La répartition optimale des biens existe-t-elle ? Notes de lecture de la revue "Pour la science" n° 381 de juillet 2009

, par attac92

Notes de lecture : Revue « Pour la science » N° 381 de juillet 2009

L’auteur de ces notes de lecture souhaite rester anonyme

Il ne s’agit pas d’un livre de sociologie ni de politique, pourtant il traite de façon magistrale de la question sociale n°1 : « la répartition optimale des biens existe-t-elle ? »
De plus, et pour le même prix, on a la démonstration (qu’un enfant peut suivre) que la loi du marché ne permet absolument pas d’obtenir une répartition optimale. Donc que le dogme sur lequel est fondée la doctrine ultralibérale est faux. C’est bien utile à savoir.

1) La répartition optimale existe-t-elle ?

Supposons 4 biens a, b, c et d avec 2 agents économiques A et B, pour lesquels on a les utilités (supposées mesurer la satisfaction que chaque bien procure à chaque agent) suivantes :
Agent A : a=10 b=10 c=3 d=1 Agent B : a=2 b=3 c=2 d=2

Par exemple si le bien "a" est une bouteille de vin et que B préfère la bière, pour lui l’utilité de cette bouteille de vin est de seulement 2 contre 10 pour A.

Il y a plusieurs façon de répartir les biens :

« Utilitariste » qui maximise la somme des utilités :
Agent A : a+b+c (soit 10+10+3=23)
Agent B : d (soit 2)
Total : 25

« Egalitariste » qui maximise l’utilité du moins bien servi :
Agent A : a (soit 10)
Agent B : b+c+d (soit 3+2+2=7)
Résultat : 7 (à noter que A ne peut être privé de tout sinon le résultat serait 0)

« Elitiste » qui maximise l’utilié du mieux servi (pour ce faire le petit est privé de tout) :
Agent A : a+b+c+d (soit 10+10+3+1=24)
Agent B : rien
Résultat : 24

« Nashien » qui maximise le produit entre les utilités du mieux servi et du moins bien servi :
Agent A : a+b (soit 10+10=20)
Agent B : c+d (soit 2+2=4)
Résultat : 20x4=80

A noter que cette répartition réalise une sorte d’idéal « social démocrate » puisque le bien du « petit » a une importance relative forte (elle ne peut tomber à zéro) qui n’empêche cependant pas le « gros » de s’empiffrer largement (en valeur absolue).
On a déjà 4 sortes d’ « intérêt général ». Et ce n’est pas l’arithmétique qui va nous désigner le meilleur. Il s’agit bien d’un choix politique.

2) Maintenant venons-en au marché, censé nous amener à l’optimum. Pour ce faire, supposons les agents économiques rationnels, ce qui se traduit par le fait qu’ils vont échanger leurs biens dès qu’ils y trouvent un double avantage (l’utilité augmente pour chacun).

On est obligé de compliquer un peu l’exemple, soit 5 biens (a,b,c,d,e,f) et 3 agents (A,B,C) avec les utilités suivantes :

A : a=1 b=2 c=3 d=9 e=1 f=1
B : a=2 b=1 c=1 d=2 e=3 f=5
C : a=3 b=1 c=1 d=10 e=5 f=3

Supposons l’état initial (avant l’ouverture du marché) suivant :

A : a+d (soit 1+9 = 10)
B : b+e (soit 1+3 = 4)
C : c+f (soit 1+3 = 4)
La somme des utilités est : 18

Supposons que A et B se rencontrent en premier, ils procèdent à l’échange des biens a et b :

A : b+d (soit 2+9 = 11)
B : a+e (soit 2+3 = 5)
C : c+f (soit 1+3 = 4)
A gagne 1, B gagne 1, la somme des utilités passe à 20

Puis B et C se rencontrent, il procèdent à l’échange des biens e et f :
A : b+d (soit 2+9=11)
B : a+f (soit 2+5=7)
C : c+e (soit 1+5=6)
B gagne 2, C gagne 2, la somme des utilités passe à 24
Après quoi il n’y a plus d’échanges gagnant-gagnant possible dans ce scénario, le marché peut fermer.

Supposons maintenant que (tout à fait par hasard) B rencontre d’abord C, ils procèdent à l’échange de e et f :

A : a+d (soit 1+9=10)
B : b+f (soit 1+5=6)
C : c+e (soit 1+5=6)
B gagne 2, C gagne 2, la somme des utilités passe à 22

Puis C rencontre A, ils procèdent donc à l’échange de a et c

A : c+d (soit 3+9=12)
B : b+f (soit 1+5=6)
C : a+e (soit 3+5=8)
A gagne 2 et B gagne 2, la somme des utilités passe à 26
Après quoi il n’y a plus d’échanges gagnant-gagnant possible dans ce scénario, le marché peut fermer.

On constate que les résultats des deux scénarios (qui ne diffèrent que par l’ordre des rencontres hasardeuses) ne donnent pas le même résultat (24 ou 26), et que la répartition qui maximiserait la somme des utilités (qui serait de 28 dans cet exemple) ne peut pas être obtenue en laissant « jouer » les lois du marché. Pour arriver à l’optimum « utilitariste » (si tant est que ce soit l’intérêt général) il faudrait, pour débloquer le marché, qu’un acteur accepte de se sacrifier par un échange défavorable, ce qui ne fait évidemment pas partie des hypothèses du pur marché.
L’infaillibilité de la « main invisible » est donc une imposture.

Commentaire personnel : Rassurons nous, le pur marché n’existe pas de toute façon dans la réalité, laquelle est régie par des rapports de force (tels que l’asymétrie des informations disponibles) qui conduisent bien près de l’équilibre « élitiste ». Une récente enquête a montré que 60% des échanges effectués à la Bourse de Londres sont liés à des délits d’initiés.