’urgence qui dicte le droit à l’illégalité. Le fait de voir des gens crever de froid dehors justifie de réquisitionner les logements vides, même si c’est illégal. Et des urgences de ce genre ne manquent pas.
– Attends, jusqu’à preuve du contraire, malgré ses défauts, on reste encore en démocratie. Il existe donc des moyens légaux, que chacun peut utiliser, le vote en particulier, pour changer les choses !
– C’est vrai. Mais par rapport à la violence ou l’illégalité, tout est question de position, de point de vue. Regarde : les Résistants français, pendant l’Occupation, ont longtemps été considérés comme des terroristes avant d’être fêtés en héros…
– Très bien. Mais dis-moi, juste une petite question, comme ça, qui me traverse l’esprit : à quel moment considère-t-on qu’on doit passer à l’action violente ? Le problème, si on part sur l’hypothèse qu’on accepte la violence ou l’illégalité, c’est de savoir où se situe la limite. Quand entrer dans l’illégal ? Jusqu’où aller ? Qui décide des normes, dans quelle proportion agir ? On peut glisser vers l’arbitraire…
– Les limites, c’est l’histoire qui les fixera, a posteriori. C’est elle qui dira qui a eu tort, qui a eu raison.
– Un peu facile, ça… C’est se défausser. Se laver les mains du problème. Et puis, l’Histoire étant surtout celle des vainqueurs, ça voudrait dire que tu es légitime seulement si tu parviens à l’emporter ?
– Bon, on fait quoi, alors ? D’un côté des situations d’urgences qui doivent être réglées très vite mais qui n’avancent pas si on se contente de débattre. De l’autre, le respect des règles collectives. Mais puisqu’on parlait de démocratie, je te rappelle aussi qu’on vit dans un monde où tout est médiatisé, où on n’accorde une existence aux gens et aux choses que s’ils sont sur le devant de la scène médiatique. C’est malheureux à dire, mais il faut souvent une action physique pour se faire remarquer, pour faire parler de la cause qu’on défend. Tu sors une grande banderole, tu déverses une benne à ordures quelque part, et là, tu as les médias derrière toi…
– Tout à fait d’accord. Et c’est pour cela que je persiste à penser qu’il n’est pas utile d’être violent. Mettons plutôt en place une énorme propagande pour montrer à tout le monde à quel point les dogmes de l’ultralibéralisme font souffrir les gens, ce qu’ils engendrent comme misère. Car finalement, quel que soit le nombre de gens qui interviennent sur une action, l’important est de mobiliser les médias derrière. Greenpeace le fait très bien, et peut-être faudrait-il s’en inspirer…
– Mais de gentilles actions pacifiques suffiraient à réveiller les consciences, tu crois ? Moi, j’ai l’impression que les gens avalent tout ce qu’on veut leur faire croire, qu’ils sont totalement passifs. Abrutis. Que ce soit par les médias, par les carences d’une école républicaine à qui on ne donne plus les moyens de former des citoyens… Regarde la télévision : désormais, la plupart des émissions n’ont d’autre but que d’individualiser la réflexion des gens, de gommer toute envie de réflexion collective. Le meilleur exemple, c’est « C’est mon choix ». Plus rien qui ne se justifie par une réflexion citoyenne, qui prendrait un peu de recul, qui chercherait à penser la société. Non, un comportement n’a d’autre raison d’être que « C’est mon choix ». Face à cela, ATTAC a pris le parti d’être un mouvement d’éducation populaire. Très bien Mais est-ce qu’un électrochoc, sous forme d’actions radicales ou violentes, n’aurait pas, également, des effets bénéfiques ?
– Je vais te dire : Le problème avec la radicalité, et avec des actions éventuellement violentes, c’est que le public ne retient que ça. Ecoute : avant d’entrer à ATTAC, je croyais que l’association était essentiellement violente, limite sectaire. Et je peux te dire que mes proches étaient désespérés quand je leur ai annoncé que j’allais adhérer ! Certains le sont encore, malgré mes témoignages ! Et pourquoi ? Tout simplement parce que les médias ne retiennent et ne montrent que les bizarreries : les vitrines cassées pendant une manif, les gaz lacrymo… On ne parle d’une mobilisation que quand il y a de la casse. A partir de là, il faut bien également se demander quelle image nous voulons donner d’ATTAC. Celle d’une association sérieuse, tournée vers l’éducation populaire, ou d’un groupuscule de casseurs ? Nous sommes enfermés dans ce piège, il faut en avoir conscience.
– Quand je pense que de l’autre côté, certains disent qu’ATTAC, finalement, ne fait pas grand-chose…
– C’est bien ce que je disais.
– N’empêche. Voilà trente ans, les médecins qui pratiquaient l’avortement alors que celui-ci n’était pas autorisé pratiquaient la désobéissance civile. Ils étaient en pleine illégalité. Pourtant, personne n’est intervenu pour les en empêcher. Et finalement, la loi a été modifiée pour aller dans leur sens. Si l’on doit verser dans l’illégalité, il faut, comme eux à cette époque, se fixer des actions cibles, symboliques, et s’y consacrer pleinement. C’est vrai que les actions ciblées, même illégales, ça marche.
– Pas faux. On évoque depuis le début des actions violentes, mais il en existe d’autres qui, bien qu’illégales, seraient non violentes et sans doute utiles. Un exemple : se déclarer spontanément hors AGCS. Ça peut se faire au niveau individuel, mais surtout sur le plan collectif. Avec les collectivités locales ou territoriales par exemple. Le Gers a d’ailleurs été le premier département à annoncer qu’il ne se plierait pas aux règles de l’AGCS. C’est illégal, mais non violent. Et les actions de boycott, alors ? Ne devrait-on pas les multiplier ? Finalement, la désobéissance civile non violente ne serait-elle pas la solution ? On en reviendrait à la définition qu’en donnait Gandhi, qui en connaissait un rayon sur le sujet : la désobéissance civile, c’est s’opposer pacifiquement à une injustice.
– Bon, désobéissance civile, urgence d’agir, on est d’accord, même si on peut toujours discuter des effets espérés : on est partants. Reste la violence. Là, nos points de vue divergent encore un peu, non ? Violence, pas violence ?
– Faut voir…
– Une autre tournée et on en rediscute ?
– C’est parti.