Crises ou mutation, texte de l’exposé de Bernard Kervella, 16 janvier 2013
Crises
ou Mutation ?
Exposé
de Bernard Kervella, Attac 92 Colombes, le mercredi 16 janvier 2013
Introduction :
S’agit-il
d’une crise, de crises ou d’une mutation, question difficile
Les
notions de crise, de révolution, de mutation font partie du
vocabulaire courant des sociologues, comme des économistes (crise
économique, révolution industrielle, mutation technologique) ou des
historiens sans toujours être bien définis. Retour sur ces trois
concepts qui n’épuisent sans doute pas le changement historique.
Avant d’aborder cette question il convient d’examiner la
situation actuelle
L’année
2012 se termine comme elle avait commencé, sans perspective de
reprise financière, avec son lot de guerres meurtrières, de crises
boursières, de pauvreté et de misère, de chômage, de révolte, de
manifestations et de dépression économique, du moins de ce côté-ci
du Pacifique. L’année 2012 aura vu s’approfondir les conditions
de la crise économique générale du système impérialiste
mondiale. La concentration de la richesse financière s’est
poursuivie et aujourd’hui, à l’aube d’une nouvelle année, une
poignée d’individus, une fraction de 1% de la population mondiale,
détient en propriété privée plus de 20 % des richesses – du
capital – de l’humanité. Ce processus de concentration
monopolistique s’accentuera encore cette année – repoussant
davantage les fractions intermédiaires des capitalistes vers la
périphérie du grand marché financier international et boutant les
travailleurs vers les agences de chômage
Cette
concentration financière se fera au dépend des petits capitalistes
nationaux, des sous-traitants, des artisans, des grossistes et
distributeurs locaux et de la petite bourgeoisie d’affaires et du
commerce qui, faute de pouvoir résister à cette poussée, se
retourneront pour spolier davantage la classe dite « moyenne »,
surtout les travailleurs – producteurs de toutes les richesses
sociales – et enfin contre toutes les couches de la population
indignée…impuissantes.
En
France pas un jour ou presque sans l’annonce d’un nouveau plan
social. Les grands groupes et leurs sous-traitants sont en première
ligne. Le phénomène pourrait s’accentuer, emportant dans son
sillage de nombreuses PME. Cette année, entre 20 000 et 30 000
emplois pourraient disparaître chez les constructeurs et
équipementiers automobiles, selon une étude de l’assureur-crédit
Euler Hermes SFAC.
Les
autres branches ne sont pas en reste. Décolletage en Rhône-Alpes,
verrerie en Haute-Normandie ou encore textile dans le
Nord-Pas-de-Calais… Le tissu industriel français est fortement
touché par la crise. S’il est trop tôt pour diagnostiquer une
désindustrialisation massive, on peut cependant craindre que le
secteur ne sorte « très mal en point » de ce repli économique. On
constate aussi les premiers effets sur le dernier cycle, à savoir,
la société électronique : les fermetures de Surcouf, Virgin
et peut être demain la FNAC . Les difficultés ne datent pas de la
crise actuelle. Entre 2000 et 2007, l’emploi industriel a marqué un
recul de plus de 10 %, note l’INSEE. Le phénomène apparaît
cependant moins criant si l’on considère l’emploi dans les services
à l’industrie, qui connaît, lui, « une montée en puissance »,
indique Jean-Luc Gaffard, directeur du département de recherche sur
l’innovation et la concurrence à l’Observatoire français des
conjonctures économiques (OFCE). Néanmoins, le recul est là. Il
s’explique notamment par une hausse des gains de productivité. Si la
part de la valeur ajoutée des branches industrielles dans le PIB est
passée de 18,4 % à 12,1 % entre 1997 et 2007, cette tendance est
toutefois largement due à la baisse des prix relatifs de l’industrie
manufacturière, explique l’Institut national de la statistique. En
volume, la part de leur valeur ajoutée est restée stable, autour de
17 %.
Certes,
la France fait partie des derniers pays « à avoir une industrie
capable de traiter tous les sujets », souligne Jean-Hervé Lorenzi,
professeur à Paris-Dauphine et président du Cercle des économistes.
Mais elle souffre d’« une perte de compétitivité » notable liée
à « la faiblesse de l’investissement depuis dix à quinze ans ».
Entre 2001 et 2007, ses parts de marché sont passées de 5,2 % à 4
%. En outre, alors que les pays nordiques injectent près de 3 % de
leur richesse par an dans la recherche et le développement -
objectif fixé par la stratégie de Lisbonne en 2000 - la France
navigue autour des 2 % du PIB.
Hélas,
nos dirigeants semblent totalement dépassés : ils sont incapables
aujourd’hui de proposer
un diagnostic juste de la situation et incapables, du coup,
d’apporter
des solutions concrètes, à la hauteur des enjeux. Tout se passe
comme si une petite oligarchie intéressée seulement par son avenir
à court terme avait pris les commandes.
"Un
diagnostic juste"
suppose une pensée capable de réunir et d’organiser
les informations et connaissances dont nous disposons, mais qui sont
compartimentées et dispersées.
Une
telle pensée doit être consciente de l’erreur de sous-estimer
l’erreur dont le propre, comme a dit Descartes, est d’ignorer
qu’elle est erreur. Elle doit être consciente de l’illusion de
sous-estimer
l’illusion. Erreur et illusion ont conduit les responsables
politiques et militaires du destin de la France au désastre de 1940
; elles ont conduit Staline à faire
confiance à Hitler, qui faillit anéantir l’Union soviétique.
Tout
notre passé, même récent, fourmille d’erreurs et d’illusions,
l’illusion d’un progrès indéfini de la société industrielle,
l’illusion de l’impossibilité de nouvelles crises économiques,
l’illusion soviétique et maoïste, et aujourd’hui règne encore
l’illusion d’une sortie de la crise par l’économie néolibérale,
qui pourtant a produit cette crise. Règne aussi l’illusion que la
seule alternative se trouve entre deux erreurs, l’erreur que la
rigueur est remède à la crise, l’erreur que la croissance est
remède à la rigueur.
L’erreur
n’est pas seulement aveuglement sur les faits. Elle est dans une
vision unilatérale et réductrice qui ne voit qu’un élément, un
seul aspect d’une réalité en elle-même à la fois une et multiple,
c’est-à-dire complexe comme dirait Edgar Morin
Hélas.
Notre enseignement
qui nous fournit de si multiples connaissances n’enseigne en rien sur
les problèmes fondamentaux de la connaissance qui sont les risques
d’erreur et d’illusion, et il n’enseigne nullement les conditions
d’une connaissance pertinente, qui est de pouvoir
affronter la complexité des réalités.Notre machine à fournir
des connaissances, incapable de nous fournir
la capacité de relier
les connaissances, produit dans les esprits myopies, cécités.
Paradoxalement l’amoncellement sans lien des connaissances produit
une nouvelle et très docte ignorance chez les experts et
spécialistes, prétendant éclairer les responsables politiques et
sociaux.Pire, cette docte ignorance est incapable de percevoir
le vide
effrayant de la pensée politique,
et cela non seulement dans tous nos partis en France, mais en Europe
et dans le monde.
Expliquer
la crise actuelle dans le cadre des cycles de Kondratieff, on
reviendra plus loin au cours de cet exposé sur l’explication de
ces cycles, n’est pas la réduire à une causalité unilatérale
(l’inflation ou la dette) mais plutôt à une conjonction de
processus qui épousent simplement des cycles générationnels (les
nouveaux entrepreneurs de Schumpeter) mettant en œuvre de nouvelles
technologies et une nouvelle organisation productive après le krach
de la dette de la génération antérieure. Ce qui frappe, en effet
ce sont les similitudes avec 1929 (ou 1789) même s’il y a aussi de
grandes différences. En particulier, le rôle des inégalités dans
la crise est très semblable. Ce que dit Joseph Stiglitz du prix des
inégalités reprend ce que disaient déjà Eccles, Galbraith ou
Livingston .ce n’est pas qu’on pourrait faire pour autant des
inégalités l’unique déterminant du cycle et de sa crise finale.
De plus si on doit inaugurer une nouvelle période de réduction des
inégalités, ce serait une erreur de croire qu’elles sont
exactement de même nature que dans les années 1930 et que les mêmes
recettes pourraient s’y appliquer.
Il
y a au moins deux différences majeures avec cette époque, c’est
le déclin de l’industrie et de la nation que beaucoup regrettent
sans beaucoup de raisons mais qui permettra de ne pas retomber dans
les affres d’un nationalisme dont on a connu les ravages.De
plus, il y a un certain nombre de différences avec la grande crise
qui empêchent de calquer nos politiques sur celles de l’époque :
-
Il
ne peut y avoir de protectionnisme radical : Il
y a de très bonnes raisons de défendre une plus grande dose de
protectionnisme pour améliorer la stabilité de l’économie et de la
vie locale mais le protectionnisme étant toujours réciproque, une
économie exportatrice comme la nôtre risque d’y perdre plus que d’y
gagner. Du moins, si un peu plus de protectionnisme peut permettre de
limiter la casse dans certains cas, il est absolument impossible à
une économie comme la nôtre de se couper de l’Europe pas plus que
du reste du monde. La question de rester dans l’Euro paraît bien
secondaire par rapport aux interdépendances géographiques
renforcées depuis des années. Le protectionnisme ne peut pas être
à la hauteur de ce qu’il faudrait pour avoir un effet notable sur le
chômage (s’il ne l’aggrave pas !). D’accord donc pour exiger plus de
protectionnisme, pas pour en faire une solution à la crise.
-
Il ne suffit pas d’une politique keynésienne :
On sera bien d’accord sur les ravages de l’austérité qui ne fait et
qui ne fera qu’aggraver le problème par une récession diminuant les
recettes fiscales et continuant ainsi à augmenter la dette. C’est le
type même de la bêtise au pouvoir que des mobilisations sociales
devraient pouvoir infléchir en forçant les dirigeants européens à
sortir de logiques purement comptables. Ce n’est pas une raison pour
croire qu’une politique keynésiennes serait suffisante pour refaire
partir la machine. La globalisation marchande est bien une réalité,
par exemple pour les appareils numériques fabriqués en Chine. Cela
entraîne un certain découplage du mécanisme keynésien quand la
consommation des salariés ne correspond plus à la production des
salariés du même pays (on avait déjà vécu cela avec les
magnétoscopes japonais). Cela peut rendre inopérant une relance
monétaire qui a de toutes façons ses limites. Si nous bénéficions
de prix très inférieurs grâce à cette globalisation, cela produit
en retour une mise en concurrence du coût du travail et des systèmes
de protection sociale. Il n’y a pourtant aucune chance de s’y
soustraire, rapport au point précédent (sauf au niveau local
peut-être), d’autant plus avec le développement du commerce en
ligne.
-
L’industrie ne retrouvera plus les niveaux d’emploi du passé :
Il ne s’agit pas de nier la nécessité de garder nos industries mais
on est consterné par l’attention quasi exclusive qui lui est
réservée alors que ses effectifs ne peuvent que diminuer encore
comme ceux de l’agriculture avant. Les grandes envolées sur la
ré-industrialisation ne sont que du vent. L’avenir de l’industrie
est probablement pour partie dans la production au plus près des
consommateurs, mais avec des usines automatisées. Difficile pour les
vieux marxistes nostalgiques des grands centres industriels
d’admettre que l’essentiel désormais se passe dans les services et
l’immatériel. Surtout, alors qu’on met en vedette quelques milliers
d’emplois industriels perdus, ce sont des millions de précaires
qu’on laisse dans la misère car ce ne sont pas seulement des emplois
qu’on perd avec l’industrie mais un type de salariat et de
protections sociales, liées à l’entreprise, dont sont exclus de
plus en plus de travailleurs précaires. Non seulement la
focalisation sur la ré-industrialisation est une erreur de stratégie
(refaire la dernière guerre) mais c’est aussi ce qui empêche une
refonte des protections sociales sur d’autres bases, plus
individuelles et universelles et surtout mieux adaptées au travail
immatériel et autonome.
-
La concurrence des pays les plus peuplés va être de plus en plus
forte :
On a l’impression parfois que la concurrence des pays émergents ne
serait qu’un mauvais moment transitoire à passer mais, sauf encore
une fois à s’enfermer derrière des murs étanches, il n’y a aucune
chance que ça s’arrête et bien plutôt que ça empire. Du fait
qu’ils nous rattrapent, nous perdons notre avance. Le déclin des
anciennes nations riches est inévitable. De quoi nous promettre
plutôt un appauvrissement relatif qui ne serait pas dramatique au
niveau où nous en sommes si la charge en était mieux répartie
alors que la concurrence des anciens pays pauvres pèse surtout sur
les pauvres ici. On peut en combattre la fatalité tout aussi
verbalement ou refuser la pauvreté concrètement par un revenu
garanti notamment.
-
La population mondiale va continuer de s’accroître : Dans
la même veine, notre avenir démographique est tout tracé. Même
s’il y a une incertitude sur le pic de population, il ne sera pas
atteint avant 2050 au mieux. L’augmentation attendue de 2 milliards
d’êtres humains en plus peut paraître raisonnable par rapport à
nos 7 milliards actuels mais la tension sur les ressources va
s’accroître, surtout en Afrique (sauf pandémie mortelle ou
bioterrorisme) et on va continuer inévitablement à se mélanger, il
va falloir s’y faire. L’autre paramètre important, c’est que la
population va continuer de vieillir ce qui pose toute une série de
problèmes qui vont des retraites aux questions de santé.
-
Plusieurs pénuries s’annoncent et des tensions sur les prix :
Le
plus grave, bien sûr, c’est pour la nourriture, non qu’il soit
impossible de nourrir 9 milliards d’êtres humains mais les causes
des famines sont fondamentalement politiques. En tout cas les prix
devraient monter au moins pour la viande. Il faut s’attendre aussi à
une augmentation régulière des prix du pétrole jusqu’à ce que les
énergies renouvelables n’en réduisent la demande. Ce qui va
continuer d’augmenter aussi, avec tous les problèmes que cela
devrait poser, c’est la température...Ce ne sont certes pas de
bonnes nouvelles mais il faut bien partir de ces réalités nouvelles
et cela indique malgré tout quelle devrait être la sortie de crise,
conformément aux cycles de Kondratieff, par l’inflation
(si ce n’est par une dévaluation massive ou période
d’hyperinflation), permettant de se débarrasser du poids de la dette
et encourageant de nouveaux investissements. On trouve pas mal de
gens de gauche qui sont contre l’inflation supposée peser en
priorité sur les plus pauvres alors que les périodes d’inflation se
révèlent favorables aux actifs et la lutte contre l’inflation aux
rentiers, occasion encore de se tromper de combat.
Les
cycles de Kondratieff :
Un
cycle
de Kondratiev
est un cycle
économique
de l’ordre de 40 à 60 ans aussi appelé cycle
de longue durée.
Mis en évidence dès 1926
par l’économiste Nikolaï
Kondratiev
dans son ouvrage Les
vagues longues de la conjoncture,
il présente deux phases distinctes : une phase ascendante (phase A)
et une phase descendante (phase B)
Selon
Kondratiev, la phase ascendante s’accompagne progressivement d’un
excès d’investissement
réalisé par les entreprises pour faire face à la concurrence,
ce qui provoque une hausse des prix, les industriels répercutant
leurs coûts
de production
sur les produits, et des taux
d’intérêt
qui augmentent face à la forte demande de monnaie. Il s’ensuit donc
un déclin de l’activité économique durant lequel les prix
baissent, dû à excès d’offre et à une baisse de la demande, ainsi
que les taux d’intérêts, la baisse de la consommation
et des investissements entraîne une baisse de la demande de monnaie,
ce qui permet une purge du système et prépare le terrain pour une
nouvelle phase de croissance [[1]->http://wikipedia.orange.fr/wiki/Cycle_de_Kondratieff#cite_note-1].
Pour
chacun des cycles, il identifie 3 phases :
Période
d’expansion (20 ans) puis le plateau ou récession primaire (10
ans), et enfin Période de dépression (20 ans) = Phase B
Selon
lui, les mouvements de l’économie ont 3 caractéristiques : Ils
affectent l’ensemble des activités économiques, ils affectent
tous les pays et l’indicateur pour identifier ces mouvements est le
prix. (Phase A = Augmentation des prix, Phase B = Période de
déflation).
Dans
ses travaux, il voit 3 cycles longs :
1er
CYCLE : 1790-1849 : Phase A dure jusque 1814, Phase B 1814-1849
2ème
CYCLE : 1849-1896 : Phase A dure jusque 1873 = augmentation de la
production et faibles taux d’intérêts. Phase B 1873-1896 = Grande
Dépression (déflation et dépression)
3ème
CYCLE : 1896-... : Phase A dure jusque 1920, Phase B 1920-1945.
Il
ne voit pas la fin du cycle du fait de sa déportation en camp de
travaux forcés.
Peu
satisfait par cette explication, Joseph
Schumpeter
propose une autre théorie pour expliquer l’alternance des phases A
et B. Il relie les fluctuations de l’économie à l’apparition
d’innovation
majeures qui surviennent par « grappes » donc au progrès
technique.
Ainsi, selon lui, la phase A correspond à la période de diffusion
et d’amortissement des nouvelles innovations. Durant cette période,
la demande de biens est forte, ce qui permet une augmentation
générale de la production et assure donc la croissance économique.
Peu à peu, lorsque les agents économiques sont équipés en
nouveaux produits, la demande baisse, alors que la concurrence entre
les entreprises est de plus en plus rude. On parvient alors au point
de retournement du cycle. La phase B correspond à l’élimination
des stocks, à la fermeture des entreprises et des filières les
moins rentables ce que Schumpeter appelle le phénomène de «
destruction
créatrice
» et à la préparation d’une nouvelle vague d’innovations.
Exemples
Différentes
phases recensées sur la base de leurs innovations :
L’apparition
des engins à vapeur
Les
trains et rails
Électricité
et l’apparition des voitures
Invention
des avions et des appareils électroniques
Les
nouvelles technologies : les semi-conducteurs qui ont produit
les nouvelles applications tels que l’Internet ou les médias
numériques.
Modifications
récentes de la théorie de Kondratiev
La
contestation des cycles longs économiques par les cycles longs
politiques
La
théorie des cycles longs a tendance à produire de nombreux débats
durant les périodes dites de "récession économique",
alors que durant les périodes de croissance longue l’intensité des
débats diminue plutôt. Depuis les années 1970 et surtout 1980, les
débats ont repris alors qu’ils s’étaient relativement estompés
entre 1945 et 1970. Il est discutable de savoir si la période depuis
1967 (Halte
à la croissance ?),
1971 (fin de la convertibilité-or du dollar),
1973 (premier
choc pétrolier)
est une période de récession longue. L’économie américaine a
connu de forts gains de productivité ainsi qu’une période de
croissance
économique
d’une longueur jusqu’ici inconnue, à partir des années 1980. Quant
à l’Asie, elle a commencé à décoller depuis ce moment. Mais
l’Europe a effectivement expérimenté des problèmes de chômage
de masse
et de ralentissement de la croissance très importants depuis les
années 1970. Or, la théorie des cycles longs a alors connu une
embellie mais dans de toutes autres directions que jusqu’ici [[2]->http://wikipedia.orange.fr/wiki/Cycle_de_Kondratieff#cite_note-2].
Il s’agit de cycles longs politiques et non seulement économiques.
Il ne s’agit pas seulement de cycles longs des opinions politiques,
mais de cycles engageant le monde entier via leur dimension
géopolitique.
Ainsi Modelski (1983) et Goldstein (1988) font une interprétation de
Kondratiev. Selon eux, existent parallèlement aux cycles longs
économiques de Kondratiev des cycles hégémoniques plus longs ; un
cycle hégémonique dure deux cycles de Kondratiev successifs (120
ans) selon Modelski ou deux à trois cycles (150 ans) selon
Goldstein.
Nous
avons vu ce qui aggravait notre sort par rapport à 1929 mais il y a
sans doute plus encore qui pourrait l’adoucir, car nous ne sommes pas
sans ressources pourvu qu’on ne se trompe pas d’objectifs. Parmi les
points positifs,
il y a incontestablement le développement des énergies alternatives
qui ne sont pas encore prises en compte à hauteur du problème mais
se développent de façon accélérée et sont une partie de la
solution. Le plus important cependant, et trop minimisé par la
gauche, c’est l’omniprésence du numérique avec toutes sortes de
conséquences inédites qui vont du réseau global à la gratuité
numérique, l’accès aux enseignements en ligne aussi bien que la
saturation de l’attention qui semble condamner une croissance
indispensable au capitalisme. On n’en entend guère parler à gauche,
ce serait inconvenant quand on se réclame du prolétariat
industriel. Pourtant, l’enjeu n’est plus du tout le salariat avec le
travail immatériel qui exige d’être un travail choisi et autonome
mais qui génère aussi précarité et stress en dehors de
protections appropriées comme une revenu garanti. Le réflexe
syndical est de s’y opposer ne faisant qu’aggraver le problème. Ce
qui pourrait être une émancipation du travail forcé devient une
tyrannie encore plus insupportable sans les protections appropriées.
En dehors du numérique qui est appelé à prendre la place
principale, il faut souligner aussi la chance d’une économie qui
passe du quantitatif au qualitatif, en particulier l’agriculture
biologique qui devrait prendre une part plus significative de même
que l’artisanat. Enfin, le dernier point inaperçu de tous qui doit
nous donner le plus d’espoir, c’est la nécessité d’une
relocalisation, y compris dans les grandes villes (qui abritent une
majorité de la population humaine désormais) ce qui fait du local
le bon échelon pour les alternatives et le développement humain
comme pour se protéger de la globalisation, mais on préfère rêver
de grands soirs qui feraient rendre gorge aux méchants capitalistes
!
Il
y a une telle inadéquation des processions traditionnelles de la
gauche par rapport à ce qu’il faudrait faire qu’il y a de quoi
désespérer, véritable cas d’école de dissonance
cognitive
entre représentation idéologique et réalités vécues. Les
propositions actuelles faites par nos dirigeants sont trop
microscopiques par rapport à l’ampleur du problème.
Définitions :
Mutation :
La mutation, on la définit comme une « période
d’entre-deux-lois », quand les frontières s’effacent conduisant à
la plus totale confusion. Ainsi définie, la mutation implique une
situation d’anomie, terme qui, dans la tradition sociologique,
désigne déjà des situations très proches de ces périodes «
d’entre-deux-lois » .L’état d’anomie, caractérisé par
l’effacement des frontières, tant ’appartenance que de compétence,
est finalement ce qui permet la mutation. On parle de Gorbatchev
comme de celui, qui en pleine période de mutation, tenta de «
courageusement » de diriger le mouvement. Cette lecture de la
perestroïka gorbatchévienne est très discutable (on peut y voir
une manifestation de ce qui fut chez nous, mais pas en Russie, la
gorbimania). Par contre, le diagnostic de mutation pour la
période qui démarre autour de 1968 en Europe et aux USA est
partagé. L’un de ceux qui ont eu une grande influence dans la
description de cette mutation est Gilles Lipovtsy, dans l’Ere du
vide. Lipovtsy parle d’une mutation historique amorcée à partir
des années 1920 et amplifiée depuis 1945. Rupture avec la modernité
et entrée dans la postmodernité. Crises : Ce qui est en
cause dans la crise, « c’est toujours le franchissement de cette
frontière des frontières qui existe entre le sujet et la personne
». La crise, autrement dit, marque l’entrée dans l’histoire de ceux
qui jusque-là en étaient exclus, soit parce qu’ils n’avaient pas
accédé à la personne (cas de l’adolescent) soit parce qu’ils
faisaient partie de la population sans faire politiquement partie du
peuple (les plébéiens de l’Antiquité, les noirs américains dans
les années 1960...). Le problème est celui de la reconnaissance
sociale, de l’accès à la citoyenneté.
Révolution :
La révolution quant à elle, comme une négociation des
frontières. Le texte n’est pas très clair, mais la distinction
faite entre la révolution et la crise invite à définir la
révolution comme une négociation de frontières entre ceux qui sont
déjà notables (sinon, il n’y aurait aucune raison de distinguer la
révolution de la crise). Le concept s’applique bien à la Révolution
française dans la mesure où les délégués aux états généraux,
qui s’ouvrent à Versailles le 5 mai, sont tous notables (on ne
saurait désigner autrement les 578 députés du tiers-état : il n’y
a parmi eux ni paysans, ni ouvriers ; presque tous sont des
bourgeois, principalement des hommes de loi). Et le conflit qui
intervient dès le lendemain entre les trois ordres est bien une
négociation de la frontière qui les sépare (la noblesse décidant
le 11 mai de faire « chambre à part » alors que le tiers lui
proposait, ainsi qu’au clergé, de faire « chambre commune »). La
négociation se termine (provisoirement) le 27 juin quand, à la
demande du roi, le clergé et la noblesse se réunissent finalement
au tiers-état, les états généraux dans leur totalité devenant
alors Assemblée nationale.
Conclusion :
Ceci n’est pas une crise… c’est une mutation
Le
regard que l’on porte aux choses à l’instant présent est
fondamental pour le temps à venir. Y voir une crise est anxiogène,
c’est le royaume de la peur, des angoisses. Y voir une mutation est
nettement plus serein, plus constructif, plus optimiste. Dans un cas,
on est en réaction, en défense, et dans l’autre, on se situe dans
l’action, dans l’attaque.
Nous
ne voyons pas clair actuellement parce que nous regardons avec nos
yeux d’hier une réalité qui nous demande de la regarder avec nos
yeux de demain. Or, la majorité de nos "penseurs/influenceurs"
actuels, qui disposent de porte-voix importants, sont d’un autre
temps. Ils considèrent l’industrie avec le regard du XIXe siècle,
l’énergie avec le regard du milieu du XXe siècle, la
communication avec le regard publicitaire des années 80…
L’époque
est à la rupture des paradigmes établis. Les basiques sont remis en
cause, partout et pour tout. Ces leaders d’opinion sont donc dans
l’incapacité de nous guider, ne disposant pas des nouvelles clés
nous permettant d’ouvrir les bonnes portes… ou les bonnes
fenêtres ! Or les nouveaux penseurs, les nouveaux exemples, sont là,
bien là. Et depuis de nombreuses années. Ils/elles ont défriché
les terrains, les connaissances, testé leurs idées pour valider
leur efficacité au regard de l’expérience.
Les
deux problèmes centraux, décisifs, sont démographiques et
écologiques.
Que
les politiques écologiques trouvent le gros de leurs partisans dans
les pays riches ne doit rien au hasard : les pauvres souhaitent plus
de développement, pas moins.
Du
point de vue écologique, si l’humanité doit avoir un avenir, le
capitalisme des Décennies de crise ne saurait en avoir.
Trois
aspects de l’économie mondiale sont alarmants : la technique
continue à chasser la main d’œuvre de la production de biens et de
services ; la mondialisation déplace l’industrie vers les pays à
bas salaires ; l’économie mondiale est un moteur de plus en plus
puissant et incontrôlé.
La
Première Guerre mondiale a été l’événement crucial dont a
découlé tout le XXe siècle. La mutation actuelle est sans doute
l’événement crucial dont découlera tout le XXIe siècle.
Bibliographie :
1-Croissance,
Crises et mutations économiques, Roland Couture, Editeur L’Harmattan
2-La
crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale, Laurent
Davezies, Editeur Seuil : La république des idées
3-Misère
de la pensée économique, Paul Jorion, Editeur : Fayard
4-L’ère
du vide, Gilles Lipovetsky, Editeur Gallimard
5-
Le système monde, Edgar Morin
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