Débat sur les orientations stratégique d’Attac. Contribution de Jean-Paul Allétru du 16 juin 2007

, par Jean-Paul Allétru

Débat sur les orientations stratégiques (attac)

Contribution de Jean-Paul Allétru
(ATTAC 92 -groupe de proximité de Montrouge)

1. Comment s’explique le résultat de l’élection présidentielle 2007 ?

Une droite rassemblée

La droite (« décomplexée ») avait préparé son rassemblement : d’abord en fusionnant, dans l’UMP, le RPR et le plus gros de l’UDF ; puis (fait nouveau depuis... la Libération) en reprenant à son compte les thèmes et les « solutions » de l’extrême droite.

Une gauche émiettée, et sans leader reconnu

La gauche n’a remporté l’élection présidentielle que deux fois : en 1981, en 1988. Avec François Mitterrand.
En 1981, c’est seulement à sa troisième tentative que François Mitterrand l’a emporté.
Il avait compris que le mécanisme de l’élection présidentielle imposait de bien marquer son camp, à gauche, et de le rassembler, pour conquérir le pouvoir.

Des médias dominés par les forces de l’argent

C’était vrai déjà en 1981, mais cela s’est fortement aggravé depuis.

Mais surtout la domination idéologique du néo-libéralisme

La majorité du Parti socialiste semble s’être ralliée au libéralisme économique, et ne prétend plus qu’à en panser les plaies. Rien ne la distingue alors fondamentalement, sinon une subtile question de dosage (une pincée supplémentaire de social...) , de la droite. D’ailleurs, les électeurs s’y perdent.
Certains leaders du PS (DSK) visent une clientèle de cadres supérieurs, qui espèrent tirer leur épingle du jeu de la concurrence mondiale par la recherche, l’innovation et la fuite en avant technologique. Mais ces solutions ne ciblent qu’une partie très minoritaire de la population, celle qui bénéficie de l’héritage culturel (or l’enseignement, au cours de ces dernières décennies, n’a cessé de renforcer la ségrégation sociale).

Dès lors, la gauche se trouve profondément divisée.
A l’intérieur du parti socialiste, différents leaders tentent d’entretenir une contestation du capitalisme et du néo-libéralisme. Sans parvenir à (re)conquérir la majorité. L’épisode du rejet du traité constitutionnel, qui avait mis en évidence le déphasage de la majorité du PS avec « le peuple de gauche », aurait pu servir de révélateur et pousser à une réorientation, il n’en a rien été.
D’autres forces de gauche ont des analyses justes, mais se trouvent trop isolées ou dispersées pour peser véritablement.
Une partie de la gauche se cantonne dans une dénonciation verbale, sans véritable intention de conquérir le pouvoir.
D’autres axent leur identité autour de la question écologique. Mais celle-ci est (au moins verbalement) reprise par (presque) toutes les formations politiques. Et elle ne suffit pas, de toute façon, pour structurer le débat politique.

Plus profondément, le néo-libéralisme instaure un cercle vicieux : selon le mécanisme bien analysé par Jacques Généreux (« La Dissociété »), une fois intériorisé le caractère soi-disant inéluctable de la compétition solitaire et généralisée, chacun cherche à s’adapter à une société inhumaine plutôt qu’à la combattre. « Convaincus de vivre désormais et à jamais en plein champ de bataille, les individus se comportent en guerriers et non plus en citoyens ; au lieu de faire société, ils engendrent dès lors un monde hostile dans lequel il est toujours plus rationnel de se comporter en guerrier ».

2. Comment préciser le rôle d’ATTAC pour faire reculer l’emprise des idées conservatrices ?

Mener la bataille des idées

Le néolibéralisme, pourtant, nous conduit à une impasse. Epuisement des ressources naturelles, changement climatique, aggravation des inégalités entre les peuples, et au sein de chaque pays... « Seules d’authentiques sociétés, soudées par la solidarité et le primat du bien commun sur la performance individuelle, seront en mesure d’atteindre le niveau inédit de coopération et de cohésion qui sera indispensable, tant au sein des nations qu’entre les nations, pour affronter les grands défis du XXIème siècle », nous dit encore Jacques Généreux.

ATTAC doit contribuer à élaborer un corpus doctrinal adapté à notre temps.
Son angle d’attaque est le bon : du global au local. Faire évoluer le rapport de forces au niveau mondial. Et proposer au niveau local des solutions cohérentes avec ce que nous souhaitons pour la planète.

Relocaliser l’économie. Mais la nécessaire régulation du commerce et de la finance internationale ne peut se faire en dressant les pays les uns contre les autres. L’immensité des besoins élémentaires qui restent à couvrir d’un côté, et le gaspillage frénétique des ressources de l’autre, exigent la mise en œuvre urgente de nouvelles formes de coopération économique et politique internationale, fondées notamment sur l’égalité des droits d’accès aux ressources et aux biens communs.

Repenser les migrations. En sachant que celles-ci sont appelées à augmenter, avec le changement climatique.

Faire le lien entre le social et l’écologie. Le néolibéralisme pousse les uns à une consommation ostentatoire, et condamne les autres à la frustration : les soi-disant « écolos » qui ne sont pas opposés au néo-libéralisme sont pour le moins inconséquents. Ce sont les plus défavorisés qui auront le plus à souffrir de la crise écologique. L’inéluctable adaptation des transports, du logement, de l’agriculture, aux contraintes écologiques devra conduire à la création de nombreux emplois, cependant que devra se poursuivre la réduction du temps de travail.

Imaginer un avenir qui donne envie : dans une société pacifiée, plus de solidarité, plus de convivialité, plus de temps libre.

Comment ?

Les médias sont dominés par les forces de l’argent ?
Utilisons, défendons ceux qui nous restent (Politis, les petits livres bon marché publiés par ATTAC, ...).
Et surtout, utilisons à fond internet pour élargir notre public. Et des « dazibaos » (petites affichettes 21x29,7) sur les lieux de passage de la population.
Veillons à écrire de façon simple, lisible (ça demande, c’est vrai, beaucoup plus de travail).
Dénonçons sans relâche ce qui se cache derrière le discours gouvernemental, et celui des « chiens de garde » qui inondent les principaux journaux : "TVA = sociale", "exonération de taxes sur l’héritage = amour des enfants" , "baisse des charges patronales = plus de travail = fin du chômage", "déduction fiscale sur les emprunts immobiliers = tous propriétaire = plus de SDF".
Nos adversaires sont (avec la « novlangue ») très attentifs au vocabulaire, quitte à détourner le sens des mots. Dévoilons le subterfuge, et utilisons des mots simples, mais justes : « cotisations sociales », au lieu de « charges », par exemple...

Résorber nos contradictions par le débat.
ATTAC ne présente ni ne défend aucun candidat aux élections. Nous n’avons pas d’intérêt de boutique ou de chapelle. ATTAC est donc un lieu où peuvent (doivent) se retrouver tous ceux qui ne se retrouvent pas dans la politique de lutte des classes menée par notre gouvernement.
Nous avons des parcours différents, des sensibilités différentes, nous ne sommes pas d’accord sur tout : continuons de rechercher ensemble des solutions à nos problèmes, en restant toujours sur le terrain des idées.
Nous pouvons collectivement faire progresser la réflexion :le séminaire sur « les mouvements sociaux confrontés à la crise écologique » étaient ainsi un pas dans le bon sens .
Prolongeons-le par des forums sociaux (mondial, européen, nationaux, régionaux, départementaux et locaux).

Contribuer à la restructuration de la gauche.
Sans nous mêler directement des questions d’organisation politique, nous pouvons, nous devons même, contribuer à la refondation d’un grand parti qui rassemble la gauche tout entière, et qui organise en son sein la libre expression des différents courants. Sans attendre le retour fort hypothétique d’un mode de scrutin proportionnel (d’ailleurs serait-il même vraiment souhaitable ?), c’est la condition sine qua non pour que la gauche revienne un jour au pouvoir en France.