Commentaire Gourguechon : Les finances de l’Union Européenne

, par Gérard Gourguechon

LES FINANCES DE L’UNION EUROPEENNE.

C’est le Titre VII de la Partie I du Projet de Traité constitutionnel qui fixe les règles et principes qui doivent régir les finances de l’Union. Et le chapitre II du Titre VI de la Partie III explicite les dispositions financières qui président au fonctionnement de l’Union. Tout ceci est, pour l’essentiel, la reprise des textes et des pratiques déjà retenus et mis en application par l’Union Européenne depuis longtemps dans ces domaines..

PRINCIPES BUDGETAIRES ET FINANCIERS.

Le traité constitutionnel édicte, comme c’est normal, un certain nombre de principes qui président au fonctionnement financier de l’Union Européenne :

 existence d’un budget prévisionnel visant tout à la fois les recettes et les dépenses de l’Union ;

 autorisation des dépenses inscrites au budget pour la durée de l’exercice budgétaire annuel.
Mais il contient aussi certaines dispositions qui ne peuvent que contraindre et limiter durablement (aussi longtemps que durera ce présent traité si il était adopté) les possibilités financières de l’Union. Ainsi l’article I-53-2 fixe que "le budget doit être équilibré en recettes et en dépenses". L’Union n’étant toujours pas autorisée par ce traité à recourir à l’emprunt pour couvrir certaines dépenses, il est bien clair que de telles dispositions vont conduire à enserrer constamment l’Union Européenne. Certaines dépenses d’intervention, et particulièrement celles qui représentent des investissements sur l’avenir (recherche, éducation, formation professionnelle, par exemple) ne pourront jamais être augmentées par un recours à l’emprunt. Cette réalité vient dégonfler le discours des partisans du traité qui claironnent que son adoption ouvrira de nouvelles possibilités d’intervention pour l’Union Européenne. Des dépenses nouvelles ne pourront toujours être engagées que dans la mesure où elles pourront être financées par les ressources propres de l’Union.

Le budget est annuel, mais il doit respecter un cadre financier pluriannuel d’au moins cinq années. Ce cadre financier pluriannuel est fixé par une "loi européenne" prise par le Conseil, qui statue alors à l’unanimité, après approbation du Parlement européen qui, lui, doit se prononcer à la majorité. Le budget annuel de l’Union est également fixé par une "loi européenne" prise par le Conseil à l’unanimité, après approbation par le Parlement européen qui peut, à la majorité de ses membres, adopter des amendements.
L’article III-404 précise les pouvoirs respectifs du Conseil, du Parlement et de la Commission en matière budgétaire. Il donne, dans certaines conditions, la possibilité au Parlement européen de faire admettre des amendements au projet de budget présenté par la Commission.

LE BUDGET DE L’UNION EUROPEENNE.

Le financement que retient l’Union détermine le niveau d’ambition des politiques communes que l’Union veut mettre en œuvre. C’est à travers ses budgets annuels que l’Union Européenne peut définir ses priorités et ses projets. Elle décide ainsi du degré de solidarité qu’elle veut manifester à l’égard de ses membres d’une part, et à l’égard du reste du monde d’autre part. Quand on sait que le budget européen (100 milliards d’euros) ne représente environ que 1% du revenu national brut de l’Union Européenne on mesure mieux les limites des redistributions qui peuvent être opérées entre les Etats membres de l’Union comme les limites des possibilités d’intervention de l’Union, à l’interne comme à l’externe. Le projet de traité constitutionnel ne contient aucune disposition décidant d’une limitation a priori des dépenses de l’Union. Le principe d’un plafonnement de ces dépenses a été retenu par une décision du Conseil du 24 juin 1988.Ce plafond a été plusieurs fois revu à la hausse pour être fixé à 1,27 % du Produit National Brut (PNB) de l’ensemble des Etats membres en mars 1999.Depuis 2000 l’idée de "plafond" est régulièrement rappelée par le Conseil ; désormais ce plafond est fixé à 1,24 % du Revenu National Brut des Etats membres. De fait ce plafond n’est même pas atteint de par la volonté de certains Etats membres de limiter leur participation financière au budget communautaire.

Les dépenses de l’Union européenne.

 Dépenses de fonctionnement : les dépenses de fonctionnement de l’Union Européenne pèsent très peu dans le budget de l’Union (5,3 % en 2003) à la différence de ce qui se passe pour chaque Etat membre où les dépenses de fonctionnement représentent en général une part importante du budget national (environ 45 % en France, par exemple).Il s’agit des salaires (30.OOO emplois en 2003) et des retraites des fonctionnaires européens et des dépenses liées aux immeubles et au matériel.

 Dépenses d’intervention : les dépenses d’intervention, c’est à dire celles liées à des actions et à des politiques de l’Union, représentent près de 95 % du budget de l’Union.
* La politique agricole commune (PAC) est la première dépense d’intervention de l’Union européenne (près de 45 % de son budget, soit environ 45 milliards d’euros).
* La politique de cohésion économique et sociale intervient pour 40 % dans les dépenses budgétaires de l’Union. Cette attribution de l’UE devient un de ses objectifs majeurs ; il s’agit officiellement de permettre de réduire les inégalités de richesse entre les régions et de favoriser leur développement. Elle se traduit par des actions structurelles financées par des fonds dits "structurels".
* Les autres politiques internes à l’Union Européenne (recherche, éducation, formation professionnelle, etc) représentent près de 7 % des dépenses de l’Union.
* Les actions extérieures à l’Union Européenne, c’est à dire l’ensemble des actions de l’Union Européenne en direction des pays du reste du monde, représentent près de 5 milliards d’euros (en 2003).
Ces chiffres éclairent autrement le discours de tous ceux qui inscrivent le traité constitutionnel dans la continuité des politiques actuellement menées par l’Union Européenne et qu’ils partagent. L’aversion des libéraux à l’égard de toutes les "charges" publiques nationales (impôts et cotisations sociales) se retrouve naturellement au niveau européen. L’extrême modestie du budget de l’Union Européenne traduit le refus des gouvernements des Etats membres de faire jouer à l’Union un rôle d’impulsion économique, sociale, culturelle et environnementale, à l’identique de ce que fait chaque gouvernement au plan national. Le budget de l’Union n’est pas un outil de solidarité dans ses dépenses ; il ne l’est pas non plus dans ses recettes.

Les ressources de l’Union européenne.

C’est une loi européenne du Conseil qui fixe les dispositions applicables au système de ressources propres de l’Union. Dans ce cadre, il est possible d’établir de nouvelles catégories de ressources propres ou d’abroger une catégorie existante. Dans ces domaines le Conseil statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen.
L’Union européenne dispose de plusieurs types de ressources. Elle ne prélève elle-même aucun impôt et ce sont les Etats membres qui mettent automatiquement des ressources à sa disposition en prélevant sur leurs propres recettes fiscales nationales.

 Droits de douane. Il s’agit des droits de douane perçus sur les importations en provenance des pays tiers et entrant dans l’Union européenne ; ces droits de douane sont établis en application du tarif douanier commun en vigueur aux frontières extérieures de l’Union. Il n’y a, bien entendu, plus du tout de droits de douane entre les pays membres (c’était la première étape de la construction du "marché commun"). L’objectif premier du Traité de Rome du 25 mars 1957 créant la Communauté Economique Européenne (CEE) entre six pays était la mise en place d’un marché commun. Dès le 1 juillet 1968 les droits de douane étaient totalement supprimés entre ces six Etats, mais un tarif douanier commun était mis en place aux frontières extérieures de la CEE.Alors ces droits de douane intervenaient pour beaucoup dans les ressources communes. Depuis, les nombreux accords de réduction ou de suppression des droits de douane entre de très nombreux pays (application de l’idéologie libérale de liberté totale de circulation des marchandises et des services, puis des capitaux, et de non protection des marchés intérieurs) ont entraîné une diminution importante de cette ressource (14,3 % des ressources propres de l’UE en 2003).

 Prélèvements agricoles. Il s’agit des prélèvements opérés sur les importations dans l’Union Européenne de produits agricoles couverts par la politique agricole commune. Ces taxes doivent compenser la différence entre les cours mondiaux de ces produits agricoles et leurs prix plus élevés dans l’Union Européenne. Cette ressource est très marginale (1,9 % des ressources en 2003).

 Ressource TVA.Il s’agit d’une contribution des Etats membres correspondant au montant d’une TVA perçue au taux de 1 % sur la TVA qu’ils perçoivent. Ce taux est passé à 0,5 % en 2004.Depuis 1999 l’assiette de la TVA prise en compte pour chaque Etat a été plafonnée à 50 % de son PNB (ceci représente 24 % des ressources propres de l’Union en 2003).

 Ressources PNB.Il s’agit d’un prélèvement calculé sur le PNB de chaque Etat membre et dont le pourcentage est fixé annuellement par le budget de l’Union. Cette ressource est dite complémentaire, en ce sens qu’elle n’est perçue que si les autres ressources propres sont insuffisantes pour couvrir les dépenses. Comme c’est de plus en plus le cas cette ressource est en augmentation rapide (plus de 59 % des ressources propres en 2003).

Défense des intérêts financiers de l’Union.

Le traité constitutionnel stipule que l’Union et les Etats membres combattent la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.
L’article III-415 précise que pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union les Etats membres doivent prendre les mêmes mesures que celles qu’ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers.
Les Etats membres sont invités à coordonner leur action visant à protéger les intérêts financiers de l’Union contre la fraude.A cette fin, en liens avec la Commission, ils organisent une collaboration étroite et régulière entre les autorités compétentes. Il est également stipulé dans cet article III-415 que la loi européenne doit établir les mesures nécessaires dans les domaines de la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et aussi de la lutte contre cette fraude elle-même.
Ces dispositions sont la reprise de celles déjà existantes, et qui ont donné peu de résultats. La détermination des Etats membres à se coordonner pour lutter contre la fraude fiscale reste très faible, que ce soit la fraude fiscale mettant en cause directement les intérêts financiers de l’Union ou la fraude fiscale mettant en cause les intérêts financiers des Etats membres ou de tel ou tel Etat membre. L’article IV-440-6-a précise que "le présent traité ne s’applique aux îles anglo-normandes et à l’île de Man que dans la mesure nécessaire pour assurer l’application du régime prévu pour ces îles...". Les paradis fiscaux aux portes de l’Union européenne sont donc confortés, et dans le même temps les Etats membres qui garantissent le secret bancaire (Autriche, Belgique et Luxembourg ) comme ceux qui sont d’ores et déjà classés dans les paradis fiscaux (Luxembourg, et la Grèce pour les pavillons de complaisance) sont renforcés notamment par l’arrivée de Chypre et de Malte. Plus largement, il faut souligner que la concurrence fiscale est retenue comme un élément "parmi d’autres" de la concurrence entre les territoires en ce sens qu’elle ne peut être que salutaire pour le marché et, dans l’optique de l’idéologie libérale, qu’elle oblige les Etats à être vertueux, à "faire des économies" pour réduire les "prélèvements obligatoires" qui "pèsent" sur les entreprises et "nuisent" à l’emploi. L’harmonisation fiscale n’est envisagée (III-171) que pour les impositions indirectes (TVA et accises établies sur les alcools par exemple) ; elle n’est pas du tout prévue en matière d’impôts directs (impôt sur le revenu des personnes et impôt sur les sociétés).Cette non harmonisation "de droit" sur ces impôts conduit à une harmonisation "de fait" par le jeu de la concurrence fiscale entre les Etats membres qui veulent rendre leur territoire "attractif" aux capitaux : réduction constante et régulière de l’imposition des sociétés et des revenus les plus élevés.

DEBATS EN COURS SUR LES QUESTIONS BUDGETAIRES.

Plusieurs débats sont engagés depuis quelques années entre les quinze Etats membres sur les questions budgétaires de l’Union. L’élargissement à 10 nouveaux Etats le 1 mai 2004 renforce la nécessité d’y trouver des réponses.
Ces questions ne sont pas directement liées à la partie financière du Traité constitutionnel mais les politiques économiques libérales qui sont désormais cadrées dans la Partie III du Traité auront forcément des incidences financières sur le budget de l’Union Européenne.

 Question du volume du budget européen, et question de l’allocation des dépenses.
Le niveau actuel du budget européen est très faible (1 % du revenu national brut de l’Union Européenne).Il est certain qu’un tel budget limite fortement les possibilités d’interventions communes. Le discours libéral dominant actuel est de maintenir le budget à ce niveau, et ceci malgré le récent élargissement de l’Union Européenne à dix nouveaux Etats qui devrait poser un défi de solidarité. L’élargissement aux dix nouveaux Etats le 1° mai 2004 est de peu d’effets sur le niveau des ressources de l’Union européenne, par contre il va effectivement mettre en avant de nouveaux besoins. En effet le PNB de ces Etats représente moins de 5 % du PNB des quinze Etats membres ; par contre le PIB moyen par habitant de ces dix nouveaux membres est inférieur de 40 % à ,la moyenne "des quinze". D’ores et déjà préside l’idée que l’extension de la politique agricole comme l’extension de la politique régionale aux nouveaux Etats membres se feront à budgets constants. C’est dire que la solidarité à l’égard de ces nouveaux membres va être particulièrement limitée et que les moyens financiers disponibles pour les ressortissants des quinze anciens membres seront eux réduits. Il y a même le risque que la faiblesse du budget communautaire interdise des politiques communes européennes, lesquelles seraient alors, "au mieux", reprises directement par les Etats en lieu et place de l’Union.

 Question de l’équité du partage de la charge financière entre les pays "riches".
Il est évident qu’une mise en commun de moyens financiers pour mener des politiques communes conduit à ce que, par ce canal, certains "versent" plus qu’ils ne "reçoivent", et que d’autres vont recevoir plus qu’ils n’ont versé. C’est toute la raison d’une mise en commun : créer de nouvelles solidarités.
Il est manifeste que l’idéologie libérale conjugue assez mal cette idée : de plus en plus d’Etats membres comparent le montant de leur contribution au montant de ce qu’ils reçoivent ; certains sont "bénéficiaires nets", d’autres sont "contributeurs nets".
Depuis 1984 le Royaume-Uni a obtenu la possibilité de réduire sa contribution, ce qui a dû être payé par les autres. L’Allemagne a alors obtenu une ristourne sur le financement de sa quote-part du chèque britannique. Et en 1999 c’est, en plus de la part de l’Allemagne, celles des Pays-Bas, de la Suède et de l’Autriche dans le financement de la part non payée par la Grande-Bretagne qui a été diminuée.
Tout ceci illustre que l’idée de solidarité est en grand recul dans la plupart des Etats membres de l’Union Européenne.

 Question de la solidarité et de l’équité.
A l’inverse, certains prônent une plus grande solidarité intra européenne ; pour la rendre possible ils préconisent assez souvent un impôt européen qui pourrait stabiliser et garantir les ressources européennes. Cette proposition est souvent associée à celle de "biens publics européens". La mise en place d’un impôt européen pourrait conduire à ajouter une fiscalité nouvelle à des fiscalités nationales déjà existantes. Elle pourrait aussi être accompagnée d’une baisse corrélative identique des fiscalités nationales, lesquelles n’auraient plus à financer cette part prise en charge directement par ce nouvel impôt européen. Elle serait certainement un signal politique important témoignant d’un renforcement politique du niveau européen. L’unanimité exigée par le projet de traité constitutionnel en matière de ressources propres de l’Union rend très improbable la mise en place d’un tel impôt européen dans le contexte idéologique dominant. Tout ceci n’interdit pas d’avoir le débat sur les solidarités qu’il conviendrait de prendre en charge collectivement au niveau de l’Union européenne et sur la nature de l’impôt ou des impôts à mettre en place pour leur financement. Une Europe, non pas libérale mais solidaire, est possible.

Gérard Gourguechon

Gérard Gourguechon est vice président du Conseil Scientifique d’ATTAC