Les droits de propriété intellectuelle dans le cadre de l’OMC (commerce)

, par Alain Lecourieux

Les droits de propriété intellectuelle dans le cadre de l’OMC :
L’Accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)

Dans une précédente note figurent les étapes principales de la constitution du droit de la propriété intellectuelle depuis la deuxième partie du XIXe siècle. Cette période s’achève entre 1975 et 1985 par un conflit entre pays du nord et ceux du sud sur les clauses restrictives qui sont autant d’instruments de domination du nord sur le sud.

Alors, à la fin de l’Uruguay round, se produit une véritable révolution avec la signature de l’ADPIC le 15 avril 1994. Ce traité modifie totalement le commerce de la propriété intellectuelle et constitue une victoire sans partage des pays du nord.

Cette note a pour but de décrire succinctement l’ADPIC et d’aborder la déclaration et Doha (novembre 2001) relative à l’ADPIC.

Le traité

L’ADPIC établit pour la première fois une réglementation à vocation universelle. Il couvre tous les domaines de la création intellectuelle : copyright, marques, indications géographiques, inventions et brevets, dessins et modèles, schémas de circuits intégrés, information confidentielle. En trente-deux pages et soixante-treize articles, il définit les règles - présentées comme minimales - que doivent appliquer les Etats pour assurer l’existence, la portée, l’acquisition, l’application, l’évolution des droits et pour prévenir et régler les différends entre Etats. Le curseur est mis délibérément du côté de la défense de la propriété même si l’article 7 mentionne encore la promotion du transfert de technologies.

Dans une première partie on trouve les dispositions générales et les deux principes fondamentaux de l’OMC :

 le traitement national : chaque membre de l’OMC accorde aux ressortissants des autres membres des droits non moins favorables à ceux qu’il accorde à ses propres ressortissants ;
 le nation la plus favorisée : toutes les faveurs, privilèges ou immunités accordés à un ressortissant d’un membre doivent être accordés immédiatement et inconditionnellement à tout autre ressortissant d’un autre membre.

La deuxième partie établit un régime commun applicable à tous les droits figurant dans l’ADPIC dans chacun des sept domaines couverts par le traité : copyright, marques, indications géographiques, dessins, brevets, circuits intégrés, information confidentielle. Les droits s’appliquent aussi bien aux produits qu’aux services. La durée de protection est fixée, par exemple, à dix ans pour les dessins, à quinze ans pour les circuits intégrés, à vingt ans pour les brevets.
Ce régime commun des droits de propriété intellectuelle ne reconnaît que deux limites :

 l’article 27 relatif aux brevets évoque une limitation pour protéger l’ordre public, la santé et l’environnement ;
 l’article 40 qui couvre l’ensemble des domaines autorise les Etats à limiter les droits de propriété qui entravent la concurrence.

Ce régime commun ne tient aucun compte dans ses limitations des clauses restrictives que les multinationales incluent dans les accords de transfert de technologies comme les achats liés, le choix des modes de production, la propriété des perfectionnements, les limitations de l’exportation.

La troisième partie est d’une extrême nouveauté puisqu’elle établit les dispositions qui doivent figurer dans la loi des Etats membres pour assurer l’existence, la portée, l’acquisition, l’application, l’évolution des droits de propriété intellectuelle et pour prévenir les délits. Cette troisième partie constitue un socle législatif important qui - bien qu’il ne s’agisse que d’un socle - met fin au principe retenu jusqu’en 1994 de territorialité des droits de la propriété intellectuelle. Ce socle législatif couvre les procédures, les preuves, les injonctions, les dommages et remèdes, les indemnisations, les mesures conservatoires, les mesures aux frontières, les procédures criminelles.

Le reste de l’ADPIC traite principalement de la résolution des conflits entre Etats (recours à l’Organe de règlements des différends de l’OMC - ORD) et de mesures transitoires pour les pays en voie de développement et les pays les moins avancés (PMA).

La déclaration de Doha du 14 novembre 2001 relative à l’ADPIC et à la santé publique

L’ADPIC et ses conséquences ont été l’un des enjeux majeurs de la quatrième conférence ministérielle de l’OMC de Doha (Qatar) entre les 9 et 14 novembre 2001. L’ADPIC a donc fait l’objet d’une déclaration spécifique à l’issue de cette conférence.

Cette déclaration reconnaît la gravité des problèmes de santé publique des pays les moins développés et notamment ceux qui résultent des épidémies comme le SIDA, la tuberculose et la malaria.

Elle reconnaît a contrario que la protection des droits de propriété intellectuelle est importante pour le développement de nouveaux médicaments.

Elle indique que l’ADPIC ne doit pas empêcher les Etats membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique et pour promouvoir l’accès de tous aux médicaments.

Chaque Etat membre a le droit d’accorder des licences obligatoires et a la liberté de déterminer les raisons qui motivent une telle décision.

Chaque membre a le droit de déterminer ce qui constitue un cas national d’urgence sanitaire. Ceci inclut le SIDA, la tuberculose, la malaria et autres épidémies.
La déclaration reconnaît que les Etats membres de l’OMC qui n’ont pas (ou peu) de capacités industrielles dans le secteur pharmaceutique peuvent éprouver des difficultés à utiliser de façon effective les licences obligatoires. La déclaration donne instruction au Conseil de l’ADPIC de l’OMC de trouver une solution à ce problème avant la fin de 2002.

Commentaire et derniers développements

La conférence ministérielle de Doha a été sans aucune équivoque marquée par le succès des thèses néo-libérales. La seule brèche a été cette déclaration :

 qui ouvrait, en cas d’urgence sanitaire, la possibilité de fabriquer des médicaments génériques via les licences obligatoires dans les pays qui disposent d’une capacité industrielle dans le secteur pharmaceutique ;
 qui promettait une solution, avant la fin 2002, pour les pays qui ne disposent pas de cette capacité.
Depuis novembre 2001 les multinationales pharmaceutiques américaines ont fait pression avec succès sur le gouvernement des Etats-Unis pour qu’il revienne sur les termes de cette déclaration.

M. Supachai Panitchpakdi, directeur général de l’OMC, constate l’impasse en ces termes le 20 décembre 2002 : " Je suis déçu par l’échec des gouvernements des Etats membres de l’OMC. Ils ne sont pas parvenus à un accord dans les négociations sur un traitement spécial et différencié pour les pays en voie de développement et pour l’accès aux médicaments dans les pays pauvres qui n’ont pas de capacité industrielle de fabrication des médicaments essentiels. "

Nous en sommes donc là à la veille de la conférence de Cancun.

Alain Lecourieux 13 août 2003