La politique, niée et confisquée

, par Alain Lecourieux

Acceptons l’étymologie du mot « politique » : la vie de la cité-Etat dans la Grèce ancienne. La politique n’est alors pas une question de spécialistes, historiens, philosophes, sociologues ou politiciens, mais une exigence pour tout homme, toute femme comme un moyen de comprendre ce qu’il vit, ce qu’il fait et de contribuer à faire advenir un autre monde plus conforme à ses souhaits.

« Je ne fais pas de politique ! » disent beaucoup d’entre nous ; certains se replient sur la sphère privée ; d’autres disent ne pas en faire et en font au travers des pouvoirs qu’ils exercent. Le discrédit qui frappe la politique explique souvent l’attitude des premiers, la domination celle des seconds.

Inutile de revenir sur les causes de ce discrédit : fin annoncée de l’histoire et des idéologies, triomphe de la « pensée unique », soumission des politiques au pouvoir de la finance et de l’économie, négation du conflit d’intérêt comme ressort essentiel de la démocratie, impuissance à résoudre les problèmes, etc.

S’il y a bien mille raisons pour ne pas faire de politique, il y en a une qui annule les mille : ne pas en faire, c’est en faire ! « Qui détient le pouvoir dans la cité ? » est la question politique première. Or le pouvoir, son contenu, la façon dont il est exercé ont des conséquences directes sur notre vie, aussi bien privée que publique. Puisqu’il n’y a pas de société humaine sans pouvoir, se désintéresser de la politique, c’est divorcer de la société.

La politique, objet ambigu, est un enjeu tellement considérable que nous sommes contraints d’y participer pour vivre ensemble et de la contester pour contribuer à transformer la cité et le monde. Comme l’écrit Alain, les hommes libres « savent bien que tout pouvoir abuse ou abusera ».

Shoah, goulag, Rwanda, attentats du 11 septembre 2001, guerre en Afghanistan, la politique rattrape chacun ; elle nous concerne, que nous le voulions ou non. La politique à laquelle nous avons contribué par nos actes, nos impuissances et nos silences fabrique l’exclusion à nos portes et tue trente mille enfants par jour dans les pays du Sud.

Alain Lecourieux