"Les médias et Maastricht" : compte rendu de l’exposé du 5 avril 2001

, par attac92

Compte rendu rédigé par le groupe de proximité de Rueil - Garches - Vaucresson - Marnes la Coquette

Le traité de Maasricht est un thème récurrent de nos réunions. Les discussions que nous menons, parfois à bâtons rompus, débouchent souvent sur une constatation : nombre des propositions ou des idées qu’ATTAC est susceptible d’avancer sont rendues caduques par les obligations que le traité impose aux Etats qui l’ont ratifié. D’aucuns feront remarquer à juste titre (et ce fut le cas au cours d’un nos rendez-vous du jeudi soir) que ce traité avait été accepté tantôt par les peuples tantôt par les parlements de manière strictement démocratique.

Le terme, pourtant, prête à discussion quand on sait l’application qu’on mis les médias de notre pays à peser en faveur du " oui ". Etant donnée la marge très serrée avec laquelle le " oui " l’a emporté (moins de 51% contre 49% pour le " non "), on peut estimer que ce parti pris a pesé lourd dans la balance.

L’idée d’un bref exposé sur la question a ainsi été suggérée. Le texte qui suit en est le compte-rendu.

L’union nationale

En septembre 1992, peu avant le référendum sur la ratification du Traité de Maastricht, la situation politique est on ne peut plus claire. Elle a en tout ca rarement été aussi consensuelle. Les ministres du gouvernement socialiste de l’époque sont favorables au traité, tout comme l’opposition et la majorité parlementaires. Près de 90% des élus de l’Assemblée Nationale se sont d’ailleurs officiellement prononcé pour le " oui ". Des meetings communs entre personnalités politiques de camps habituellement opposés sont même organisés (François Léotard - Pierre Bérégovoy, Elisabeth Guigou - Valéry Giscard d’Estaing).
Face à ce tableau politique uniforme, les journalistes et l’ensemble des médias vont s’aligner sur la position dominante chez les dirigeants. A quelques exceptions près (dont les journaux communistes), tous suivront la même voie. Pour ne citer que quelques exemples, Le Monde, France Soir, le Figaro, le Nouvel Obs, Paris Match, l’Express, les Echos, Télérama, le Nouvel économiste, RTL, RMC, France Inter, Europe 1 et les principales chaînes de télévision se sont clairement positionnés en faveur de la ratification. Certes, leur attachement au libéralisme économique trouvait son bonheur dans les grandes lignes du traité. Mais ce n’est pas la seule raison qui les a poussés à agir ainsi.

Des journalistes proches du pouvoir

Les journalistes qui dirigent, aujourd’hui encore, les plus grandes rédactions ont souvent l’âge et la même origine sociale que les hommes politiques au pouvoir. Ils les ont fréquentés au cours de leurs études, à une époque où l’accès à la profession de journaliste était moins diversifiée et moins démocratisé qu’aujourd’hui. Ils font partie d’une même élite politique. Se greffent sur ce système d’amitié entretenu un besoin de reconnaissance sociale par les politiques (que Bourdieu entre autres a analysé) et une proximité qui rendent facile un alignement sur les thèses des hommes de pouvoirs. Un état de fonctionnement et de pensée propre au journalisme français - nous y reviendrons plus loin.
Ce type d’accointances s’est fait plus criant que jamais lors du débat sur Maastricht. Cela s’est ressenti d’autant plus fortement que le nombre de journaux de presse écrite est faible, en diminution constante dans notre pays (28 quotidiens nationaux et 175 régionaux au début des années 50 contre 11 nationaux et 56 régionaux de nos jours). Sans compter que nos plus " grands " journalistes cumulent souvent de nombreux postes au sein de médias différents, audiovisuels comme écrits, publics comme privés. Ce cher Alain Duhamel exerçait ainsi ses talents, en 1992, pour Europe 1, le Point, le Quotidien de Paris et Antenne 2. Les journalistes acquièrent ainsi sur certains supports de communication la légitimité qui leur permet d’être invités en tant que " spécialistes " de telle ou telle question dans les émissions de leurs confrères, auxquels ils s’efforcent bien entendu de rendre la politesse. On a rêvé mieux en matière de pluralité de l’information.

Le " marché " de la presse

Le concept d’objectivité (ou d’honnêteté) de l’information n’a plus vraiment le même sens qu’auparavant. La presse est aujourd’hui un marché, soumis aux règles de la concurrence économique. L’objectif des médias, dont beaucoup sont de surcroît dans une situation financière difficile, n’est plus d’apporter une information mais de gagner des parts de marché, des auditeurs, téléspectateurs ou lecteurs. Pour y parvenir, une règle : ne pas prendre position, du moins pas de manière apparente. Le public ne doit pas trouver dans un média une opinion forte, un état d’esprit qui risque de l’en détourner, et donc de faire perdre de l’argent (en lecteurs et donc en publicité, etc.) au support de presse en question. Cette obligation, conjuguée à la volonté de voir le traité ratifié, va déboucher sur une prise de position spécieuse des médias français : la grande majorité, tout en se drapant de neutralité et d’objectivité, va s’aligner sur un seul mode de pensée dans des proportions jamais atteintes auparavant.

Bourdieu développe également le concept de la " circulation circulaire de l’information ", intimement lié à celui de concurrence économique. Il repose sur un principe : l’illusion de la part des rédacteurs en chef et de leurs équipes que le public et tous les lecteurs lisent, voit, entendent et comparent tous les médias. Ce qui est d’autant plus faux que les Français lisent en moyenne moins d’un quotidien et qu’il est impossible de regarder en continu deux programmes télé en même temps. Conséquence : chaque média s’évertue à traiter les mêmes informations que le concurrent, voire à en reprendre le ton. La diversité de l’information n’étant justifiée que par des détails - l’angle qu’on donne à un sujet ou le choix des intervenants. L’information a ainsi tendance à prendre la même forme en traitant des mêmes sujets. Sans compter que la première source des télévisions et des radios est la presse écrite du matin, qui s’évertuent souvent à développer les informations passées en boucle, la veille, sur le petit écran…

On comprend mieux, en ayant ces données à l’esprit, le tour qu’a pu prendre dans les journaux, à la télévision et sur les radios la campagne pour le référendum.

Quelques exemples

Guerre et Paix plutôt qu’Economique et Social
Le thème de la guerre et de la paix en Europe va sans cesse revenir sous les plumes au moment de justifier sa prise de position. C’est ainsi que Jacques Lesourne, à l’époque responsable de la rédaction au Monde, se fend d’un édito où il explique que " Le non au référendum serait pour la France et l’Europe la plus grande catastrophe depuis les désastres engendrés par l’arrivée de Hitler au pouvoir ".

Tout aussi fin analyste, Jean-François Kahn, d’habitude systématiquement opposé à ce qu’a dit celui qui vient de parler juste avant lui, oppose un " non barbelé à un oui d’ouverture " et " l’Europe de l’épuration ethnique contre celle de l’intégration européenne ", soulignant les risque de " tribalisation du continent " si Maastricht n’était pas approuvé. Plus sobrement, Télérama parle de Maastricht comme d’une " occasion urgente ".

Cette opposition du repli sur soi frileux, des peurs nostalgiques contre l’ouverture vers un monde nouveau, d’une manière générale, va occuper une grande part de l’espace médiatique. Le débat économique (Maastricht prônant une Europe plus libérale) va ainsi largement passer au second plan quand il ne va pas carrément disparaître. Il faut dire que, là encore, le consensus en la matière, aussi bien chez les politiques que chez les journalistes, simplifie les choses.

Tout le monde dit oui
Sur Europe 1, chaque dimanche, Serge July est opposé à Alain Duhamel au cours d’un débat sur le référendum. Opposé n’étant peut-être pas le terme approprié puisque les deux compères sont favorables au " oui ". Etrange ? François Henri de Virieu nous en fournit l’explication sur RMC, quand il annonce, pour justifier l’absence de Philippe Séguin (opposé au traité) lors d’un débat sur son antenne que " la présence des partisans du nom n’est pas nécessaire vu que les journalistes ont déjà tout expliqué de leurs positions. "

Sur le service public (France Inter), Ivan Levaï s’annonce " fasciné et séduit " par la campagne de Valéry Giscard d’Estaing, " très impressionné " par celle de Barre, " impressionné par la très grande qualité " de celle de Rocard, et carrément " saisi par la qualité du discours " de Fabius. Il va sans dire que tous ces responsables politiques sont favorables au " oui ", et que les tenants du non ne reçoivent que rarement le même accueil. Jean-Pierre Elkabbach emploiera lui les termes " magnifique, pédagogique et raisonnable " à l’égard de VGE.

Lors d’une émission télévisée passé à la postérité, François Mitterrand est interrogé sur le traité par Guillaume Durand et Jean D’Ormesson. La présence de Philippe Séguin, venu apporter la contradiction en fin de soirée, pouvant presque paraître incongrue puisque les trois premiers cités sont engagés en faveur du " oui ". Jean D’Ormesson, fine plume du Figaro magazine, reconnaîtra d’ailleurs plus tard que le programme tenait plus de la propagande que de l’information.

En toute objectivité

Sous le manteau de la neutralité, les médias cachent donc un parti pris certain. Une étude du CSA a ainsi établi que pendant l’été 1992, juste avant le vote, les temps d’antenne dévolus au " oui " étaient supérieurs à ceux du « non » de 50% sur TF1 et Antenne 2, et de près de 200% (!) sur France 3. Alain Duhamel, pourtant, estimera avant que le vote que " la campagne a été monopolisée par le non ". Il ne fait en cela que s’aligner sur le jugement de Laurent Fabius, qui regrette au même moment que " le oui, dans les médias, n’intéresse personne. " Tous ont alors beau jeu de se défendre d’avoir strictement respecté les opinions contradictoires du débat.

L’étranger comme argument

Un des autres grands fantasmes développés par les médias est celui de la position des puissances étrangères à l’Europe. Forcément, elles sont farouchement opposées à Maastricht, censé apporté bonheur et prospérité économique aux peuples européens. " USA - Japon, pourquoi Maastricht leur fait peur ", titrait ainsi en une le Nouvel Obs. L’idée généralement développée est alors que le traité est un bien pour les Européens, puisqu’il effraie tant ses adversaires dans une économie déjà mondialisée. Pierre Bérégovoy joue sur le même registre en expliquant que l’Europe ne résistera pas aux Etats-Unis si le non l’emporte.

Seul point que les médias oublient de mentionner : Le Japon comme les Etats-Unis sont favorables au traité. En Amérique, les deux candidats à l’élection présidentielle (Bill Clinton et George Bush père, puisque nous n’avions pas encore eu droit à la relève avec le fiston) ont déclaré qu’ils espéraient que le traité serait ratifié. Et les diplomates japonais ont adopté à Bruxelles la même position.

Sur un plan plus général, les médias étrangers n’ont pas manqué de souligner l’incroyable partialité de leurs confrères français dans cette affaire. Les Britanniques ont été frappés par l’émission où Durand et D’Ormesson faisaient face à François Mitterrand, modèle de tribune libre. Il faut dire que les journalistes français traînent auprès de leurs homologues étrangers la réputation sans doute pas usurpée d’être courtisans, serviles, peu professionnels et proches du pouvoir. Voir la femme d’un homme politique influent ou d’un ministre présenter une émission politique serait inconcevable ailleurs qu’en France. Qu’André Rousselet, ancien directeur de cabinet de François Mitterrand, ou que Jérôme Clément, ex-conseiller de Pierre Mauroy, puissent plus tard présider à la destinée de grandes chaînes publique (Arte) ou privée (Canal +) est tout aussi étonnant pour la presse étrangère. De même, le fait qu’un président de la République choisisse quels journalistes auront droit de l’interviewer et quels thèmes seront abordés est une tradition franco-française que personne n’imaginerait instaurer dans les autres démocraties.

Il est temps de conclure

En conclusion, on ne peut pas dire que les 49% de votes favorables au " non " sonnent comme un refus du libéralisme économique du traité de Maastricht, puisque les thèmes de campagne n’ont que très rarement porté sur l’économie. Même si des voix de plus en plus nombreuses, en fin de campagne, se sont interrogées sur une " justice sociale " à préserver tout en construisant l’Europe. Il n’en reste pas moins qu’un débat plus objectif et moins orienté de la part des grands " faiseurs d’opinion " que sont les médias aurait sans doute débouché sur un résultat contraire. De quoi s’interroger sur le caractère démocratique du processus qui a conduit à dire " oui " au traité de Maastricht. De quoi, également, nourrir l’argumentation de ceux qui souhaitent que la France revienne sur certains des engagements qu’elle a pris en le ratifiant.

C.P.