Commentaire Azam : Politique budgétaire de l’Union : l’austérité budgétaire constitutionnalisée

, par attac92

Politique budgétaire de l’Union : l’austérité budgétaire constitutionnalisée

Geneviève Azam
9/02/2005 - Campagnes

Geneviève Azam est économiste, professeur à l’Université de Toulouse Le Mirail, membre du Conseil Scientifique d’ATTAC

LEXIQUE

Pacte de Stabilité et de croissance (PCS) :
Accord sur le Pacte lors du Conseil européen de Dublin en 1996 , Pacte adopté par le Conseil européen d’Amsterdam en juin 1997. Il s’inscrit dans la logique du Traité de Maastricht et du passage à la monnaie unique
objectif : parvenir à l’équilibre budgétaire (objectif initial 2004) et ne pas dépasser les 3% du PIB pour les déficits publics
mise en œuvre : surveillance multilatérale et procédure des déficits excessifs. La surveillance multilatérale consiste en un « dialogue entre États membres. La pièce centrale de ce « dialogue » sont les GOPE (Grandes Orientations de Politique Économique), rédigées chaque année par le Conseil, sur proposition de la Commission.

Politique budgétaire :
La politique budgétaire est un instrument de la politique économique, par le moyen du budget de l’État. Pour les keynésiens et plus globalement pour tous ceux qui pensent que les mécanismes de marché ne conduisent pas à l’équilibre économique et social, la politique budgétaire est un instrument privilégié d’allocation des ressources et de redistribution de la richesse. Le déficit budgétaire est un moyen de relancer la demande lorsque celle-ci se trouve à un niveau qui ne permet pas le plein-emploi. Les libéraux privilégient la politique monétaire, actuellement réduite à l’objectif de stabilité des prix, et préconisent une intervention faible de l’État par une compression des recettes fiscales, des dépenses et du déficit. Le refus du déficit correspond également à l’idée de « dette zéro » et à la dévalorisation de toute idée de dette publique, ou de dette sociale ou encore de dette écologique : les libéraux ne reconnaissent que les dettes privées, monnayables et à court terme.

Impôt :
Le pouvoir de lever des impôts est associé en théorie à la souveraineté des États. Les politiques budgétaires encadrées par des politiques monétaristes, l’absence d’harmonisation fiscale entre les États membres, réduisent cette souveraineté sans que puisse émerger une souveraineté européenne car selon le traité constitutionnel soumis à referendum, la Commission aurait l’initiative des lois, le Parlement étant seulement consulté pour la création éventuelle de toute nouvelle recette fiscale, qui supposerait par ailleurs l’accord de tous les États (cf. infra).


Le dogme de l’Union est la réduction des déficits publics, donc des dépenses publiques et sociales. L’article III-179 alinéa 3 confirme le transfert de souveraineté des états vers le Conseil en matière de politique économique en général et de politique budgétaire en particulier : « (...) le Conseil, sur la base de rapports présentés par la Commission, surveille l’évolution économique dans chacun des états-membres et dans l’Union, ainsi que la conformité des politiques économiques avec les grandes orientations visées au paragraphe 2, et procède à une évaluation d’ensemble ».

Le budget de l’Union
I-53-2 : « Le budget de l’union doit être équilibré en recettes et en dépenses », I-54-2 : « le budget de l’Union est intégralement financé par des ressources propres, sans préjudice des autres recettes ».
Concernant le budget, le Parlement vote les grandes lignes de dépenses, mais il est seulement consulté pour l’adoption de nouvelles recettes qui relèvent d’une décision à l’unanimité du Conseil, qui, de fait, définit le budget (I-54-3) : « Le Conseil statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen ».
Un tel dispositif, du fait de l’unanimité requise, rend quasiment impossible la création d’un nouvel impôt, de nouvelles taxes, ainsi que l’augmentation significative du budget européen. La majeure partie de ce budget étant consacré à la politique agricole, il restera très peu pour les fonds structurels. Or ces fonds redistributifs ont pour fonction une harmonisation des territoires, qui seule permettrait une coopération au lieu de la concurrence par des différentiels de développement. Le plafonnement du budget rend également impossible un financement significatif de fonds sociaux européens. La mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières, Tobin ou autre, est quasiment impossible, et ceci d’autant plus que l’article III-156 indique : « (...) les restrictions tant aux mouvements des capitaux qu’aux paiements entre les états-membres et entre les états-membres et les pays tiers sont interdites ». Certes l’article III-157-3 prévoit des « dérogations », interprétées toutefois comme des « reculs » et exigeant l’unanimité du Conseil : « Par dérogation au §2, seule une loi ou une loi-cadre européenne du Conseil peut établir des mesures qui constituent un recul dans le droit de l’Union en ce qui concerne la libéralisation des mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers. Le conseil statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen ». Une taxe Tobin ou des taxes globales seraient interprétées comme une restriction aux mouvements de capitaux et/ou aux paiements entre Etats. Ces contraintes existaient déjà mais elles ne font que se durcir avec l’obligation de l’unanimité à 25 ou plus par la suite.
L’impôt, tout comme les services publics, est donc considéré comme dérogation. Ce faisant la politique budgétaire de l’Union est réduite quasiment à néant : les ajustements doivent se faire par le Marché, selon les lois de la “concurrence libre et non faussée, exclusivement et selon le principe : « Le meilleur gouvernement, c’est le Marché ».

L’Union et les États-membres
« Les États membres évitent les déficit publics excessifs » (III-184). Le protocole 10, « Protocole sur la procédure réglant les déficits excessifs », rappelle les critères de convergence qui sont ceux du Pacte de stabilité et de croissance et reprend les deux critères de Maastricht : « 3% pour le rapport entre le déficit prévu ou effectif et le produit intérieur brut au prix du marché, 60% pour le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut au prix du Marché » (Protocole 10). Qualifié de « stupide » par Romano Prodi lui-même (Le Monde, 17 octobre 2002) le Pacte, explicitement cité dans les explications de la Conférence Gouvernementale concernant l’article III-184, est de fait constitutionnalisé : « La Conférence réaffirme son attachement aux dispositions relatives au Pacte de Stabilité et de croissance, qui constituent le cadre dans lequel doit s’effectuer la coordination des politiques budgétaires des États membres ». L’article III-184 est un véritable monument. Il prévoit dans le détail les sanctions appliquées à un état qui ne respecterait pas les décisions le concernant. Les Etats membres évitent les déficits publics excessifs (III-184-1), la Commission décèle leurs erreurs manifestes (III-184-2), le Conseil décide s’il y a un déficit excessif (III-184-6). Cet article ne comporte pas moins de treize sous-articles et est plus long, à lui seul, que les six articles qui traitent de la politique de l’emploi de l’Union (III-203 à III-208) !
Concernant la fraude fiscale ou les paradis fiscaux, la conférence inter gouvernementale est en recul par rapport à la Convention Giscard d’Estaing qui avait prévu un article sur les paradis fiscaux. L’article III-158-1, pourrait laisser penser que les états seraient autorisés à prendre des mesures pour « faire échec aux infractions (...) notamment en matière fiscale », mais l’alinéa 3 précise bien que cela ne doit gêner en rien la libre circulation des capitaux (référence à III-156). De surcroît, l’alinéa 4 précise qu’en ce domaine le Conseil statue à l’unanimité ! Voilà pourquoi, la possibilité ouverte par l’article I-271-1 qui évoque le blanchiment d’argent dans le domaine des infractions, n’a pas grande chance d’aboutir, d’autant que, dernière curiosité : « Le présent traité ne s’applique aux îles anglo-normandes et à l’île de Man que dans la mesure nécessaire pour assurer l’application du régime prévu pour ces îles (...) » (IV-440-6-a).
Pour ce qui est de l’harmonisation fiscale, qui permettrait d’éviter le dumping fiscal, aucune mesure n’est prévue concernant l’imposition directe qui n’est même pas mentionnée (III-170). Seule est mentionnée la possibilité d’une harmonisation des impositions indirectes, à condition que « cette harmonisation soit nécessaire pour assurer l’établissement ou le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence » (III-171). Dans ce domaine, le conseil statue à l’unanimité (III-171). Ainsi, la possibilité d’une harmonisation fiscale est évacuée et les 25 États sont engagés dans une politique de moins-disant fiscal.
Le dogme de l’équilibre budgétaire est encadré par la politique monétaire. En particulier, il est interdit à la BCE et aux banques centrales des états-membres d’accorder « des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres » (article III-181-1). Combiné à l’article III-183, cela revient à interdire tout financement des dépenses publiques par création de monnaie (emprunts). Les états doivent donc se tourner vers les marchés financiers pour assurer le financement de leurs dépenses. Le protocole 4, qui contient 51 articles, fixe le statut du système européen de banques centrales et de la banque centrale européenne. L’article 21 réaffirme avec vigueur l’interdiction formulée à l’article III-181.
Ainsi se trouve confirmée l’impossibilité de mesures structurelles volontaristes qui exigeraient des ressources budgétaires nouvelles et la possibilité de décider de déficits publics.