Notes de lecture n°25, octobre 2014 : "Le grand bond en arrière. Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde" de Serge Halimi

, par attac92
















[|Notes de lecture 25, octobre 2014|]


[/Les « Notes de lecture » sont une publication apériodique./]


[|[*"Le grand bond en arrière.
Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde"*]|]

[|[**de Serge Halimi*]|]
[|(Editions Agone, 780 pages, 16€, nouvelle édition mise à jour et augmentée, 2012)|]


[/(Notes de lecture de J-P Allétru)/]


Les ravages provoqués par le libéralisme sont criants : chômage, insécurité, injustices, catastrophes écologiques… Mais comment une doctrine aussi nuisible s’est-elle imposée au point de devenir la « pensée unique » ?


Le travail idéologique de ce qui n’était au départ guère plus qu’une secte, l’abandon des couches populaires par les démocrates américains puis par les partis dominants de la gauche, la puissance retrouvée du capital et sa capacité à trouver des appuis au sein même du peuple, la démocratie progressivement mais systématiquement vidée de son pouvoir ... C’est cette histoire navrante que nous raconte cet ouvrage, fondamental pour mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là. On verra au passage que les vieilles recettes sont toujours à l’œuvre, et toujours aussi efficaces…
Mais il ne faut pas désespérer…



L’ordre keynésien
Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, l’idée d’une économie plus ou moins administrée par l’Etat ne soulèvait guère d’objections. En France, 42 % des crédits du plan Marshall furent affectés à trois entreprises publiques : EDF, les Charbonnages et la SNCF.
Autrefois cabossés par un marché qui, en 1929, a failli dans des proportions colossales, les peuples occidentaux réclamaient davantage d’Etat.
De 1950 à 1960, les inégalités entre pays et à l’intérieur de chacun d’eux régressèrent. Cela ne s’était pas produit depuis 1820. Cela ne se reproduira pas après 1960...


Le parti démocrate américain s’éloigne des couches populaires


Dès la fin des années 1930, dans un contexte peu porteur à leurs yeux, les ultralibéraux avaient compris la nécessité d’entreprendre un travail idéologique de long terme destiné à éduquer tant les élites de droite que celles de gauche : « des idées neuves ne commencent à exercer de l’influence sur les actions politiques qu’une génération au moins après avoir été formulées pour la première fois » (Friedrich Hayek).


Les Etats-Unis vont servir de laboratoire. De par leur histoire (leur révolution est en fait une guerre de colons contre leur pays d’origine –elle s’apparente, comme l’a dit le néo-conservateur Samuel Huntington, davantage au combat des pieds-noirs d’Algérie contre la République qu’à la Révolution française), les Etats-Uniens sont caractérisés par le culte de l’individu, et une très forte croyance en la mobilité sociale (19 % des contribuables croient déjà appartenir à la catégorie du 1 % de contribuables le plus riche ; et 20 % imaginent qu’ils la rejoindront bientôt).


Reagan fut démocrate jusqu’à un âge assez avancé. Son père, qui avait perdu son emploi pendant la crise de 1929, avait été embauché par une des agences créées par le New Deal. Dans les années 1950, la progression du niveau de revenus de l’acteur d’Hollywood lui fait mesurer le poids de la fiscalité [on pense à Depardieu aujourd’hui], et, oubliant ce que son père a dû à l’Etat, il se convertit au parti républicain. Il suggère que les programmes publics se sont métamorphosés en filets de protection permanents pour les oisifs [Sarkozy n’a rien inventé]. Comme lui, des millions d’Américains ne veulent pas que l’échelle de la mobilité sociale qui les a servis, eux et leurs parents, en vienne à secourir ceux –les Noirs en particulier- qui entendre les rejoindre, voire se mêler à eux [les Le Pen, hier et aujourd’hui, non plus].


Mais la contre-révolution reaganienne n’a été possible qu’à cause du tournant technocratique ou élitiste du parti démocrate. Alors que celui-ci, dans toute la première moitié du XXème siècle s’était fait le défenseur des petits agriculteurs, du type de ceux que Steinbeck décrit dans Les raisins de la colère, peu à peu, il s’est enfermé dans un univers d’experts, de technocrates, d’intellectuels et d’artistes de moins en moins intéressés par la question sociale. Quand on ne comprend pas un peuple qu’on ne fréquente plus, mieux vaut disqualifier ceux qui l’écoutent encore : le populisme, voilà l’ennemi ! L’électorat populaire laissé en déshérence devenait ainsi disponible pour une mobilisation de type réactionnaire.
Dès les années 1950, alors que la guerre froide fait rage, les démocrates se démarquent des communistes et des syndicats ouvriers : « le parti démocrate est contre le socialisme sous toutes ses formes. Je suis opposé à la médecine socialisée, à l’agriculture socialisée, à la banque socialisée ou à l’industrie socialisée » (Adlai Stevenson, candidat à la Maison blanche en 1952 et 1956). A la fin des années 1960, le « mouvement »- contestataire, de gauche, indépendant du parti démocrate-, dont en 1968 l’offensive du Têt au Vietnam va décupler l’énergie, est trop jeune, trop faible, beaucoup trop méprisant à l’égard du prolétariat blanc et des syndicats pour cristalliser la coalition « populiste, progressiste et internationaliste » dont rêvent à l’époque certains radicaux. Vient alors l’heure de la réaction, celle du parti républicain.


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