Richard Stallman et la révolution du logiciel libre : Notes de lecture

, par Eric Colas

Notes de lecture :
Sam Williams, Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, une biographie autorisée, Edition
Eyrolles, 2010, 323 pages, 22 €, licence GNU FDL.

Cette biographie n’est pas écrite pour les geeks [1] et les nerds [2] Elle s’adresse aux activistes qui militent
pour la liberté ; ici, celle des utilisateurs de logiciels, emprisonnés par les licences d’exploitation et non par le coût de production et de revente des logiciels.
Richard M. Stallman, dit RMS, est un génie des mathématiques. Dès son enfance, ses capacités
intellectuelles liées à ses difficultés à créer des liens sociaux et amicaux ont été manifestes. Et c’est tout
naturellement qu’il intégra l’université Harvard et ses prestigieux cours de mathématiques « accélérés », où il
réussit plus que brillamment tous ses examens. Puis il choisit d’intégrer le laboratoire d’intelligence artificielle
(A.I.Lab), très prometteur de découvertes à cette époque, au M.I.T (Massachussets Institute of Technology).
C’est là que se réalisa son passage des mathématiques « pures » à l’informatique des années 70, bien avant l’ère
des ordinateurs individuels.
L’anecdote célèbre qu’il utilise pour expliquer son éveil à la philosophie, puis à l’activisme de la liberté,
est celle d’un banal bourrage de papier de l’imprimante laser du laboratoire. Elle avait été offerte par une
grosse firme et avait la fâcheuse habitude de caler au cours des impressions. Ce qui obligeait les utilisateurs à
se déplacer fréquemment pour en vérifier le bon état. Stallman eut l’idée d’améliorer la configuration de
l’engin et découvrit qu’il ne le pouvait pas. La firme n’avait pas laissé l’accès aux programmes qui pilotaient
l’imprimante, interdisant toute modification. Il put néanmoins s’en débrouiller. En bon bidouilleur [3], il inséra un programme dans l’ordinateur central du A.I.Lab. qui informait les utilisateurs, qui avaient envoyé une commande d’impression, qu’un nouveau bourrage papier s’était produit et les invitait à se déplacer.

Cette célèbre anecdote permet à Richard Stallman d’expliquer, dans ses nombreuses conférences de
part le monde, comment il rencontra le copyright qui l’empêchait de pouvoir utiliser librement les outils à sa
disposition. Cette nouveauté lui fit découvrir son asservissement aux firmes, via les licences d’exploitation. Le matériel n’était pas pleinement en sa possession : on le privait d’en faire ce qu’il voulait et surtout de le réparer ou de l’améliorer. La question éthique de la liberté s’imposait à lui en s’immiscant dans sa vie.
De là, il entreprit avec ses collègues, du MIT et d’ailleurs, d’écrire des logiciels libres : sans ligne de code qui proviendrait d’un logiciel sous copyright et librement adaptable par quiconque, pourvu qu’il fasse part à la communauté de ses améliorations en diffusant le « code source » du programme. Ne pas garder pour soi ses
découvertes et les confronter aux découvertes des autres : une démarche que tout scientifique ne peut que
partager. Mais pas les firmes ni certains collègues appâtés par les sommes faramineuses qui pointaient à
l’horizon grâce aux royalties des brevets et non de l’utilité et de la performance des programmes.
Ce projet qu’il appela GNU [4], commença par quelques programmes, comme Emacs, et d’autres qui sont encore très connus et utilisés plus de 30 ans après leur écriture. Emacs était tellement bien conçu, qu’on put lui ajouter plein de fonctions, dont une pour surfer sur le web, ou envoyer ses emails. Ce qui n’était guère envisageable en 1980 ... La technique consistait soit à produire des logiciels manquants et de les créer, soit de réécrire un logiciel déjà existant, mais d’une manière différente et sans ligne de code comparable afin de ne pas risquer un procès et surtout pour l’améliorer dans les directions que le logiciel sous copyright ne pouvait supporter.

Le projet GNU se développa et essaima plutôt vite. Il fallut le protéger et l’équiper d’une licence
d’exploitation, mais pas dans le sens de la privation et de l’interdiction : dans le sens de l’obligation (de
redistribution, de diffusion du code source, etc ...). C’est ce tour de force, d’inversion de l’effet des brevets,
qui permit l’engouement des programmeurs, qui s’agrégèrent en une communauté éparpillée de part le monde. Cette licence à effet de copyleft [5] obtint de nombreux succès. A force de diplomatie et de stratégies, les entreprises rétrocédaient certains programme « phares » sous licence libre et laissaient la communauté les prendre en charge, les améliorer, les développer. Ce qui n’a pas empêché ces entreprises de faire beaucoup d’argent, grâce à cette publicité ou des savoirs faire annexes qui intéressaient des projets commerciaux.

Dans ce rêve de liberté, il manquait le système d’exploitation. Jusque là les programmes tournaient sur
un ordinateur central piloté par un système d’exploitation dont la licence avait été achetée ou dont il fallait
tous les ans payer un abonnement afin d’avoir les nouveautés. Stallman et ses amis se mirent au travail d’un
système complet. Le travail avança, mais prit beaucoup de retard au niveau du noyau, la couche la plus basse du système, celle qui communique directement avec les composants. Un informaticien finlandais, qui avait
écouté R.M.S. à l’une de ses conférences (et en était sorti dubitatif), développa sur son temps libre et pour
s’amuser, un noyau qu’il testa puis diffusa dans la communauté. Il s’avéra rapidement que c’était l’élément qui
manquait. Mais il n’était pas indemne de code privé. Donc, ne satisfaisait pas pleinement la licence GPL.
L’équipe GNU continua donc à développer son noyau [6]. On donna le nom de « GNU / Linux » aux systèmes qui faisaient cohabité ces deux éléments [7].

Depuis lors, les systèmes GNU / linux se sont énormément développés et n’ont plus l’aspect rébarbatif des années 90 et début 2000 ; ils ne sont plus réservés aux informaticiens et aux nerds. Ils sont devenus aussi
faciles à installer et maintenir que le système monopolistique planétaire « Windows ©® [8] ». Et bien plus fiables et surtout réparables. L’autre système qui existe à côté n’est plus que l’ombre de lui-même : l’entreprise Apple a été en grande partie rachetée par Microsoft, ce qui a permis à celle-ci d’éviter un procès pour trust [9] et son noyau est très inspiré du noyau linux ! Aujourd’hui, Apple gagne de l’argent avec ses téléphones et ses baladeurs mp3, pour lesquels on ne peut utiliser que le logiciel (hyper)privatif iTunes qui sert de plateforme
de vente de musique. Les évolutions des iPod (et autres iPhones) ne montrent guère d’amélioration technique
substantielle, mais une constante volonté d’interdire la connexion avec le PC si l’on veut contourner le fameux Tunes. Tout l’inverse de la philosophie GNU !

A l’appui du projet GNU [10], une fondation a été créée : la Free Software Foundation [11] qui promeut les logiciels libres et maintient la distinction, essentielle pour Richard Stallman, d’avec les logiciels « open-source ». Pour ceux-ci le code est ouvert et donc lisible par tous mais la redistribution est très encadrée et ne s’ennuie pas des problèmes de codes privés : de nombreux compromis sont faits avec les grosses firmes.

Mais il est indéniable que les mouvements open-source, via les logiciels gratuits [12], ont participé du développement de l’esprit libre. Le slogan de Stallman, « libre comme la liberté » [13] (mais pas libre comme gratuit), marque la frontière avec le mouvement open-source. Pour eux, la liberté compte assez peu, elle s’accommode de nombreux accords et autres contrats. Ce qui fait hurler Stallman, pour qui elle n’a pas de pris. On peut lui opposer que le temps passe et sans linux et l’open-source, les notions portées par le projet GNU auraient déjà déclinées car insuffisamment mature. Les utilisateurs « voudraient » un système qu’ils peuvent utiliser et non d’un système qu’ils pourront un jour installer et en attendant tester.
Pour aller un peu plus loin, on peut considérer que le travail inestimable de Richard Stallman et de ses
amis s’inspire et peut se ranger dans la série des désobéissants. Richard Stallman explique qu’il a lu Thoreau, qui inspire aux Etats-Unis tous ces mouvements qui refusent ce qu’on veut leur faire prendre comme étant
incontournable.

Au AI Lab, les étudiants et chercheurs avaient l’habitude de crocheter les serrures ou de passer par les faux plafonds pour libérer les terminaux d’ordinateurs emprisonnés dans leur bureau par les professeurs. Ces
terminaux ne servaient à rien pendant des heures ou des week-ends, alors que nombre d’étudiants ou
chercheurs auraient pu les utiliser pour travailler.

Pour aller plus loin :
la page perso de RMS : http://stallman.org/
la page sur Richard Stallman sur wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman
la page sur Richard Satllman chez Framasoft :
http://www.framabook.org/stallman.html
les articles référencés à RMS sur Framasoft :
http://www.framablog.org/index.php/tag/Stallman
le livre « Free as in Freedom » à lire en ligne (en anglais) :
http://oreilly.com/openbook/freedom/
La biographie en accès libre en html (navigateur internet) : http://forge.framabook.org/stallman/
en pdf : http://www.framabook.org/docs/stallman/framabook6_stallman_v1_gnu-fdl.pdf
Texte écrit avec openoffice, sous GNU / Linux Debian, attac92clamart

13

Notes

[1Personne passionnée d’informatique, de sciences fictions, de fantastique, de jeux de rôle, de wargames, de comics, etc ...

[2Personne passionnée de l’informatique seule ; le nerd est une catégorie de geek...

[3hacker, en anglais.

[4GNU est un acronyme récursif typique des informaticiens et qui fait ;référence au système qui était rivalisé, GNU veut dire « Gnu is Not Unix », un jeu de mots classique des informaticiens

[5Encore un jeu de mot, plus classique celui-là : le propriétaire abandonne ses droits privatifs, il les laissé de côté, les abandonne.

[6Son retard s’est accumulé : il n’est toujours pas prêt, mais on peut le tester.

[7L’usage habituel est d’appeler cela linux,mais c’est un abus de langage.

[8Copyright et trade mark : marque déposée avec brevet d’exploitation...

[9Les monopoles sont interdits aux Etats-Unis et regardés de très près, ce qui occasionne de nombreux procès pour ententes illégales ; la libre concurrence est donc toujours la règle !

[12Gratuiciels en français

[13Du titre de la précédente version de cette biographie : « Free as freedom ».