Argumentaire Mühlstein : La réglementation Barrot, le projet de réglementation européen (OSP) ou la concurrence pour le marché

, par Philippe Mühlstein

« La réglementation Barrot »
Le projet de réglementation européen (OSP)
dans les transports publics
ou
la concurrence pour le marché

13 avril 2005

Version provisoire

Les projets de la Commission européenne concernant les transports publics de voyageurs par route et par voie ferrée ne sont pas nouveaux et ne sortent pas du cerveau tumultueux du « petit nouveau » Jacques Barrot. Il s’agit d’une nouvelle mouture (prête sous cette dernière forme depuis plus d’un an) d’un projet qui remonte à 2001 de règlement européen relatif aux obligations de service public (OSP) dans les transports terrestres, raison pour laquelle on l’appelle parfois encore « projet de règlement OSP ». Il s’agit d’imposer la mise en appel d’offre des transports publics de proximité (sur le territoire d’une région administrative ou d’une ville) afin de pouvoir en confier l’exploitation pour une durée de 5 à 10 ans à des entreprises privées (genre Vivendi-Veolia-Connex) et non plus aux seuls opérateurs historiques publics comme c’est encore le cas aujourd’hui en France.

Dans le domaine ferroviaire, le texte que j’avais envoyé à la liste du CS en 2003, qui a fait l’objet d’une session à notre université d’été 2004 et qui figure depuis sur notre site (« Sur la libéralisation du transport ferroviaire ») y faisait explicitement mention (page 15). Je vous joins à nouveau ce texte.

A la différence de la mise en concurrence de plusieurs « opérateurs ferroviaires » faisant circuler des trains d’entreprises différentes sur une même ligne (concurrence dite « sur le marché »), comme dans les premier, second et troisième paquets ferroviaires, il s’agit ici pour ces opérateurs ferroviaires de remporter la compétition pour obtenir, pour 5 à 10 ans, un monopole d’exploitation des transports ferroviaires sur le territoire d’une autorité organisatrice de transports, ville ou région (concurrence dite « pour le marché »).

C’est le modèle mis en œuvre lors de la réforme ferroviaire britannique de 1994, que la Commission veut généraliser à tous les transports locaux et régionaux. Vous connaissez le résultat. La Commission peut procéder par règlement (« loi européenne » dans le TCE) et pas par directive (« loi-cadre » dans le TCE) puisqu’il s’agit de marché et de concurrence, donc d’une « compétence exclusive » de l’Union, même si le marché à établir est ici celui des transports (ceux-ci relevant, en tant que secteur, d’une « compétence partagée »).
Dans son premier projet de « règlement OSP », la Commission avait même trouvé le moyen d’exclure la SNCF de la candidature aux appels d’offres, en imposant que ne puissent soumissionner que les entreprises ferroviaires assurant moins de 25% du transport ferroviaire sur le territoire de l’autorité organisatrice émettrice de l’appel d’offre. Cette disposition, qui imposait la privatisation de facto de tous les transports ferroviaires régionaux (TER), a disparu dans le dernier projet que Jacques Barrot est chargé de promouvoir. Le député PS européen Gilles Savary n’avait trouvé qu’une chose à redire au premier projet de la Commission, c’est qu’il empêchait à un baronnet local comme lui de garder ses transports en commun par autobus en régie municipale. Il s’est battu sur ce seul point et a obtenu satisfaction. Quant au mode ferroviaire, il s’en tamponne et ne connaît rien aux conditions de son fonctionnement, du reste comme la plupart de ses coreligionnaires du PS et comme les Verts européens, qui ont tous soutenu ce projet de règlement (« La concurrence, ça fera baisser les prix du train, gnin, gnin, gnin, ... », ânonnent tous ces « Ravis de la crèche »).

Il est à noter que le matériel roulant des TER est actuellement entretenu par la SNCF dans ses ateliers, et que les contrôleurs et les conducteurs des TER sont aussi des cheminots. Selon le projet de règlement, l’entreprise qui remporterait un appel d’offre régional devrait réembaucher le personnel SNCF. Mais alors, ne faudrait-il pas que celui-ci renonce à son statut actuel ? Le projet de règlement est muet sur ce genre de détail pittoresque, auquel des Barrot ne pensent sûrement pas... La direction de la SNCF est muette également : il y a bien longtemps que Louis Gallois et ses sbires ont décidé de jouer à fond le « jeu du marché ». (« A la SNCF, on ne fait pas de politique », ce qui veut dire que l’on se soumet à tout ce qui advient... même à la destruction progressive de la SNCF).
En Grande-Bretagne, il a été créé des entreprises privées de location de matériel ferroviaire, d’autres pour son entretien, afin que les exploitants privés qui ont remporté les appels d’offres puissent y avoir recours. Comment fera-t-on en France ? Faudra-t-il finir de briser la SNCF en menus morceaux et de tous privatiser, comme John Major l’a fait là-bas et comme Jean-Claude Gayssot l’a commencé ici en 1997 en confiant l’infrastructure à RFF ? Vétilles pour les Chevaliers de la concurrence forcée à la Commission ! Là non plus, Barrot n’a sûrement pas réfléchi à la question.

Les néolibéraux affectent de savoir ce qu’ils veulent, mais il est absolument certain qu’ils ignorent tout de ce qu’ils cassent. Outre Manche, les conséquences ont été dramatiques, et pas seulement socialement pour les cheminots : les prix des transports pour les voyageurs ont considérablement augmenté et le démantèlement a été, au sens propre, sanglant. Mais la Commission et les néo-libéraux « bien de chez nous » n’ont jamais critiqué la réforme britannique, sauf depuis que Tony Blair lui-même a mené cette critique et redonné le contrôle réel du rail à l’Etat, parce que son gouvernement allait finir par sauter... En France, on continue à aller droit dans le mur ... et les « élites » appuient sur l’accélérateur et klaxonnent.

J’ai montré dans un message récent sur la liste, accompagné d’un article de Libération, que ce projet de règlement avait aussi été planqué sous le tapis, où il a rejoint le projet Bolkestein, bien au chaud jusqu’au 30 mai. Seul un vote « NON » le 29 mai pourrait empêcher ces joyeusetés de re-sortir, qu’on se le dise...


Philippe Mühlstein