Argumentaire Lecourieux : Les reculs de la Constitution européenne par rapport au traité de Nice

, par Alain Lecourieux

Les reculs de la Constitution européenne
par rapport au traité de Nice


12 avril 2005

Version provisoire

« La Constitution européenne ne comporte que des avancées. »
Le chœur des ouistes, PS, Verts, UMP, UDF

A noter.

Le terme « traité de Nice » désigne ici le Traité sur l’Union européenne (TUE) et le Traité instituant la Communauté européenne (TCE) tels qu’ils sont entrés en vigueur, pour une durée illimitée, sauf abrogation, le 1er février 2003 pour les Quinze (appelés « versions consolidées à la suite de Nice ») et tels qu’ils s’appliquent aux Vingt-Cinq depuis avril 2004.

Ce document est un résumé des reculs principaux sous la forme d’une liste ; les reculs sont donnés sans aucun commentaire ; un document plus « savant », plus exhaustif et plus explicatif fera la comparaison détaillée du traité de Nice et de la Constitution européenne ; ce document sera disponible avant la fin d’avril 2005.
Un document disponible aussi à la fin d’avril fera aussi la liste des avancées (« une alouette ») de la Constitution par rapport au traité de Nice ; ce document donnera aussi une qualification de chacune de ces avancées.


Il convient de noter que la Conférence intergouvernmentale (CIG) qui a suivi la Convention sur l’avenir de l’Europe a supprimé la citation de Thucydide, proposée en exergue de la Constitution européenne par la Convention : « Notre Constitution... est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d’une minorité, mais du plus grand nombre ». La CIG a procédé à d’autres modifications du texte de la Convention. Ces modifications qui sont presque toutes des reculs feront l’objet d’un autre document.

Liste des reculs

 Le préambule du Traité instituant la Communauté européenne (TCE), partie du traité de Nice, « assignait [aux Etats membres] pour but essentiel à leurs efforts l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi de leurs peuples ». La formulation du préambule de la Constitution européenne qui s’en rapproche le plus « Convaincu que l’Europe... » est en recul.

 Il convient de noter que la Conférence intergouvernmentale (CIG) qui a suivi la Convention sur l’avenir de l’Europe a supprimé la citation de Thucydide, proposée en exergue de la Constitution européenne par la Convention : « Notre Constitution... est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d’une minorité, mais du plus grand nombre. La CIG a procédé à d’autres modifications du texte de la Convention qui

 La sanctuarisation plus forte des politiques néolibérales (partie III essentiellement) par l’autorité juridique supérieure de la Constitution par rapport à l’autorité du traité de Nice.


 Le primat du droit de l’Union est affirmé dans la Constitution (I-6) alors qu’il ne l’est pas dans le traité de Nice.


 Le dialogue régulier entre l’Union et les Églises (I-52) est absent du traité de Nice.


 Le triumvirat (président du Conseil européen, ministre des affaires étrangères, président de la Commission) ajoute à la confusion des pouvoirs et est un déni du principe de séparation des pouvoirs.

 « La liberté de manifester sa religion [...] individuellement ou collectivement, en public [...], par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (II-70).

 Certains domaines qui passent à la majorité qualifiée tels que la libre circulation des travailleurs, les nouvelles missions et statut de la BCE, la culture, le statut et siège de l’Agence de l’armement, la compétence de la Cour de justice en matière de propriété intellectuelle constituent autant de menaces néolibérales compte tenu de la trajectoire actuelle de l’Union européenne.


 La composition de la Commission avant et après 2014 est en recul par rapport à la situation qui prévalait jusqu’à 2004 : deux commissaires pour les "grands pays", un pour les petits.


 La composition de la Commission après 2014 dite "Commission réduite" prive un pays comme la France d’un commissaire à droit de vote pendant cinq années sur quinze. Elle réduit volens nolens l’influence de la France dans l’Union.


 Les SIEG ne sont plus une valeur de l’Union (III-122) alors que les SIEG sont une valeur de l’Union dans le traité de Nice.


 L’extension de la majorité qualifiée pour les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques (III-141) est une menace (cf. la directive Bolkestein).


 L’extension du pouvoir de la Commission désormais chargée de promouvoir l’intérêt général de l’Union (I-26) alors qu’elle n’a aucune légitimité pour ce faire.


 L’extension des délégations de compétence non contrôlées démocratiquement dans les domaines sensibles de l’asile et de l’immigration.


 La suppression de la clause permettant de suspendre temporairement l’espace sans frontières dit de Schengen. Cette clause de sauvegarde existe dans le traité de Nice.


 Dans le cadre de la politique commerciale commune, sauf s’il y a atteinte à la diversité culturelle et linguisitique, la Constitution supprime l’exception culturelle et audiovisuelle (III-315) que le traité de Nice maintient.


 Toujours dans le cadre de la politique commerciale commune, et sauf perturbation grave, la Constitution européenne supprime l’unanimité dans les domaines de la santé, de l’éducation et des services sociaux (III-315).


 La suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers directs (AMI) et la réduction de tout obstacle au libre-échange mondial (adjonction de la mention "et autres" qui n’est pas présente dans le traité de Nice) (III-314)


 Le traité de Nice n’indique pas la compatibilité obligatoire de la défense européenne commue avec l’OTAN qui est consacrée comme fondement de la défense collective et de sa mise en oeuvre (I-41).


 La Constitution européenne fait de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) une Cour de Justice de l’Union, véritable Cour suprême compétente dans presque tous les domaines. Le traité de Nice limite ses compétences par l’existence des trois piliers.
A noter : les trois piliers du traité de Nice sont : le pilier communautaire ; le deuxième pilier concerne la politique étrangère et de sécurité commune ; le troisième concerne la justice et les affaires intérieures hors asile et immigration, deux domaines qui sont dans le premier pilier. Les deux derniers piliers du traité de Nice sont intergouvernementaux et échappent, dans ce traité, à la compétence de la Cour de Justice.

Alain Lecourieux

Annexe

Reculs impliqués par l’inclusion de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution européenne

A noter.

Il peut paraître paradoxal, voire provocateur, d’inclure certains aspects de la Charte des droits fondamentaux dans un document qui entend lister les reculs de la Constitution européenne par rapport au traité de Nice. L’autorité juridique - une norme constitutionnelle - qu’acquiert la Charte par son inclusion dans la Constitution d’une part affaiblit les textes qui n’ont pas la même autorité et qui lui sont supérieurs en matière de droit, et d’autre part menace les droits qui ne figurent pas dans cette Charte.

La Charte des droits fondamentaux, partie II de la Constitution, ne reconnaît pas certains droits essentiels des êtres humains

Citons parmi les droits non reconnus :

le droit au travail pourtant inscrit dans la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 et dans la Constitution française de 1958 ;
le droit à un revenu minimum ;
le droit à l’égalité salariale (à travail égal, salaire égal) ;
le droit à une pension de retraite (la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs du 9 décembre 1989 garantit « le droit de bénéficier, au moment de la retraite, de ressources assurant un niveau de vie décent ») ;
le droit aux allocations de chômage ;
le droit à un logement convenable ;
le droit à des services publics de qualité (seul le droit d’accès est reconnu dans l’article II-96 tel qu’il est prévu dans les législations et pratiques nationales ; ne figurent ni la liste des domaines concernés, ni les principes que les services publics doivent respecter) ;
le droit à l’éducation tout au long de la vie ;
le droit de grève transnational ;
le droit à l’avortement ;
le droit d’être soigné en cas d’urgence (qui devrait être accordé à tout être humain, fût-il clandestin) ;
le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales des résidents étrangers à l’Union.

Des vœux pieux qui ne sont pas des droits

Par contre on trouve beaucoup de vœux pieux dans la Charte des droits fondamentaux : « Le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux », « le droit de travailler », « le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle », « le principe du développement durable » et « le niveau élevé de protection des consommateurs » sont quelques-uns des nombreuses pétitions de principe qui émaillent la Charte des droits fondamentaux.

Au mieux ce sont des objectifs généraux. Au pire ce sont des vœux pieux voire des tromperies. Ce ne sont en tout cas pas des droits.

Un exemple entre « mille »... L’article II-96 de la Charte des droits fondamentaux stipule : « L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément à la Constitution, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union. »
On est impressionné ! Enfin, un droit !
Mais il faut lire le volume II de la Constitution que peu de personnes liront. C’est, en tout cas à l’évidence, le pari qui est fait !
La Déclaration n° 12 (60 pages) de ce volume II est entièrement consacrée à la Charte des droits fondamentaux ; elle a, comme les 47 autres Déclarations de la Constitution, valeur interprétative du projet de traité constitutionnel ; en quelque sorte elle fournit, comme les autres Déclarations, le « dictionnaire », les clefs pour interpréter les prétendus « droits fondamentaux ».
Que dit-elle de l’article II-96 ?
Elle lève toute ambiguïté : « Cet article [II-96] (...) ne crée pas de droit nouveau. » Constitution pour l’Europe, Office des publications officielles des Communautés européennes, volume II, page 416, juillet 2004.
Nous voilà dûment averti !

Nous sommes manipulés et trompés si nous ne lisons pas le volume II de la Constitution. Rappelons que ce volume II qui contient 36 Protocoles, 2 Annexes et 48 Déclarations fait à lui seul, dans cette version officielle de la Constitution, 460 pages. Il convient d’y ajouter les 350 pages du volume I dans la même édition !

La Constitution précise dans son article II-112-5 qu’aucun des « principes », aucun des vœux pieux, ne peut pas être invoqué devant le juge et que seuls peuvent l’être les actes législatifs qui en dériveraient éventuellement (II-112-5). Ces « principes », ces vœux pieux concernent essentiellement les domaines économiques, sociaux et culturels.

Deux principes fondamentaux du droit sont malmenés, voire niés, ici :
l’indivisibilité des droits qui accorde la même valeur aux droits civils et politiques d’un côté, économiques, sociaux et culturels de l’autre ;
la « justicialité » qui permet de sanctionner la violation d’un droit auprès du juge.

La Constitution déconstruit l’universalité des droits

La Constitution introduit un principe radicalement contraire à l’universalité qui implique que les droits soient reconnus à tous. Certains droits sont réservés aux résidents ou aux seuls citoyens de l’Union. Ainsi l’article II-75 garantit-il des « conditions de travail équivalentes » aux non ressortissants de l’Union, ce qui ne garantit en rien l’égalité des droits. Il en est de même du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales qui est réservé aux seuls citoyens de l’Union et n’est donc pas accordé aux résidents étrangers à l’Union (article II-100).
La Constitution s’écarte de l’idée d’un être humain universel et introduit des catégories. On en dénombre pas moins de treize : catégories politique, administrative, économique, etc. Les entreprises et les médias sont mis sur le même plan que l’être humain. Les catégories sont tantôt favorisées, tantôt défavorisées. Ainsi le comble du ridicule est-il atteint avec l’article II-85 relatifs aux droits des personnes âgées : « L’Union reconnaît et respecte le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle ». Les autres personnes - non âgées - n’ont sans doute pas droit à une vie digne et indépendante et à une participation à la vie sociale et culturelle !

La Constitution est en recul par rapport aux autres textes relatifs aux droits fondamentaux

La Charte des droits fondamentaux qui est maintenant la partie II de la Constitution européenne est, par ce fait même, le texte de référence de l’Union européenne en matière de droits fondamentaux. Elle dévalue donc les autres textes par rapport auxquels elle est en recul et notamment :
la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789,
la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948,
la convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950,
la charte sociale européenne du Conseil de l’Europe du 18 octobre 1961,
le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966,
la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs du 9 décembre 1989.

Nous ne pouvons mentionner ici tous les reculs de la Constitution par rapport à ces textes. Mentionnons quelques absences inquiétantes par rapport à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :
interdiction d’arrestation et de détention arbitraires ;
droit de pouvoir jouir des arts, de la culture et des progrès scientifiques ;
droit de pouvoir prendre part à la direction des affaires publiques et de pouvoir accéder aux fonctions publiques ;
mention que la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics.

Les personnes au même niveau que les services, les marchandises et les capitaux

Dans le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union (partie II de la Constitution) on trouve la phrase qui fournit la clef de « l’illusion des droits fondamentaux dans la Constitution européenne » :

« L’Union cherche à promouvoir un développement équilibré et durable et assure la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement. »

Pourquoi donc essayer de comprendre ce qu’est cette Charte des droits fondamentaux ? La réponse nous est fournie dans cette seule phrase qui figure dans son préambule et qui, sans barguigner, place les personnes au même niveau que les services, les marchandises et les capitaux. Tout est dit !