La politique agricole : réunion publique du 9 novembre 2005 à Montrouge : notes de l’exposé

, par attac92

La politique agricole :
nous aussi, citadins, nous sommes concernés

(réunion publique du 9 novembre 2005, texte préparé par Jean-Paul Allétru, ATTAC Montrouge)

La subvention européenne par vache est d’environ 2 $ par jour, alors que trois milliards d’hommes disposent de moins de cette somme. Les subventions représentent 90 % du revenu moyen des agriculteurs français. Ces subventions sont inégalement réparties : 10% des agriculteurs (les plus riches) touchent 80% des subventions.
Les subventions des agricultures les plus « compétitives ruinent la majorité des paysans des pays du Sud.
La suppression des subventions est l’un des enjeux de la prochaine négociation à l’OMC.

Mais une concurrence libérée de toute entrave est-elle la solution ? N’y a-t-il pas place pour un droit à la « souveraineté alimentaire » ?

Et faut-il encourager une agriculture productiviste, polluante et forte consommatrice d’eau et d’engrais ? Quelle alimentation souhaitons-nous ?

La PAC (politique agricole commune, de l’Union européenne)

En 1920, il n’y avait, en aucun pays, de politique agricole. La crise mondiale de surproduction agricole de 1925 amène la misère en de nombreux pays. En 1933, les Etats-Unis d’Amérique se dotent d’une politique agricole, sous la forme d’aides directes aux agriculteurs (payées par le contribuable), cependant qu’en Europe, on cherche une solution du côté du maintien de prix élevés (payés par le consommateur). En 1936, en France, le Front populaire institue l’Office du blé (et jusqu’en 1974, le prix du pain sera fixé par le gouvernement).

En 1962, la Communauté européenne (qui ne satisfaisait que 80 % de ses besoins agricoles) institue, afin d’assurer sa sécurité alimentaire, la Politique Agricole commune, qui protège les agriculteurs européens par des droits de douane, en leur garantissant des prix plus élevés que sur le marché mondial. La PAC était donc censée assurer son autosuffisance à la CEE, et non de jouer un rôle de distribution sociale.
La PAC avait été acceptée par l’Allemagne, en échange de l’ouverture à ses produits industriels.

Dans les années 1980, l’Europe devient 2ème exportateur mondial. Bruxelles subventionne les exportations (versant aux agriculteurs la différence entre le prix mondial et le prix intérieur). Les subventions aux exportations, qui ne représentaient que 4,5 milliards d’euros en 1979, avaient plus que doublé dix ans plus tard.
Le budget de la PAC est passé de 3,1 milliards d’euros en 1970 à 263 milliards d’euros en 1988.
La PAC connaît une première réforme en 1993, par l’introduction d’aides directes aux agriculteurs  ; et une deuxième en 2003, qui devrait entrer en vigueur en 2006.

La PAC est caractérisée par de très fortes inégalités dans la répartition des subventions.
A noter d’abord que le porc, la volaille, les fruits et légumes ne sont pas aidés.

L’aide aux productions favorise les grandes, voire les très grandes, exploitations : elle représente 400 €/hectare, et 200€ par tête de bétail.
L’aide à l’exploitation (qui peut être modulée différemment selon les Etats - ce que d’aucuns critiquent, comme source possible de nivellement par le bas), est fondée sur le développement rural.
Elle représente en moyenne 12 456 € par exploitation en France, contre 4 757 € dans l’ensemble de l’Union. Les écarts sont sensibles d’un pays à l’autre : 1433 E :exploitation au Portugal, 17 433 au danemark.

En France, la distribution est très inégale : 18 % des exploitations ne touchent aucune aide directe, 10 % touchent plus de 50 000 E, 1% touche plus de 100 000 €.
65% des aides vont à 20 % des exploitations.
Certains reçoivent plus de 300 000 € : ils sont 30 de ce cas en France, et 330 en Grande Bretagne (parmi lesquels ... la reine d’Angleterre, qui reçoit 800 000 €). La famille Rainier de Monaco figure aussi parmi les très gros bénéficiaires.
Certains pays offrent une aide au maintien en agriculture biologique, mais pas la France.

Sans les aides, les exploitations spécialisées en viande bovine ne subsisteraient pas (selon Pierre Chevalier, éleveur, président de la fédération nationale bovine).

L’Union européenne a versé 9,2 milliards d’euros aux agriculteurs français, soit près du quart du budget agricole européen. Ces subventions représentent 90% de leur revenu moyen (mais 10 % des exploitations reçoivent 50 % des aides directes ; 20 % se partagent 73 % des aides).
Ces 9,2 milliards d’euros se répartissent en 7,54 milliards d’euros pour l’aide aux productions (57 % pour les grandes cultures céréalières, 27 % pour la viande bovine), et 1,7 milliard d’euros pour les aides directes à l’exploitation.

La PAC représente 40 % du budget européen.
Les Etats refusent d’augmenter leur contribution au budget de l’Union. Par conséquent, les aides au développement rural n’augmentent pas, contrairement aux projections (on prévoyait qu’elles s’élèveraient à 12 milliards d’euros en 2013).
Mais la PAC ne pèse que 0,4 % du PIB européen, alors que l’agriculture contribue pour 2% au PIB européen.

La PAC fait l’objet de critiques par les partisans du libre-échange, par les tenants de l’orthodoxie budgétaire, par les tiers-mondistes, par les écologistes.
Elle conduit à une course aux rendements, avec ses conséquences (pollution, risques sur la santé -vache folle, grippe aviaire, ...). Elle n’empêche pas la disparition des exploitations.
Elle est remise en cause au sein de l’Union européenne (Romano Prodi en 2003, Tony Blair en 2005, ...) .

L’OMC (organisation mondiale du Commerce)

L’OMC lance à Doha en 2001 un nouveau cycle de négociations, afin de libéraliser les échanges agricoles et les échanges de biens et de services. Dans ce cadre, la conférence de Cancun, en 2003, échoue. L’Inde, le Brésil et la Chine, avec un groupe de pays en développement, d’une part, un groupe de 90 pays pauvres (surtout africains), d’autre part, se heurtent aux Etats-Unis et à l’Union européenne, et dénoncent les subventions des pays riches à leur agriculture (1 milliard de dollars par jour ; 2$ par vache et par jour, selon Dominique Plihon), qui provoquent la ruine des agricultures des pays pauvres.
Les Etats-Unis accordent 4 milliards de dollars de subvention à ses 25 000 producteurs de coton, et exportent 68 % de leur récolte , alors qu’en Afrique le coton fait vivre 15 millions de personnes.
A Cancun, les Africains ont demandé la fin de ces subventions, l’OMC leur a donné raison en 2004, mais les Etats-Unis n’ont pas obtempéré.
En septembre 2004, dans le cadre de l’OMC, les Etats-Unis et l’Union européenne se sont engagés à supprimer leurs subventions aux exportations agricoles, en échange de la reprise des négociations sur la libéralisation des services.
En septembre 2004, l’OMC a condamné l’Union européenne au sujet du sucre : les betteraviers européens sont subventionnés par les consommateurs qui paient leur sucre 4 fois plus cher que les cours mondiaux, l’UE a fait appel.

Aujourd’hui, la préparation de la prochaine réunion de l’OMC à Hong-Kong le 13 décembre fait l’objet d’intenses négociations. Le commissaire européen Peter Mandelson a proposé (malgré la menace de véto de la France) de réduire de 70 % les aides aux agriculteurs, et de supprimer les soutiens à l’exploitation, en échange d’une libéralisation massive des services.

Le Brésil bientôt « ferme du monde » ?
C’est la

3ème puissance agricole derrière les Etats-Unis et l’Union européenne. Ses aides publiques ne représentent que 3% des recettes agricoles, contre 17 % aux USA, 34 % en union européenne, 58 % au Japon. Il exporte le quart de sa production. Il détient 82 % du marché mondial du jus d’orange, 29 % du sucre, 29 % du poulet, 29 % du café, 38 % du soja, 20 % du bœuf.
Mais 1% des plus riches possèdent 45 % des terres exploitées. Quel est l’avenir des fermes familiales qui produisent l’alimentation de base de la population ? En 10 ans, un million de petites exploitations ont fermé.

Et demain ?

Conclusion empruntée à Yves Cochet (« pétrole apocalypse)
« L’agriculture et l’alimentation productivistes ne survivront pas à la fin du pétrole bon marché. Les groupes humains urbains ne se maintiendront qu’en ayant des relations directes avec des zones agricoles proches. De grandes difficultés alimentaires atteindront les grandes conurbations urbaines sans arrière-pays de polycultures durables.
Tout ce qui ressemble à une organisation basée sur le transport bon marché à longue distance aura du mal à subsister. La critique que nous formulons à l’égard de l’agriculture industrielle porte à la fois sur son inefficacité énergétique (typiquement, la chaîne agroalimentaire industrielle contemporaine dépense 10kcal pour fournir 1 kcal) et sur sa course à la productivité, dont les conséquences sont insoutenables en matière de dégradation de l’environnement, d’épuisement des ressources non renouvelables, de conditions de travail des agriculteurs et d’impact sur la santé humaine.
Les exploitations axées sur les productions végétales sont bien plus efficaces d’un point de vue énergétique que celles spécialisées dans l’élevage pour la viande.
Une alimentation plus économe en énergie serait plus locale, plus saisonnière et plus végétarienne.
La mise en conserve d’1 kg de fruits nécessite 575 kcal pour sa préparation et 2 215 kcal pour son emballage, soit un total de 2790 kcal, alors qu’1 kg de fruits a un contenu énergétique d’environ 580 kcal. Ce même kg de fruits surgelé consomme 1 817 kcal de préparation, 1 231 kcal d’emballage plastique, plus 264 kcal par mois de conservation au congélateur.

Que faire à l’échelon individuel et local ?
Modifier nos comportements quotidiens par des gestes concrets (voir www.defipourlaterre.org)
Constituer des AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) ; jardins , potagers partagés
Cuisinière à bois, isolation poussée de l’habitat.
Aucune nostalgie dans tout cela : nous n’avons pas d’autre choix. Le petit milliard d’habitants des pays de l’OCDE doit diviser par dix sa consommation d’énergies fossiles, tandis que 4 ou 5 autres milliards les augmenteront.
Et à l’échelon régional ?
Viser l’autosuffisance locale et régionale.
Cuba donne un exemple vécu, lorsque l’effondrement de l’empire soviétique, en 1990, l’a brutalement privé de ses importations de pétrole. L’agriculture biologique est devenue la norme, les bœufs ayant remplacé les tracteurs. La population urbaine s’est mise à l’agriculture. L’essentiel de la mobilité s’effectue à pied, à vélo ou par les transports publics. Les Cubains ont beaucoup souffert depuis quinze ans. Mais la population a réussi à organiser sa vie dans une certaine autosuffisance, forcée par le manque de pétrole et l’embargo américain. Les médecins maintiennent un niveau sanitaire élevé, la mortalité infantile est inférieure à celle des Etats-Unis.
Et à l’échelon national ?
L’effort national devrait être comparable à la mobilisation américaine pendant la seconde guerre mondiale : contrôle des prix et des revenus, rationnement de certains produits (pour éviter les émeutes populaires face aux pénuries).
Et à l’échelon européen et mondial ?
La politique agricole commune absorbe 45 % du budget de l’Union européenne pour soutenir un productivisme condamné par la hausse du prix des hydrocarbures. Il faut la transformer en suivant six orientations :

 tendre vers l’autosuffisance nationale, en garantissant un revenu satisfaisant aux paysans et en impulsant une agriculture paysanne, durable, biologique ;

 contrôler les importations en refusant les denrées produites à l’intérieur de l’union (ce droit de limitation des importations doit être celui de tous les pays du monde) ;
-réduire les profits des transformateurs et de la grande distribution

 lutter contre la misère alimentaire par l’accès de tous à une alimentation saine et équilibrée

 réduire puis éliminer les surplus agricoles européens exportés à prix de dumping et utilisés contre l’insuffisance alimentaire des pays pauvres ;

 réécrire la PAC et l’OMC selon des principes de souveraineté alimentaires et d’autosuffisance locale et régionale à la place des principes de libre marché et de compétitivité internationale. »

A noter en outre que la politique agricole peut concourir à la lutte contre le chômage. La production céréalière et maraîchère biologique peut exiger jusqu’à 40 % de main d’œuvre en plus. En Autriche, il y a 9,3 % de fermes en bio. Si la France faisait de même, il y aurait 60 000 exploitations bio au lieu de 11 000, et 90 000 emplois en plus.

La Confédération paysanne défend le principe de souveraineté alimentaire : accepter les aides quand elles sont vitales, les refuser quand elles sont destinées à casser les prix à la production. « A terme les subventions européennes seront remises en cause. Et on s’en félicite », déclare Gérard Durand (confédération paysanne).