Commentaire Lecourieux : Résumé et commentaires préliminaires sur le « traité établissant une Constitution pour l’Europe »

, par Alain Lecourieux

Résumé et commentaires préliminaires à propos de la décision
du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004
sur le « traité établissant une Constitution pour l’Europe »

I. Autorité du traité constitutionnel

Le traité constitutionnel est considéré comme un traité et non pas comme une Constitution. La portée de la primauté du droit de l’Union européenne sur celui des Etats membres est considérée comme inchangée. Ces deux points ne requièrent donc aucune modification de la Constitution française.

Le traité constitutionnel est considéré comme un traité constitutionnel et non pas comme une Constitution. La Constitution française continue de se placer au sommet de l’ordre juridique interne.
L’article I-6 du traité constitutionnel qui affirme (pour la première fois dans un traité) la primauté du droit de l’Union sur celui des Etats membres ne modifie pas la portée de cette primauté par rapport à ce qu’elle était antérieurement.
Le Conseil constitutionnel atteste la dimension confédérale de l’Union (sic !) et relèvent que ce sont les Etats membres qui continuent à prendre les décisions fondatrices de l’Union (compétences, règles de fonctionnement, définition des moyens financiers, adhésions).
Concrètement seules les dispositions expresses (si elle sont spécifiques) de la Constitution française sont opposables à la transposition d’une loi-cadre européenne ; les autres règles constitutionnelles françaises doivent céder le pas.
Le Conseil constitutionnel motive essentiellement son avis (portée inchangée du droit communautaire) par le fait que la nature de l’Union européenne n’est pas changée ce que résume l’article I-5 du traité constitutionnel. Le Conseil conclut par ces termes : « La primauté du droit de l’Union reste inopposable, dans l’ordre juridique interne, aux dispositions de la Constitution française inhérentes à ces structures fondamentales ». Tout dépend donc de l’interprétation qui sera donnée à ce terme ou à celui de « dispositions expresses et spécifiques ». Tout dépend aussi de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) dite Cour de Luxembourg.

II. La Charte des droits fondamentaux de l’Union

La portée de la Charte des droits fondamentaux de l’Union est jugée à ce point limitée qu’elle n’impose aucune révision de la Constitution française.

La Charte s’adresse aux Etats membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union et uniquement dans ce cas. Il convient d’indiquer que la CJCE a toujours eu une interprétation large du terme « mettre en œuvre le droit communautaire ». Les droits donnés par la Charte doivent être interprétés en harmonie avec les traditions nationales.
La laïcité (« La France est une République laïque » - article 1 de la Constitution française) qui pourrait être mise à mal par l’article II-70 (droit illimité de manifester sa religion) du traité constitutionnel est considérée comme protégée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales comme l’indique l’article II-112 du traité constitutionnel.
La Charte reste sans incidence sur les compétences de l’Union (II-111). La Charte comprend surtout des principes constituant des objectifs (droit de travailler et non pas droit au travail, etc.). Ces objectifs ne peuvent être invoqués que contre des actes de portée générale assurant ou contrariant leur mise en œuvre (II-112-5).

Dans le cadre de ces limites importantes la Charte des droits fondamentaux ajoute aux droits et principes reconnus par la Constitution française (lire les articles II-68, 75, 78, 84, 85, 93, 98, 101, 107, 110).

Les limites importantes - déjà largement commentées - de la Charte des droits fondamentaux à la fois sur les droits et le champ d’application des ces droits sont confirmées par le Conseil constitutionnel.

III. Les politiques de l’Union et la souveraineté nationale

Le traité constitutionnel ne procède pas à une extension des compétences de l’Union mais modifie le mode d’exercice de ses compétences. Ces modifications affectent les conditions d’exercice de la souveraineté nationale et imposent une modification de la Constitution française.

Le rôle du Parlement européen est renforcé par la codécision. Il acquiert un pouvoir plus fort d’empêcher et d’amender.
Le traité confère la personnalité juridique à l’Union.
Le traité double le nombre des domaines dans lesquels le Conseil vote à la majorité qualifiée (d’environ quarante à quatre-vingts). Cette majorité est redéfinie (55% des Etats ; 65% de la population ; minorité de blocage d’un minimum de quatre Etats).
Une « clause passerelle » générale (IV-444) permet de passer d’une procédure décisionnelle spéciale à la procédure législative ordinaire sans ratification ou approbation nationale.
De nouvelles compétences sont transférées à l’Union dans des domaines éminemment régaliens (contrôle aux frontières, coopération judiciaire, Parquet européen, etc.).
Le principe de subsidiarité a une nouvelle formulation.
Le traité donne de nouveaux droits aux parlements nationaux (opposition à une révision simplifiée du traité, saisine des institutions européennes sur le respect du principe de subsidiarité).

Alain Lecourieux

21 novembre 2004