Les Révolutions arabes et la montée du populisme en Europe -Est-ce le retour des Etats-Nations ?

, par Abdessalam Kleiche

Deux évènements majeurs marquent ce début du XXI éme siècle : « les révolutions arabes » et la résurgence et l’installation du populisme en Europe.

Avec Les révolutions arabes plusieurs mythes se sont effondrés :

Le premier est l’hypothèse que la prééminence de la culture religieuse dans la culture arabe est un obstacle pour une révolution pour la liberté et les droits de l’homme. Les révolutions en cours montrent, clairement que l’aspiration des Arabes pour les valeurs universelles telles que la liberté, la citoyenneté, la dignité n’est pas moins vrai que celle des autres nations.

Le deuxième mythe qui est tombé, c’est la croyance large dans les milieux dirigeants occidentaux que les régimes autoritaires arabes constituaient un rempart contre la prise de pouvoir politique par les islamistes. Cela a largement justifié le soutien inconditionnel de ces régimes et leur a permis de durer dans le temps. Cette hypothèse était largement erronée. Au contraire l’émergence de l’islam politique, en particulier dans sa forme violente est le résultat de la politique de ces régimes autoritaires qui ne permettaient pas une véritable participation politique.

En outre, les révolutions actuelles démontrent sans aucun doute que les islamistes ne sont pas la partie la plus dominante de ces soulèvements. Certes, parfois mieux organisés et mieux structurés comme en Egypte et en Tunisie, ces mouvements ont intégré la nécessité de composer avec un profond besoin de sécularisation. Aujourd’hui la jeune génération qui est descendue dans la rue pour exiger un changement pour la démocratie, la transparence et la justice sociale, continue à imposer un agenda politique. Elle contraint déjà le courant islamiste a une recomposition et éclatement entre réformateurs, centristes et conservateurs. Donc certes inscription irréversibles de ces courants très hétérogènes dans le paysage politique, mais émergence d’alliances avec les courants séculaires.

Ce processus sera long, avec des périodes de reflux, probablement entrecoupé de périodes de restauration favorisés par un système de démocratie représentative. Le courant de gauche en Europe, doit faire preuve de prudence dans ses analyses et intégré l’idée qu’à la différence de l’Amérique Latine, il n’y a pas eu dans le monde arabe de théologie de la libération. Par contre, les dictatures latino américaines n’ont pas été confrontés à une question de l’ampleur de la création de l’Etat d’Israël et de son dommage « collatéral » qui est la Nakba Palestinienne. Les mouvements de libération Latino-Américains n’avaient qu’un seul objectif : combattre le soutien massif de l’impérialisme « gringo » étasunien aux dictatures notamment militaires.

Le troisième mythe est mort de l’argument que le déracinement de ces régimes doit venir de l’extérieur ce qui a légitimé l’occupation américaine de l’Irak. La révolution actuelle démontre que les populations civiles sont en mesure de secouer et déraciner le despotisme avec leurs mains nues.

Et enfin ces révolutions ont mis fin au mythe de la théorie du choc des civilisations qui a divisé la culture en zones de conflit. Confortée, après septembre 2001, cette grille de lecture a renforcé les stéréotypes sur les sociétés ou l’islam est présent.

Pour autant, Les peuples du Monde arabe qui se soulèvent contre leurs tyrans ne brandissent ni le drapeau rouge de la révolution internationaliste, ni celui, vert, de l’islamisme radical panarabe. Les Tunisiens, Egyptiens, Algériens agitent la bannière de leurs Etats respectifs. Et les rebelles libyens ont ressorti l’ancien emblème banni par Kadhafi après son arrivée au pouvoir

Au même moment, La vague populiste grandit en Europe. Et c’est désormais une tendance lourde. Elle se confirme à presque chaque élection. Après les Pays-Bas, la Hongrie, la Suède, le Danemark, la Suisse etc… c’est au tour de la Finlande d’être touchée. En multipliant son score électoral par cinq, le parti des « vrais Finlandais » rejoint un club de moins en moins fermé et de plus en plus bruyant. Celui des populistes d’Europe

Cette similitude de situation, marque apparemment la persistance de la notion d’Etat-Nation dans les consciences, voire de son retour, tant elle semblait rangée au musée par la globalisation qui, en apparence, a transformé les villes en villages et les Etats en provinces. Brandir son drapeau devient ou redevient un acte révolutionnaire et n’est plus le seul symptôme d’une hystérie de nature footballistique.

De pays à pays, des distinctions seraient nécessaires pour décrire ce phénomène qui mêle tout à la fois sanction de la classe politique, rejet de la mondialisation, peur des conséquences sociales de la crise. Mais ces mouvements ont tous en commun au moins deux ennemis : l’Europe et l’étranger. Le premier, l’Europe, étant bien sûr, aux yeux de ces « vrais populistes », responsable de la prétendue invasion du second, l’étranger.

La tension entre Paris et Rome jouent depuis quelques jours sur le flux des migrants tunisiens en fournit un nouvel exemple. Désormais, l’accord de Schengen qui était censé encadré l’entrée aux frontières de l’Europe est perçue comme une passoire pour chaque Etat nation.

Par conséquent si la peur a changé de camp à Tunis ou au Caire, en Europe, elle gagne du terrain. En dépit de son PIB, le premier au monde. De son système de protection sociale, si enviable. De son cadre juridique, si riche en garanties pour les droits de la personne. Ces évidences sont devenues presque invisibles dans le débat public, et c’est là un premier succès du populisme. On a plus peur à Helsinki qu’à Carthage.

Cela signifie-t-il que la globalisation n’a rien modifié dans les rapports entre peuples, Etats, institutions mondiales ? En aucun cas. Le monde a bel et bien changé « de pôle et d’épaule » — dixit le poète Aragon — depuis l’effondrement de l’Empire soviétique, l’émergence de nouvelles puissances économiques, la mise en réseaux informatiques de la planète et l’intensification des échanges qui en est résulté.

L’Etat-Nation est en passe de changer d’aspect mais il n’a pas été supprimé pour autant. Il reste l’un des éléments principaux de ce puzzle mondial qui se constitue. Dans son remarquable ouvrage « La Voie » qui vient de paraître chez Fayard, le penseur français Edgar Morin aborde, parmi bien d’autres thèmes, la question de l’Etat telle qu’elle se pose maintenant :

« S’il faut que se constitue une conscience de Terre-Patrie (...) il faut aussi promouvoir le développement du local dans le global ». Parmi les voies qu’il distingue, malgré son pessimisme, pour assurer un avenir à l’humanité, Edgar Morin évoque la tension entre « mondialisation » et« démondialisation » : « Il faut à la fois mondialiser et démondialiser (...) La démondialisation signifie le retour d’une autorité des Etats, abandonnée dans les privatisations au profit d’un capitalisme déterritorialisé, comportant le retour aux services publics ».

Si des formes nouvelles de gouvernance mondiale doivent trouver désormais une légitimité qui leur fait défaut — afin de régler des problèmes politiques, économiques ou écologiques qui ne peuvent être traités qu’à grande échelle — il n’en demeure pas moins que l’Etat-Nation (ou le local) reste le lieu adéquat pour établir le lien entre les solidarités de proximité et le village mondialisé.

Abdessalam Kleiche