Argumentaire Alt : Une autre Europe est possible

, par Eric Alt

Une autre Europe est possible

23 février 2005

Quel paradoxe il y aurait si, pour accélérer sa construction, l’Union européenne se condamnait à l’impuissance politique ! C’est pourtant un risque non négligeable que le traité établissant une Constitution pour l’Europe ferait courir. Avec trois têtes possibles (président du Conseil, de la Commission et ministre des affaires étrangères) il crée une source de conflits sans que le Parlement ne soit désigné comme arbitre. La définition subtile du principe de subsidiarité est aussi riche de possibilités contentieuses entre les Etats et l’Union. Une architecture complexe, fondée sur 448 articles et 36 protocoles et deux annexes, pourrait bien réduire l’Europe à un simple espace de libre échange.

Le projet constitutionnel ne constitue pas une avancée pour l’Europe. Il n’apporte aucune garantie supplémentaire à la paix, mais assujettit l’Union au traité de l’OTAN. Et s’il vise une économie sociale de marché, il précise que celle-ci doit être hautement compétitive. Dans cette logique néo-libérale, les garanties sociales sont minimalistes : le fameux projet de directive Bolkestein sur le marché intérieur, qui permet d’aligner par le bas ces garanties, est parfaitement compatible avec le traité.

Pour renforcer l’Union européenne sur la scène internationale, socialement et politiquement, il faut imaginer un autre modèle, et admettre qu’il puisse évoluer. Les Européens ne sauraient vouloir se contraindre pendant une durée indéterminée par un traité qui définit à la fois les règles du jeu et le jeu politique lui-même. Ce serait un véritable coup d’Etat idéologique. Le propre d’une Constitution réellement démocratique, c’est aussi de rendre des choix politiques réversibles.

L’Europe doit aujourd’hui ouvrir une nouvelle page de son histoire, devenir plus politique et aussi plus sociale. Mais pour atteindre un tel objectif, ce serait faire fausse route que de ratifier le traité. Il ne faut pas confondre le soutien à la construction européenne et le soutien au projet de traité. Parmi les partisans du NON, certains ont bien autant d’ambition pour l’Europe que ceux du OUI. Mais ils n’admettent pas que la liberté des personnes soit mise sur le même plan que celle du marché. Il ne souhaitent pas donner au néo-libéralisme l’onction référendaire. Il pensent qu’une autre Europe est possible.

Eric Alt, magistrat