Argumentaire Lecourieux : Constitution européenne : l’unanimité bloque les politiques qui pourraient équilibrer le marché

, par Alain Lecourieux

La Constitution européenne interdit toute alternative politique véritable au libéralisme

Nota : on pourra consulter la partie A dans un autre document : Argumentaire Lecourieux : Le libéralisme « constitutionnalisé »

B - L’unanimité bloque les politiques qui pourraient équilibrer le marché

Fiche argumentaire
Version provisoire - 8 janvier 2005

Si la Constitution européenne entre en vigueur, les citoyens n’auront plus le choix entre des options politiques véritablement différentes. En effet la Constitution européenne interdit toute alternative politique véritable au libéralisme en :
A - fixant des politiques libérales ;
B - bloquant, par le vote à l’unanimité, les politiques qui pourraient équilibrer le marché ;
C - organisant la concurrence entre les Etats membres notamment par l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres.

Dans cette fiche (B) nous identifions les domaines qui, dans la Constitution, requièrent le vote à l’unanimité du Conseil des ministres.

Le point A a fait l’objet d’une fiche argumentaire le 3 janvier 2005. Le point C fera l’objet d’une autre fiche argumentaire.

I. Pouvoir du Conseil des ministres

Nous appelons le Conseil des ministres « le Conseil » comme le fait la Constitution.

« Le Conseil exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législatives et budgétaires [...] Il exerce aussi des fonctions de définition des politiques et de coordination [...] Le Conseil statue à la majorité qualifiée, sauf dans les cas où la Constitution en dispose autrement. » (I-23)

Cet exercice conjoint du Conseil et du Parlement est appelé codécision. Le champ de la codécision est étendu à trente-cinq nouveaux domaines, mais le Conseil légifère seul dans vingt et un domaines (lois et lois-cadres européennes, règlements et décisions). C’est notamment le cas pour :

 les mesures contre les discriminations ;

 l’extension des droits de la citoyenneté ;

 la réduction de la liberté de circulation des capitaux ;

 l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires des entreprises ;

 l’impôt sur les sociétés ;

 les mesures sur le marché intérieur ;

 la sécurité sociale et la protection sociale ;

 l’environnement ;

 l’interdiction des découverts des institutions publiques ;

 la politique étrangère ;

 la politique de défense.

Nous sommes donc encore loin d’une démocratie parlementaire !

Le Conseil détient la haute main sur le budget de l’Union. Il décide seul des recettes. Les dépenses font l’objet d’une codécision avec le Parlement européen.

II. Vote au Conseil des ministres

Le Conseil décide selon trois modes : majorité simple, majorité qualifiée et unanimité. La majorité simple concerne des domaines secondaires et très limités en nombre que nous ne commenterons pas ici.

« La majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55% des membres du Conseil comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant des Etats membres réunissant au moins 65% de la population de l’Union. Une minorité de blocage doit inclure au moins quatre membres du Conseil, faute de quoi la majorité qualifiée est réputée acquise. » (I-25) La majorité qualifiée est portée à 72% des membres du Conseil lorsque le Conseil ne statue pas sur proposition de la Commission ou du ministre des affaires étrangères de l’Union (I-25).

Cette nouvelle définition de la majorité qualifiée n’entre en vigueur que le 1er novembre 2009. Entre la date d’entrée en vigueur de la Constitution et le 1er novembre 2009 la triple majorité du traité de Nice s’applique : 71% des voix au Conseil, majorité des Etats et au moins 62% de la population de l’Union.

Les traités actuels permettent au Conseil de statuer à la majorité qualifiée dans une centaine de domaines. La Constitution étend cette possibilité à vingt-sept nouveaux domaines. L’unanimité reste la règle dans cinquante-sept domaines. Il est à noter que :

 l’abstention de membre présent ou représenté ne fait pas obstacle à l’adoption des délibérations du Conseil qui requièrent l’unanimité (III-343-3) ;

 des « clauses passerelles » existent dans quatre domaines (politique étrangères et de sécurité commune, politique sociale, environnement et droit de la famille) qui permettent au Conseil de voter à l’unanimité le passage à la majorité qualifiée.

III. Les domaines où le Conseil statue à l’unanimité

Les domaines qui requièrent un vote à l’unanimité du Conseil sont regroupés ci-dessous en neuf catégories.

- 1. Les domaines où l’unanimité limite les capacités financières de l’Union

Les ressources financières propres de l’Union (I-54-3).

Le cadre financier pluriannuel des dépenses de l’Union (I-55-2).

Premier cadre financier pluriannuel (III-412-3).

- 2. Les domaines où l’unanimité limite le progrès « sociétal »

Les mesures pour combattre la discrimination (III-124-1).

La libre circulation des personnes (passeports, cartes d’identité, titres de séjour, sécurité sociale et protection sociale des non ressortissants, etc.) (III-125-2).

L’extension des droits de citoyenneté de l’Union (III-129).

- 3. Les domaines où l’unanimité organise la concurrence fiscale entre les Etats membres
La limitation de la liberté de circulation des capitaux à destination ou en provenance des pays tiers (extérieurs à l’Union) (III-157-3).

Les aides des Etats membres compatibles avec le marché intérieur (III-168-2).

L’harmonisation fiscale : taxes sur le chiffre d’affaires, droits d’accises et autres impôts indirects (III-171).

L’harmonisation législative, réglementaire et administrative des Etats membres qui a une incidence sur le marché intérieur (III-173).

Le protocole sur les déficits excessifs (III-184-13).

- 4. Les domaines où l’unanimité conduit à la concurrence sociale entre les Etats membres et au dumping social

La sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs ; la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail ; la représentation et la défense collective des travailleurs et des employeurs ; les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l’Union III-210-3). Sur ces points, sauf le premier (sécurité et protection sociales) et sur proposition de la Commission, une décision unanime du Conseil permet de passer à la majorité qualifiée (clause passerelle) (III-210-3).

La mise en œuvre des accords entre partenaires sociaux dans les domaines qui requièrent l’unanimité (III-212-2).

Le fonds structurel et de cohésion (majorité qualifiée seulement à partir de 2007) (III-223-2).

- 5. Les domaines où l’unanimité conduit à la concurrence environnementale entre les Etats membres

L’environnement pour ce qui est des mesures affectant la fiscalité, l’aménagement du territoire, les ressources hydriques et l’affectation des sols (III-234-2). Une clause passerelle permet au Conseil de décider à l’unanimité de passer au vote à la majorité qualifiée (III-234-2).

- 6. Les domaines où l’unanimité peut nous éviter des déboires mais son champ d’application a été réduit

La négociation et la conclusion d’un accord international dans les domaines du commerce de services, des aspects commerciaux de la propriété intellectuelle et des investissements étrangers directs [...] lorsque cet accord comprend des dispositions pour lesquelles l’unanimité est requise pour l’adoption de règles internes (III-315-4). C’est une protection très modeste. Ils faut noter que les investissements étrangers directs font leur apparition dans la politique commerciale extérieure alors qu’ils sont absents du traité actuellement en vigueur.

La négociation et la conclusion d’accords internationaux (III-315-4) :

 dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels, lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union ;

 dans le domaine du commerce des services sociaux, d’éducation et de santé, lorsque ces accords risquent de perturber gravement l’organisation de ces services [...]

A noter toutefois que dans le traité actuellement en vigueur :

 « l’accord commun des Etats membres », sorte d’unanimité, est requis, sans restrictions ni conditions, pour l’ensemble des secteurs culturels et audiovisuels ainsi que pour les services sociaux, d’éducation et de santé ; l’unanimité est soumise à restrictions et conditions dans la Constitution (voir ci-dessus) ;

 ces secteurs « relèvent de la compétence partagée entre la Communauté et ses Etats membres » ; ils relèvent dans la Constitution de la compétence exclusive de l’Union ;

 une clause requiert l’unanimité pour la négociation et la conclusion d’un accord international horizontal (accord trans-sectoriel) ; cette clause a été supprimée dans la Constitution.

- 7. Les domaines institutionnels, régaliens et autres où l’unanimité signifie la paralysie de l’Union

La clause de flexibilité qui permet de légiférer dans des domaines non prévus par la Constitution (I-18).

La composition du Parlement européen qui fixe le nombre de députés par Etats membres (I-20-2).

Le système de rotation égale entre les Etats membres qui permet la sélection des commissaires (I-26-6).

L’adhésion à l’Union (I-58-2).

Le droit de vote ou l’éligibilité aux élections municipales et aux élections au Parlement européen des résidants non ressortissants (III-126).

Le régime linguistique des titres de propriété intellectuelle (III-176).

Les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontalière (III-269-3). Une clause passerelle permet au Conseil par une décision unanime de passer à la majorité qualifiée (III-269-3).

L’institution d’un parquet européen dans le cadre de la coopération judiciaire en matière pénale portant sur les infractions aux intérêts financiers de l’Union (III-274-1).

L’extension des compétences du parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière (III-274-4).

La coopération entre les services de police et de douane (III-275-3).

L’intervention des autorités d’un Etat membre sur le territoire d’un autre Etat membre (III-277).

L’association des pays et territoires d’outre-mer (III-291).

Les intérêts et objectifs stratégiques de l’Union en politique étrangère et de sécurité commune (III-293-1).

Le régime ordinaire de la politique étrangère et de sécurité commune (I-40-6 et III-300-1) avec une clause passerelle qui permet au Conseil par un vote à l’unanimité de passer au vote à la majorité qualifiée (III-300-3).

Le régime ordinaire de la politique étrangère et de défense commune (I-41-4 et III-312-6).

Les accords de coopération financière ou d’association avec des pays tiers (III-325-8).

Les accords portant sur un taux de change pour l’euro vis-à-vis des monnaies d’Etats tiers (III-326-1).

Procédure uniforme d’élection au Parlement européen (III-330).

- 8. Le verrouillage d’ensemble

Procédure de révision ordinaire de la Constitution (IV-443-3).

Procédure de révision simplifiée de la Constitution : passage de l’unanimité à la majorité qualifiée dans un domaine (IV-444-3) et révision des politiques et actions internes de l’Union (IV-445-2).

- 9. La possibilité de s’en sortir en votant « non »

Ratification de la Constitution (IV-447-2).

Alain Lecourieux