Commentaire Drezet : Quels changements pour le budget européen ?

, par attac92

Quels changements pour le budget européen ?

L’Union européenne, si elle ne lève aucun impôt, dispose d’un budget lui permettant de financer des dépenses communes qui est alimenté par quatre sources de financement. Le budget européen se trouve à la croisée des chemins : élargissement à 25, dispositions du projet de traité constitutionnel, perspectives d’élargissements futurs, autant d’événements qui ont, ou auront, un impact certain sur les politiques communautaires, donc sur le budget qui permet de les financer.

Un rapide survol des grandes problématiques d’actualité s’impose afin de dessiner ce que pourrait être un mode de financement plus juste et plus cohérent avec la logique de cohésion européenne.

Présentation générale

La situation actuelle

Le budget obéit à un certain nombre de principes inscrits dans le Traité des communautés européennes (articles 268 et 271) ainsi que dans le règlement financier des communautés européennes :

 principe d’unité et de vérité budgétaire. Le budget doit être lisible et ainsi retracer l’ensemble des dépenses. Il existe certaines exceptions (dont les recettes et les dépenses sont exécutées hors budget général) : fonds européen de développement, dépenses opérationnelles dans le cadre de la Politique extérieure et de sécurité commune (PESC), fonds de garantie, fonds de recherche du charbon et de l’acier,

 principe d’universalité. Toutes les opérations doivent être retracées : il doit y avoir non contraction (les dépenses figurent pour leur montant brut) et non affectation des dépenses et des recettes (l’ensemble des dépenses est financé par l’ensemble des recettes),

 principe d’annualité qui doit permettre un meilleur contrôle (contrôle administratif par la Cour des comptes européenne, contrôle politique par le Parlement),

 principe de spécialité qui garantit que tous les crédits sont rattachés à un objet spécifique (répartition des crédits en chapitres),

 principe d’équilibre : l’emprunt et le déficit sont interdits, toutes les dépenses devant être couvertes par les ressources de l’exercice,

 principe de bonne gestion financière et de transparence : les crédits devant être utilisés en respectant les principes d’économie et d’efficience.

Le pouvoir budgétaire est réparti entre la Commission (qui présente un avant projet de budget au Conseil), le Conseil (qui adopte le projet de budget puis, après la première lecture du Parlement, arrête les dépenses obligatoires) et le Parlement européen. Ce dernier peut proposer des modifications des dépenses obligatoires et des amendements sur les dépenses non obligatoires en première lecture, avant transmission au Conseil et arrête les dépenses non obligatoires en seconde lecture, le Président du Parlement pouvant arrêter le budget et le Parlement pouvant le rejeter à la majorité des deux tiers pour des « motifs importants ». Le pouvoir du Parlement en matière de dépenses non obligatoires est limité par l’existence d’un taux maximal d’augmentation.
Par ailleurs, le Conseil statue à l’unanimité pour arrêter le cadre des ressources, lesquelles doivent financer intégralement le budget. Le Parlement européen n’est que consulté (article 269 TCE) sur ce cadre, qui doit être ratifié par les Parlements nationaux. L’exécution du budget est assurée par la Commission.

Le principe du plafonnement remonte à une décision du Conseil du 24 Juin 1988 (le plafond fixé était alors de 1,14% du Produit National Brut des Etats membres). Ce plafond a été progressivement revu à la hausse jusqu’ à atteindre 1,27% (plafond arrêté lors du sommet de Berlin en Mars 1999). Enfin, le Conseil a décidé, en 2000, de calculer ce plafond non plus sur la base du PNB mais sur le Revenu national Brut (RNB), et de fixer un pourcentage de référence pour le plafond de 1,24% du RNB des Etats membres.

Dispositions du traité constitutionnel

Le budget de l’Union européenne comporte un double impératif de « discipline budgétaire » et de « bonne gestion » (article I-53 al. 5 et 6). Le budget est alimenté « intégralement par des ressources propres » (article I-54) sur lesquelles le Conseil statue à l’unanimité. Une loi européenne fixe les dispositions applicables aux ressources propres ; « il est possible, dans ce cadre, d’établir de nouvelles ressources propres ou d’abroger une catégorie existante » mais avec l’accord du Conseil à l’unanimité après la consultation du Parlement européen d’une part, et l’approbation des Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives d’autre part (article I-54 al.3).

Des accords interinstitutionnels entre la Commission, le Conseil et le Parlement établissent un cadre budgétaire pluriannuel. Depuis 1988 des perspectives financières pluriannuelles sont ainsi fixées afin d’éviter tout « dérapage » budgétaire et ont couvert les périodes 1998-1992, 1993-1999 et 2000-2006 (agenda 2000). Le projet de traité constitutionnel prévoit que le cadre financier pluriannuel, établi par une loi européenne, ne peut être inférieur à 5 ans (principe acté à l’article I-55 et décliné dans l’article III-402).

Cette loi établit également le budget annuel de l’Union européenne (article III-404 alinéas 1 à 10) selon une procédure dans laquelle la distinction dépenses obligatoires/dépenses non obligatoires disparaît. Il est prévu que le projet de budget soit présenté par la Commission. Le Parlement examine le projet de budget en même temps que le Conseil.
En cas de désaccord, un Comité de conciliation auquel la Commission prend part est chargé de parvenir à un projet commun. Si le désaccord subsiste, plusieurs pistes sont prévues :

 un nouveau projet de budget est présenté par la Commission si aucun projet commun n’est possible, si le Parlement n’approuve pas le projet malgré son adoption par le Conseil ou si aucune des institutions ne parvient à statuer,

 il y a exécution du budget arrêté au Comité si, en cas de rejet par le Conseil, il y a dans le même temps accord du Parlement sur les amendements proposés à la majorité des 3/5ème lors de l’examen initial (si la majorité des 3/5ème n’est pas réunie, le budget est exécuté sur la base de l’accord en comité de conciliation),

 le budget est exécuté si le projet est adopté par une des deux institutions sans que l’autre ne parvienne à statuer.

Le budget est exécuté par la Commission en coopération avec les Etats membres (article III-407). La Commission soumet chaque année au parlement européen et au Conseil les comptes de l’exercice accompagné d’un bilan financier (article III-408). Le Parlement européen donne décharge à la Commission sur l’exécution du budget sur recommandation du Conseil (article III-409).

Recettes et dépenses de l’Union européenne

Avant 1971, le montant total des dépenses communautaires était financé par des contributions nationales, calculées pour chaque pays en fonction d’une clé de répartition intégrant plusieurs paramètres comme la population et le P.I.B. Par une décision du Conseil du 21 avril 1970, il a été institué un système de ressources propres lié à l’établissement de l’Union douanière, reposant sur les droits de douane et des prélèvements agricoles, destinés à protéger la politique commerciale commune. Ceux-ci n’étant pas suffisants pour couvrir toutes les dépenses, une troisième ressource permettant d’équilibrer le budget par application d’un taux de 1% sur l’assiette de la taxe T.V.A. perçue dans les Etats membres a été prévue. Ce taux de « l’assiette TVA » est passé à 0,75 % en 2002 et 2003 puis à 0,50% en 2004. Enfin, en 1994, il a été décidé d’équilibrer les ressources de la Communauté au moyen d’un prélèvement proportionnel à la richesse des Etats membres (PNB).

L’Union européenne n’a pas le pouvoir de « lever l’impôt » : elle reste tributaire de l’accord unanime des Etats dans un cadre financier financé intégralement par ces quatre ressources propres, sans emprunt possible. Suite aux différentes négociations GATT qui ont réduit les droits de douane et le niveau de protection agricole, la part des recettes douanières et des prélèvements agricoles dans les ressources budgétaires a chuté, ce qui a mécaniquement entraîné une augmentation des contributions nationales sur la base des PNB des Etats. Le budget communautaire de 2004 confirme cette donnée.

Type ressource (année 2004) En % des ressources
PNB 59,6
TVA 24,2
Prélèvements agricoles 1,9
Droits de douane 14,3
Total 100

Le budget communautaire est donc loin d’atteindre le plafond de 1,24% du RNB communautaire : il s’établissait, en termes de crédits de paiements, à 0,99% en 2004 et 1,03% en 2005. En effet, six pays contributeurs nets (dont la France, assurée de payer plus à l’avenir, et l’Allemagne) ne veulent pas dépasser le seuil de 1% dans le cadre des perspectives financières 2007-2013. La Commission souhaiterait, quant à elle, aller jusqu’à 1,15%, toujours en termes de crédits de paiement. Pour arrêter le prochain cadre pluriannuel, l’accord doit intervenir avant la fin de l’année 2005...

Les politiques communautaires doivent intégrer les données d’une Union élargie à 25. En effet, les PNB des nouveaux Etats membres représentent moins de 5% du PNB de l’Union et le PIB/habitant moyen est inférieur de 40% à la moyenne de l‘Union à 15. La cohésion sociale devenant un objectif prioritaire de l’Union européenne, il faudra financer ces solidarités, et en préparer de nouvelles si, en 2007, la Bulgarie et la Roumanie intègrent l’Union.
Les dépenses de l’Union sont essentiellement des dépenses d’intervention. En 2003, sur un budget de 99,724 milliards d’euros, les principales dépenses sont les suivantes (en % du budget) :

 dépenses de fonctionnement : 5,3 %,

 politique agricole commune : 45% (contre 90% au début des années 1980 et 60% en 1992) [1] ,

 politique de cohésion économique et sociale (dont les fonds structurels) : 34%,

 politiques internes (recherche, éducation, développement technologique) 6,7%,

 actions extérieures 4,9%,

 aides à la préadhésion : 3,4%.

Les discussions sur les perspectives 2007-2013 montrent que le seuil de 1,24% du RNB ne sera probablement pas atteint. L’Union européenne se prive ainsi de marges de manœuvres dans le financement de nouvelles solidarités issues pour une large part de l’élargissement. Un certain nombre de pays de l’Union des « 15 » comme la France ont une attitude pour le moins paradoxale : en souhaitant, dans le même temps, limiter le budget à 1% du RNB tout en disant combattre le risque de délocalisations dans les pays entrants, on affiche deux volontés contradictoires. Le budget de l’Union européenne, tant sur les dépenses qu’il prend en charge que sur ses modalités de financement, représente bien un enjeu majeur pour l’avenir de l’Union européenne.

Vers un ( des) impôt(s) européen(s) ?

La particularité de l’Union européenne est de pouvoir disposer de ressources dites propres... provenant essentiellement des impôts nationaux ! Certes, ces ressources ne sont pas véritablement dépendantes du bon vouloir des Etats. Il y a en effet un véritable engagement des Etats membres de mettre à disposition ces ressources provenant des budgets nationaux. Mais un impôt européen ne serait-il, au fond, pas plus adapté et cohérent avec la logique communautaire ?

Le Conseil statuant à l’unanimité sur la question des ressources propres, il paraît, en réalité, peu envisageable qu’un impôt européen voit le jour durant la période 2007-2013. Les partisans d’un impôt européen ont beau faire valoir qu’une mise en place d’un tel instrument pourrait s’effectuer à pression fiscale constante [2] , il faut plutôt chercher du côté de l’affichage (un impôt en plus ?) et surtout du symbole politique (vers un transfert de souveraineté ?) que constitue le pouvoir de lever l’impôt les raisons des échecs des propositions antérieures (notamment en 1994 et en 2001) de créer un tel impôt. Néanmoins, certains avancent que des prélèvements comme une écotaxe (sur les émissions de CO2), une part de TVA voire un impôt sur les sociétés optant pour le statut de la société européenne, pourraient être envisagés à moyen terme. On en est loin actuellement, même s’il faut dès à présent réaffirmer qu’une réflexion doit s’engager sur des bases claires : un tel impôt doit favoriser l’identification et la responsabilisation de l’échelon européen il faut donc privilégier les impôts directs) et, outre la nécessité de financer des politiques publiques européennes, il doit tenir compte d’objectifs en termes de redistribution (impôt progressif), de correction des inégalités (impôt sur le patrimoine ou sur les bénéfices des sociétés) ou de modifications de certains comportements (éco taxe, taxe sur les mouvements spéculatifs).

Vincent Drezet

Vincent Drezet est au Comité Scientifique d’ATTAC

Notes

[1La politique agricole est, par exemple, un enjeu majeur pour la nouvelle Union. La part de l’emploi agricole rapportée à l’emploi total et la part de la production agricole rapportée au PIB représentaient respectivement ; 21% chez les entrants contre 5 % dans l’Union des « 15 » et 7% chez les entrants contre 1,5% dans les « 15 ». La réforme de la PAC du 26 Juin 2003 comporte ainsi pour objectif une stabilisation des dépenses dans un cadre de discipline budgétaire réaffirmée.

[2Selon eux, les nouvelles ressources générées par un tel impôt s’accompagneraient alors d’une baisse corrélative de la ressource PNB qui pèse sur les budgets des Etats membres, et donc des pressions fiscales nationales.