Argumentaire Viale : "La politique commerciale de l’Union européenne et la libéralisation du marché intérieur : deux raisons supplémentaires de voter NON"

, par attac92

La politique commerciale de l’Union européenne
et la libéralisation du marché intérieur :

deux raisons supplémentaires de voter NON

Frédéric Viale
25 février 2005

Frédéric Viale est membre d’Attac et coordinateur du groupe AGCS

Le traité établissant une Constitution pour l’Europe entre en résonance avec un autre traité international qui prévoit une libéralisation des services dans l’Union et dans le monde, l’Accord Général du Commerce des Services (AGCS).

Par ses dispositions le projet de traité constitutionnel (la Constitution) de l’Union européenne dépasse l’AGCS, en matière de libéralisation. La Constitution est en quelque sorte le fer de lance et le modèle pour les difficiles négociations en cours dans le cadre du cycle de Doha de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’AGCS a été signé en 1994 dans le cadre de l’OMC. Il prévoit l’établissement progressif du "plus haut niveau de libéralisation possible" (Préambule de l’Accord). La libéralisation progressive des services a pour conséquence recherchée de mettre en concurrence l’ensemble des services, définis par 12 secteurs et 161 sous-secteurs, dont seuls échappent les services régaliens de l’Etat, armée, police, justice, émission de monnaie. L’AGCS prévoit explicitement la libéralisation de l’investissement (par le "mode 3") qui permet aux capitaux d’aller et venir à leur guise sans contrôle. Le "mode 4" autorise les entreprises à établir des contrats de travail à durée déterminée avec les travailleurs non ressortissants de l’Union qui viennent exécuter une mission dans les Etats membres, à des conditions non précisées par l’AGCS.

L’AGCS a comme caractéristique essentielle de s’attaquer aux réglementations intérieures des Etats, c’est-à-dire toutes "mesures" prises à quelque niveau que ce soit, national ou local, par le pouvoir politique ou par l’administration (Article 1). Ces réglementations ne doivent pas constituer des "obstacles non-nécessaires" au commerce (art. VI-4), sous peine de devoir être supprimées, y compris par le juge national (art. VI-2). La jurisprudence du GATT, qui a précédé l’OMC et auquel elle s’est substituée, définit clairement ce que sont des obstacles au commerce, obstacles qualitatifs ou qualitatifs, mais nul ne peut dire comment seront définis le caractère "non nécessaire" de ces obstacles. En réalité, ce sera la jurisprudence définie par l’Organe de Règlement des Différends (ORD), sorte de Tribunal interne de l’OMC, qui définira ce caractère non-nécessaire, et qui pourra dire que telle ou telle "mesure" nationale constitue un obstacle non-nécessaire au commerce. Il faut savoir à cet égard que l’ORD n’est soumis qu’aux règles du droit du commerce international, à l’exclusion de toutes les autres. C’est dire que ni le droit international (Déclaration universelle des droits de l’Homme, Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, etc.), ni le droit national (social, environnemental et autres droits), ne lui sont opposables. Les décisions de l’ORD peuvent aboutir à des sanctions des Etats. Elles sont donc très concrètes.

Par ailleurs, l’AGCS définit les subventions comme des "distorsions au commerce" (art. XV), ce qu’elles sont par définition, et qui doivent être supprimées en deux temps (l’AGCS est un accord progressif) : d’abord, au premier niveau d’engagement, toute subvention à un prestataire de service devra être accordée pareillement à tout prestataire qui en fera la demande, ce qui tue la subvention ; dans un second temps, la subvention sera supprimée.

Le cade des marchés publics devra être modifié dans un sens qui facilite les investissements (art. XIII).

Les services publics sont directement concernés, puisque les article 1-3-b et 1-3-c disposent que seuls les services s’exerçant "dans le cadre du pouvoir gouvernemental" peuvent échapper à l’AGCS, c’est-à-dire les services qui ne s’exercent "ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services", ce qui veut dire que seuls les services régaliens au sen strict échappent à l’AGCS.

Enfin, l’AGCS se veut irréversible : lorsqu’un secteur de service est ouvert à la concurrence internationale dans le cadre de l’AGCS, un Etat ne peut plus décider de le revenir sur son ouverture et de le protéger, à moins d’offrir en compensation un secteur de poids économique équivalent

Certains disent que la Constitution européenne pourrait empêcher de telles dérives grâce à l’article III-315, au motif que cet article (alinéa 4) prévoit l’unanimité du Conseil de l’Union européenne pour décider un engagement d’ouverture d’un secteur de service. En fait la Constitution ne change absolument rien à la situation actuelle et n’apporte aucune garantie.

En revanche, pour ce qui concerne le "commerce des services sociaux, d’éducation et de santé", les Etats membres ne statueront à l’unanimité que "lorsque ces accords (internationaux) risquent de porter atteinte à la responsabilité des Etats membres pour la fourniture des services" (art III- 314-4-b). Les Etats membres qui veulent que soit appliquée la règle de l’unanimité devront faire la démonstration qu’ils ne pourront plus assumer leur mission si ce domaine fait l’objet d’un engagement de libéralisation. La règle de l’unanimité, présente dans le traité actuel, nous protège encore de certains engagements internationaux intempestifs ; elle se trouve ainsi fragilisée. C’est un recul.

Par ailleurs, la Constitution ne donne aucune garantie supplémentaire dans le domaine des négociations commerciales internationales. Elle maintient le statu quo : le commerce international est une compétence exclusive de l’Union (I-12-1).

Enfin, l’article III-314, exprime la volonté de l’UE de contribuer "au développement harmonieux du commerce mondial" et conduit au libre-échangisme généralisé : suppression "des restrictions aux échanges internationaux" et suppression des restrictions aux "investissements étrangers directs". Ce dernier point n’est pas sans rappeler le mode 3 de l’AGCS, ainsi que l’Accord multilatéral sur l’Investissement (AMI) négocié dans le plus grand secret dans le cadre de l’OCDE, jusqu’à ce qu’il subisse "l’effet Dracula" : exposé à la lumière du jour, il a disparu sous la pression de l’opinion publique, notamment française.

Ces différentes poussées libérales, promues par des instruments juridiques de portée différente (un accord international pour l’AGCS, un traité à portée régionale pour le projet de Constitution Européenne) pourrait également se conjuguer fort bien avec un projet de directive d’harmonisation des services, dite "directive Bolkestein", du nom du Commissaire européen sortant, projet de directive qui instaure le principe "du pays d’origine". Ce principe veut qu’une entreprise prestataire de services ne sera soumise qu’aux réglementations de l’Etat membre de l’UE où son siège social est installé, y compris dans l’ensemble de ses filiales agissant sur tout le territoire de l’UE. Le droit social, par exemple, serait celui du pays d’origine. En l’absence de standards sociaux communs entre les pays de l’UE, cette situation aboutirait à un dumping social généralisé, avec de forts mouvements de délocalisation vers des pays qui, par ailleurs pratiquent le dumping fiscal pour attirer les entreprises. De surcroît, les contrôles sociaux sur les entreprises ne pourront être effectués que par le autorités où elles ont leur siège, y compris lorsqu’il s’agit de leurs filiales.

Ce projet de directive a des conséquences sur les négociations qui se tiennent dans le cadre de l’OMC. A Dublin, le 25 mai 2004, lors d’une consultation européenne sur la directive Bolkestein (DB), la représentante de la Commission, Margot Froehlinger, a déclaré que la DB aurait des conséquences importantes sur les négociations de l’AGCS :

 La compétence en matière d’offres sera entièrement transférée à la Commission qui n’aura plus à consulter les 25 Etats membres et à coordonner leurs actions ;

 La position de Commission sera renforcée parce qu’elle aura « énormément à offrir », à savoir la quasi-totalité du marché européen des services.

Notons aussi que le texte de la DB ne mentionne nulle part les entreprises transnationales, mais uniquement les PME [qui seraient en fait désavantagées par la DB]. Ce sont toutefois évidemment les transnationales qui en profiteraient le plus. La DB réduit considérablement la capacité des gouvernements à fixer les conditions de l’accès à leur marche et à le réguler dans l’intérêt public. La directive couvre tout service rémunéré (cf. article I,3,c de l’AGCS) y compris ceux qui sont fournis par le gouvernement ou par les autorités publiques ; certaines dérogations sont toutefois possibles dans un premier temps, mais, comme les "exceptions" de l’AGCS, elles seraient destinées à disparaître.

De surcroît, le Conseil de l’UE aurait désormais la possibilité d’étendre l’application de la DB aux fournisseurs établis hors de l’Union par un vote à la majorité qualifiée. C’est la porte ouverte aux transnationales américaines ("l’effet Wal Mart").

Il n’y aurait plus de restrictions environnementales, plus de restrictions sur la protection des paysages ou les biens culturels ; il serait impossible de réguler la publicité ou de refuser l’accès aux fournisseurs de services qui ne respecteraient pas les salaries ou l’environnement.

Le nouveau Commissaire du marché intérieur, Charles McCreevey, a déclaré vouloir lui aussi promouvoir la DB. Et bien que la France ait récemment exprimé la demande de réexamen de la DB, la Commission n’avoir aucune intention de la retirer tout en se disant prête à travailler avec le Parlement européen et les Etats membres "pour trouver des solutions à des problèmes difficiles". (AFP 04-02-05, 13 h 20)

L’ensemble de ces textes ont ceci en commun d’écarter les peuples des choix fondamentaux et de priver les élus des possibilités d’action. Ils conduisent, tous ensemble ou séparément, à un changement de société sans que nul ne soit informé ni associé, de près ni de loin. Le principal vice de ces textes est bien le déni de démocratie.

C’est la raison pour laquelle le vote « non » au prochain référendum dépasse le jugement sur la Constitution. Il va au-delà. Si le « non » l’emportait, cela marquerait le début du reflux du libéralisme. De ce point de vue, le « non » stopperait la dérive libérale de l’Union européenne aussi bien dans les négociations commerciales internationales que dans la libéralisation du marché intérieur de l’Union.

Frédéric Viale

Mes remerciements vont à Gérard Surdez qui m’a aidé de ses conseils.