Internet, Logique et Finance

, par attac92

L'émission « Place de la Toile » de France Inter a interviewé le 12 mars 2010, Giuseppe Longo, sur le thème « Internet, logique et finance ». Cette interview, qui ne cède pas à la facilité, est passionnante. Après un peu d'histoire de l'informatique et surtout de la mise en réseaux, Giuseppe y explique le rapport avec la finance, via une nouvelle forme de monnaie (la monnaie « électronique et réticulaire » (qui provient du réseau)) et son pouvoir de circulation, d'échange de dettes et d'aspiration de l'épargne ces dernières décennies ... et qui changent la vie des gens. Et c'est bien ce qui intéresse ATTAC !

Giuseppe Longo est membre de ATTAC, logicien, épistémologue, directeur de recherche au CNRS, en poste à l'ENS de le rue d'Ulm , dans l'équipe "Complexité et information morphologiques" (CIM), Laboratoire d'Informatique de l'ENS, Membre à temps partiel du CREA, Ecole Polytechnique, Membre co-fondateur du CenECC

Les fichiers mp3 de l'interview sont ici : http://www.di.ens.fr/users/longo/FranceCulture/files.html.

On peut les écouter en streaming ou les télécharger.

1 - L'enregistrement du 12-3-2010 ( partie 1 et 2) : Internet, logique et finance. , 1h

2 - Partie 1 seule : internet et logique. , 30 min

3 - Partie 2 seule : internet et finance. , 30 min

4 - Commentaires : copie de la page web de "La place de la Toile" du 14/3 


Internet, logique et finance. 

L'interview sur France Culture accessible sur : http://www.di.ens.fr/users/longo/FranceCulture/files.html

Elle est constituée de deux parties. La première décrit brièvement la naissance de l'Informatique et, ensuite, des réseaux d'ordinateurs. La deuxième se focalise sur l'impact de ces derniers sur la finance ainsi que sur certaines conséquences de la forte mathématisation des activités financières.

La première partie raconte une histoire paradigmatique de la recherche scientifique et de son impact économique successif. L'origine de la Machine Logique à Calculer (le nom que Turing lui attribua en 1936) est purement mathématique : à la suite du grand théorème d'incomplétude de Gödel ( « pas toute démonstration mathématique est formellement calculable » ), Turing analysa le calculable et le “non-calculable” dans les termes mathématiques minimaux. Il inventa alors une machine mathématique (et logique), une abstraction sans aucune contrepartie matérielle (« un homme dans l'acte minimal de la pensée », écrivant et effaçant des 0 et des 1 sur du papier, commenta son collègue et ami Wittgenstein). Gödel lui même, en 1931, avait en fait définit les fonctions calculables et la notion de codage dans le but de répondre à un problème sur les fondements des mathématiques, loin de toute application possible. Or, ce même codage, ces fonctions calculables implantées sur des machines électroniques, depuis la fin des années '40, ont changé notre monde. La recherche scientifique a toujours besoin d'un espace théorique, loin de toute application envisageable : ce sera exactement cette pensée théorique qui produira les applications inattendues, la technologique révolutionnaire, car imprévisible, 20-30 ans après.

La deuxième partie est dédiée à une analyse du rôle des réseaux d'ordinateurs dans le fonctionnement des marchés financiers. Ce sont ces mêmes machines, nées pour l'analyse des fondements des mathématiques dans les années '30, et mise en réseaux, qui permettront, entre autre, l'invention de la monnaie « électronique et réticulaire ». Les nombres qui apparaissent sur l'écran et indiquent des montants monétaires ont leur autonomie symbolique : ils ne sont pas nécessairement associés à de la valeur. Nouvelle abstraction, troisième forme de monnaie, après l'invention de la monnaie frappée, en Grèce (VI siècle AJ) et de la monnaie-papier (XV-XVI siècle, en Italie), elle permet la circulation instantanée et la manipulation formelle de l'argent comme aucune autre forme de monnaie. Quand les CDS (Credit Default Swaps) atteignent en 15 ans, de presque rien, les 60.000 milliards de dollars (le PIB du monde), on comprend que leur “valeur” n'a plus rien à voir avec la production, la richesse, la “valeur-travail”. Leur valeur augmente pour le fait d'augmenter ... La circularité des activités de prêt/crédit induit en fait des phénomènes de “divergence” mathématique : ces sommes d'argent électroniques sont des sommes de séries mathématiques divergentes, voire elles vont vers l'infini par des effets de “résonnance”. Par leur enthousiasmante croissance, elles ont servi comme aspirateur de l'épargne, appât pour les banques et les individus. Utilisées avec grande compétence mathématique (et informatique) par les acteurs financiers les plus importants, elles ont absorbé l'épargne du monde, pour ensuite reverser, sur les dettes publiques, les dettes privées impayables associées à ces écritures électroniques et réticulaires sans sens économique.

Bibliographie de Giuseppe Longo :http://www.di.ens.fr/users/longo/