La taxe Tobin, par Alain Lecourieux

, par Alain Lecourieux

LA TOILE DE FOND ECONOMIQUE

L’argent, valeur dominante, sous-tend une idéologie qui ne se déclare pas comme telle : le néo-libéralisme ; elle entraîne une inégalité sans précédent (patrimoines et revenus) dans les pays développés (aux Etats-Unis, le modèle si souvent cité, 1% de la population, soit 2,7 millions de personnes, dispose de revenus équivalents aux 38% les plus modestes, soit 100 millions de personnes) ; une inégalité croissante entre les pays développés et les pays sous-développés (dans le monde, les 20% les plus favorisés ont un revenu 80 fois supérieur à celui des 20% les moins favorisés ; l’écart a doublé en vingt ans).

La notion même de progrès est remise en cause, nombreux sont ceux qui cherchent un sens. Le " blues " s’installe.

Aux deux formes connues de consommation, produits et services, s’ajoute la consommation de " promesses " (assurances, options, " futures ", etc.) qui portent non plus sur un travail passé ou présent, mais sur un travail futur éventuel. A noter les formes illégales ou criminelles de consommation (et de production).

LES MARCHES FINANCIERS

La technologie (réduction de l’espace et du temps, désintermédiation) a rendu possible la mondialisation des marchés, la déréglementation décidée par les gouvernements l’a réalisée (lois, règlements, produits financiers nouveaux).

Les acteurs sont les Etats, les banques centrales, les organismes nationaux et internationaux, les banques commerciales, les banques d’affaires, les institutions financières non bancaires (sociétés de placement, courtiers, assurances, caisse de retraites et fonds de pension, entreprises, etc.). Les nouveaux acteurs sont les media et les ONG.

Les marchés principaux sont le marché des changes, celui des actions et celui des obligations (dettes des Etats et des entreprises), ainsi que les marchés dérivés (à noter le marché de l’immobilier et celui des marchandises). Aux Etats Unis, fin 1996, les fonds de pension gèrent 4750 milliards $, soit 62% du PIB, les SICAV 3540 (46%), les assurances 3050 (30%), soit au total 138% du PIB des Etats-Unis et un tiers du PIB mondial. Tous les marchés financiers sont liés.

La spéculation peut être définie comme l’achat d’un produit, d’un service ou d’une " promesse " motivé uniquement par le souci de revente à un prix meilleur. Dans cette définition, la spéculation n’a pas d’utilité sociale ou économique. C’est un acte (qui se traduit par un prix) déconnecté du monde réel économique ou social. C’est une forme exacerbée du capitalisme ; le capitalisme peut être considéré comme un système qui tire parti des écarts (sur les prix, la qualité des produits et des services, le coût du travail, etc.) ; les plus grands écarts se trouvent maintenant dans la sphère financière.

Le mimétisme joue un rôle important dans les décisions des investisseurs : chacun tente de porter un jugement sur le jugement futur des autres acteurs (prophétie autoréalisatrice). La spéculation prend des formes diverses (notamment : pression durable et attaque massive).

Les crises récentes des marchés financiers sont nombreuses : krach de 1987, Europe en 92-93 et ensuite : Mexique, sud-est asiatique, Amérique latine, Russie et Japon. A noter : les taux d’intérêt astronomiques qui accompagnent les prêts faits aux pays non développés, les mauvaises créances accumulées par les banques (Crédit Lyonnais, par exemple) ; la propagation des crises d’une région à l’autre ; la " bulle " : inflation des actifs boursiers sur toutes les places majeures qui fait craindre " La Crise Systémique " ; les conséquences des dysfonctionnements sur l’économie réelle (restriction du crédit, taux d’intérêt élevés, contraction de l’économie réelle).

Durant les 25 dernières années, il y a eu un transfert massif de richesses du travail vers le capital (la part des salaires dans la valeur ajoutée a fortement décru ; les investisseurs demandent maintenant une rentabilité de 15% par an). Par ailleurs la fiscalité pénalise le travail au bénéfice du capital.

Le cadre institutionnel et juridique des institutions financières des pays sous-développés est souvent déficient. Les banques des pays développés ont de nombreux projets de prise de contrôle de ces institutions.

Il y a enfin de nombreux paradis fiscaux (repaires de la fraude et du blanchiment de l’argent sale).

UN PETIT HISTORIQUE SUR LA MONDIALISATION FINANCIERE

Les accords de Bretton Woods de 1944 instaurent un taux de change fixe entre le dollar convertible en or et les principales devises. Le FMI est créé. En août 1971, les Etats-Unis (Nixon) abrogent ces accords de façon unilatérale : le dollar n’est plus convertible en or. En 1973, les taux de change flottants sont adoptés : la valeur des monnaies est artificiellement déterminée par les positions prises par les opérateurs sur le marché des changes (et non par leur place dans le règlement des échanges, par leur rôle de monnaie de réserve ou par la capacité des Etats à payer leurs dettes). A noter la régulation qu’a constituée le " serpent " puis le Système Monétaire Européen), puis la création de l’Euro. Avec les taux de change flottants les monnaies s’affirment comme moyens d’échange, donc de spéculation.

A noter : l’abrogation du contrôle sur le mouvements des capitaux (Royaume Uni en 1979, Etats-Unis en 1980) ; la " titrisation " des obligations (10 points d’intérêt positif dans les années 80, 4 points aujourd’hui ; le service de la dette en France s’élève à 99 milliards F en 1988, 151 en 1991, 240 en 1998, soit 15% des dépenses de l’Etat, soit environ le montant du budget éducation nationale, soit 3,5% PIB) ; la déréglementation du marché des actions (Royaume Uni en 1980). Les gouvernements de la plupart des autres pays décident ensuite très rapidement de généraliser toutes ces déréglementations.

LE MARCHE DES CHANGES

La vocation première du marché des changes est d’assurer les transactions internationales en organisant la conversion des monnaies et de se prémunir contre les risques de change.

Le marché des changes gère une catégorie de transactions financières où la valeur d’un actif dans une devise est changé en un actif dans une autre devise, par la biais d’un instrument financier (devises, titres, etc.).

La taille du marché a été multipliée par 14 entre 1972 et 1995 : 1300 milliards de $ par jour en 1995, soit 312 000 milliards $ par an (le montant des exportations annuelles de biens et services représentent 3,5 jours de transactions du marché des changes, toutes les transactions annuelles sur les actions représentent 17 jours ; 312 000 milliards $, c’est 240 fois le PIB de la France et 52 fois celui des Etats-Unis). Le marché des changes est devenu le plus grand casino. Sa croissance continue depuis 1995.

Les acteurs sont les banques centrales (< 10% des volumes), les banques commerciales (acteurs principaux), les autres institutions financières, les entreprises, les courtiers. Cent banques ou institutions financières situés dans 18 pays dominent le marché (10 opérateurs représentent 40% du marché de Londres et 10 autres acteurs représentent 47% de celui de New York ; de puissantes chambres de compensation informatisées sont en place). La Citibank a déclaré un milliard $ de profits en 1998 sur le marché des changes.

Une institution financière typique réalise 4000 transactions par jour ; les prix des grandes devises changent 20 fois par minute ; un agent fait une transaction tous les 2 minutes ; 80% des transactions correspondent à des allers et retours inférieurs à une semaine. Les transactions commencent à partir d’espérance de différentiels de taux de 0,03%. Il y a en fait deux marchés : un marché de gros très compétitif entre institutions financières et un marché de détail moins compétitif (prix supérieurs) entre institutions financières et clients (importateurs, exportateurs, entreprises, portefeuille, touristes).

LA TAXE TOBIN (TT)

L’idée est présente chez Keynes : " l’accès au casino doit être très coûteux ".

James Tobin est ancien professeur d’économie à Yale et prix Nobel en 1981. Il émet l’idée de la taxe en 1972 et publie un article de fond en 1978 ; depuis cette date et après un long silence, la TT fait l’objet de nombreuses études d’économistes et de nombreux arguments pour et contre.

Ses objectifs sont les suivants : diminuer la taille du marché des changes, diminuer la volatilité des transactions, pénaliser les opérations très spéculatives, mieux connaître les mouvements de capitaux, ne pas pénaliser l’économie réelle (mobilisation de l’épargne, commerce international, rémunération des risques), fournir une source importante de financement, soustraire, dans une certaine mesure, la détermination des taux d’intérêt à la nécessité de défendre la parité des monnaies.

La TT est une taxe universelle sur le capital (et non sur le revenu du capital), à taux unique (taux avancés : 0,01% - 0,05% - 1%), s’appliquant à tous les pays, à tout achat d’instruments financiers libellés dans une autre devise, collectée par les Etats, gérée par les Etats et une agence multilatérale, avec sanctions en cas de non application par les Etats qui ont donné leur accord.

De nombreuses variantes ont été proposées parmi lesquelles : possibilité de mise en oeuvre limitée aux pays dominant le marché, deux taux (Zone Tobin et hors Tobin), application au marché des changes stricto sensu.

Les limites principales de la TT sont les suivantes : même si elle en diminue la fréquence, elle n’empêche pas les attaques spéculatives de grande ampleur contre lesquelles d’autres moyens existent : rapatriement rapide des devises sur le territoire national, vente des devises à la banque centrale à un taux administré, contrôle des changes partiel (Taïwan) ou total (Malaisie), taxe à la sortie des capitaux (Malaisie, 30%), interdiction des crédits. En période calme, d’autres mesures doivent ou peuvent l’accompagner comme la transparence des agents financiers et les règles prudentielles obligatoires, les dépôts obligatoires pour les capitaux entrants (Chili : 30%), timbre fiscal sur les crédits en devise de court terme, taxe sur les achats et revente d’actions et d’obligations (Brésil), durée minimale et montant minimal pour les achats d’actions par les étrangers (Malaisie), la limitation et le contrôle des investissements directs étrangers, la non convertibilité de la monnaie (Chine).

La taxation de certaines transactions financières, hors marché des changes, est appliquée dans certains pays ; 26 pays industrialisés, par exemple, taxe l’achat et la vente d’actions ou d’obligations (par exemple le gouvernement suisse prélève une taxe de 0,15% sur les titres suisses et de 0,30% sur les titres étrangers) ; certains pays, comme l’Allemagne ou les Etats-Unis, avaient de telles taxes et les ont supprimées. Aux Etats-Unis comme ailleurs, le débat n’est pas clos ; le budget de 1990 prévoyait une taxe de 0,5% sur le négoce des titres, à l’exception des titres du Trésor. A noter le volume annuel des transactions, hors marché des changes, aux Etats-Unis (chiffres de 1992) : 44 000 milliards $ pour les obligations d’Etat, 8 200 pour les obligations des entreprises et 3 100 pour les actions, soit au total 9 fois le PIB des Etats-Unis. A noter aussi que les nouveaux fonds drainés par le marché des actions, en 1992, aux Etats-Unis, ne s’élevaient qu’à 27 milliards $, soit 114 fois moins que le montant du négoce sur ce marché. Mais aucune taxation n’existe aujourd’hui sur le marché des changes dans les pays industrialisés.

Les autres régulations évoquées périodiquement (et ajournées) par les milieux financiers sont les suivantes : transparence de l’information sur les transactions, renforcement des contrôles prudentiels (notamment off shore), impôt sur le capital mobilisé par le marché des changes (et non pas sur chaque transaction). Plus largement : réforme de l’architecture financière mondiale (pour éviter les crises financières), association du secteur privé à la résolution des crises. Mais l’essentiel des mesures réellement appliquées par la communauté financière internationale concerne les pays sous-développés ; ces mesures consistent, par le biais du FMI, par exemple, à imposer notamment des politiques restrictives à ces pays et souvent à les mettre sous tutelle internationale.

LES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LA TAXE TOBIN

1. La TT fournit une source de financement internationale très importante. Les estimations les plus conservatrices sur les volumes de 1995, à un taux de 0,05%, en tenant compte de l’exonération de certains opérateurs (banques centrales notamment), de l’évasion fiscale et de l’élasticité de la demande de change (la TT entraîne une baisse de la spéculation !) donne un produit de 100 milliards $ par an. Le produit de la TT est levé par les pays principaux suivants : Royaume Uni : 29%, Etats-Unis : 15, Japon : 10, Singapour : 6, Hong Kong : 6, Suisse 5, Allemagne : 5, France : 4.

100 milliards par an doit être rapproché du rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qui indique que 30 à 40 milliards $ par an permettraient d’éradiquer les formes les plus sévères de pauvreté dans le monde (eau, nourriture, énergie).

2. La communauté financière et la sphère politique excluent un retour permanent au contrôle du mouvement des capitaux ou à des taux de change fixes ou régulés (serpent des devises majeures). La TT est donc une des seules mesures concrètes applicables immédiatement, si la volonté politique existe.

3. La TT est un impôt progressif ; les personnes à bas revenus ne sont pas dans son champ d’application (aux Etats-Unis, 50% du patrimoine est détenu par 1% des citoyens). Le revenu de la TT pourrait être employé pour partie à réduire les impôts non progressifs (TVA, par exemple).

4. Les taux de change étant plus stables et plus prévisibles, la spéculation étant réduite, les investisseurs placeront plus d’argent dans l’économie réelle et les entreprises bénéficieront de risques moindres (l’appréciation du $ par rapport au Yen a plongé l’industrie automobile américaine dans une récession sans précédent, au début des années 80). Les actionnaires seront conduits également à tenir un plus grand compte des performances des entreprises.

5. La spéculation ne crée pas de richesses. elle est une captation (privée) des richesses créées par ceux qui travaillent. Si la spéculation sur le marché des changes est un jeu à somme nulle, ce n’est pas pour autant un jeu innocent : les gagnants, agents privés dans la quasi-totalité des cas, captent les richesses créées par ceux qui travaillent ; les perdants sont souvent publics (intervention des banques centrales pour défendre la parité des monnaies, sauvetage des institutions financières par l’impôt, contraction de l’économie par des politiques monétaristes, etc.).

6. Le pouvoir d’intervention des banques centrales sur le marché monétaire est très réduit : les réserves totales de ces banques s’élèvent à un jour de transactions. La TT accroît l’autonomie des politiques monétaires nationales.

7. La TT réduit la fréquence des crises financières dues notamment à la spéculation. Or la résolution de ces crises est déjà hors de portée des Etats (500 banques commerciales ont participé à la sortie de la crise du Mexique). Par ailleurs les opérateurs financiers attendent que les Etats jouent le rôle d’assureurs (too big to fail) dans ces crises et prennent donc des risques inconsidérés (créances douteuses, spéculation hasardeuse) ; il est normal que cette assurance qui a un prix soit payée par ceux qui en profitent et qu’on évite la privatisation des profits et la socialisation des pertes.

8. Les impôts sur les comportements socialement destructeurs (tabac, alcool) sont bien acceptés par l’opinion. La TT appartient à cette catégorie. La TT est également populaire, car elle frappe les spéculateurs.

LES ARGUMENTS CONTRE LA TAXE TOBIN ET LA REPONSE A CES ARGUMENTS

1. Les spéculateurs sauront échapper à la TT.

Réponse : tout impôt entraîne une évasion fiscale, ce n’est pas une raison pour ne pas le lever. Le premier objectif est que la TT s’applique à une zone aussi vaste que possible : tout transfert vers les pays hors zone Tobin et les paradis fiscaux pourrait être taxé à un taux sévère ; la collecte pourrait être une condition pour être membre du FMI et d’autres organisations internationales ; les pays en voie de développement pourraient être autorisés à garder le produit de la TT (quitte à en contrôler l’utilisation) ; le directeur financier (banques, fonds, entreprises) pourrait être tenu pour responsable de la bonne application de la TT ; l’organisation de contrôle de la bonne application de la TT bénéficierait de la concentration des opérateurs et de l’enregistrement déjà quasi-systématique des transactions dans les systèmes informatiques ; la délocalisation des salles de marchés et des chambres de compensation vers les paradis fiscaux est une opération coûteuse, risquée et visible.

2. Les spéculateurs se déplaceront du marché des changes vers d’autres instruments financiers pour obtenir un change non taxé.

La TT peut être étendue à tous les instruments financiers (actions, obligations, marchés dérivés, etc.) permettant une opération de change. Son taux faible (0,05%) n’aura pas de conséquences négatives sur les investissements relatifs à l’économie réelle et cette extension à tous les instruments financiers réduira la spéculation exacerbée sur les marchés correspondant à ces instruments. Enfin ces marchés sont moins liquides que le marché des changes et le coût des transactions prélevé par les institutions financières sera plus élevé (achat, swap, vente).

3. Les spéculateurs se déplaceront des banques vers d’autres institutions non contrôlées.

Une analyse " coût-bénéfice " de l’extension des contrôles à ces institutions devra être faite. Si le bénéfice l’emporte sur les coûts (cas où des volumes élevés tenteraient d’échapper à la TT), le contrôle s’exercera.

4. Les intermédiaires financiers entraînent une charge de taxation excessive.

L’intermédiaire, comme l’investisseur, attend un profit ; il est normal qu’il soit taxé.

5. Les citoyens dont les retraites dépendent des fonds de pension souffriront de la TT.

Si les fonds de pension (et donc les retraités) spéculent, ils doivent en être dissuadés et payer le coût du maintien d’un système financier sain. Par ailleurs les fonds de pension qui exigent une rentabilité de leurs actifs de 15% par an sont une des sources du transfert de la valeur ajoutée du travail vers le capital.

6. La TT représente une charge plus lourde, si la maturité de l’actif est plus courte.

A un taux de 0,05% par exemple la charge n’est pas lourde ; elle le devient si l’actif est échangé très fréquemment ; c’est un de ses objectifs ; la TT est également progressive dans ce sens.

7. Les citoyens sont déjà surtaxés.

Les impôts doivent être jugés à la valeur de ce qu’on achète en les payant. Les citoyens ont l’occasion avec leurs votes de donner leur opinion. Par ailleurs, dans nombre de pays, le capital est soustaxé. La TT taxe en fonction du rôle que chacun joue sur les volumes.

8. La TT va distordre le marché par l’augmentation du coût du capital qu’elle entraîne, elle fera baisser le prix de l’actif financier ou entraînera une demande de retour sur investissement supérieur.

Pour un TT à 0,1% par transaction : un aller et retour journalier coûtera en effet 48% du capital par an (hebdomadaire : 10% ; mensuel : 2,4%) ; mais c’est bien cette spéculation-là que la TT veut supprimer.

Le coût prélevé par les banques, à New York, par action, pour chaque négoce (pour couvrir les frais de la banque), est de 0,38 $ : pour une action de 34$, la TT à 0,1% prélèverait un impôt de 0,034 $, soit 9% de la commission de la banque. Cela n’entraînera pas une distorsion du marché.

C’est la spéculation qui distord massivement le marché des changes ; voilà l’argument décisif contre cette objection !

9. La TT va augmenter la volatilité du marché des changes en réduisant sa liquidité.

Les transactions fondées sur des jugements hasardeux sont réduites. La relation entre volatilité et taille du marché n’est pas prouvée et on peut dire, sans craintes, que le marché des changes est hypertrophié et ultraliquide. Le taux de la TT doit être judicieusement fixé pour garder sa liquidité au marché des changes.

10. La TT va réduire la rentabilité de l’épargne et donc diminuer l’épargne.

Non, pas au taux prévu.

11. Les flux de capitaux à court terme forcent les gouvernements à des politiques plus cohérentes.

Ces flux sont déstabilisateurs. L’objection consiste aussi à admettre que les marchés détiennent la vérité et remplacent les politiques. Et inversement, la vertu de certains gouvernements ne fait pas cesser la pression des spéculateurs. Le marché des changes exerce ses pressions, si on peut dire, à la fois sur les saints et les pécheurs.

12. Le produit de la TT va varier ; une récession le réduira considérablement.

C’est le cas de tous les impôts.

13. Le produit de la taxe sera redistribué de façon arbitraire ; il augmentera la corruption.

La redistribution du produit de la taxe est d’abord un problème politique qui doit faire l’objet d’un débat démocratique et d’un accord international. On pourrait penser raisonnable d’affecter le produit de la taxe à la réduction des inégalités dans les pays développés et à celle qui existe entre les pays développés et sous-développés. Le contrôle de l’utilisation de ces ressources doit viser à éliminer la corruption. La TT ne pose pas de ce point de vue un problème nouveau.

14. La notion de spéculation est floue. Toute source de profit doit être exploitée. La distinction entre flux de capital à court terme et à long terme est arbitraire. Il n’y a pas de distinction entre arbitrage et spéculation.

Les économistes font la distinction entre arbitrage et spéculation (cette distinction est même réglementaire dans le cas du marché des marchandises). Il peut donc y avoir un accord international sur les concepts de base. Dans le cas du marché des changes, il est clair que le volume extravagant du marché est sans rapport avec la richesse produite. L’idée selon laquelle la volonté d’une personne de payer pour un produit, un service ou une " promesse " est une mesure de la valeur de cet actif est un des défauts importants de la science économique ultralibérale. Cette idée oublie la capacité ou pas de cette personne à payer cet actif et la façon dont sont fixés les prix. Que dire alors de la valeur des soins médicaux, de l’éducation et de la justice ? Pourquoi ne pas faire payer à leur prix les dégradations de l’environnement, l’exploitation des ressources non renouvelables ... et le maintien d’un système financier international stable ?

15. Il n’y a pas de consensus des sphères politiques et financières pour instaurer une TT (taxation, administration, partage du produit de la taxe).

C’est exact, pour l’instant. Mais l’idée, un instant oubliée, fait maintenant son chemin. La question fondamentale est la suivante : la TT apporte-t-elle des bénéfices socialement reconnus plus grands que le maintien du statu quo ? L’ensemble des arguments développés dans ce document le prouve. Il manque maintenant la volonté politique de la décider. C’est aux citoyens de faire entendre leur voix. Un sondage effectué dans vingt pays et publié le 2 janvier 1999 par le très libéral Financial Times indique que 49% des personnes interrogées sont favorables à la TT (37% sont contre et 14% sans opinion).

Par ailleurs la communauté internationale a réussi à mettre en oeuvre des réformes plus audacieuses et plus complexes et tout aussi coopératives. Les organismes internationaux pour la gérer existent déjà : par exemple, la Banque des Règlements Internationaux (BRI).

Il est vain d’attendre un soutien de la sphère financière qui bénéficie le plus de l’absence de taxe. A noter que les banques des pays anglo-saxons financent largement les partis politiques.

CONCLUSION

Un bon impôt doit avoir les caractéristiques suivantes :
 produire assez de revenu pour payer des biens et des services reconnus comme socialement utiles,
 être levé en proportion de la capacité à payer,
 être administrable à un coût faible par rapport à son produit.

La TT est un bon impôt si les Etats et l’organisme international chargé de sa gestion jouent leur rôle. C’est une première mesure d’urgence.

Première forme d’impôt sur les transactions financières internationales, la TT concerne toutes les économies et est une des régulations qui répond à la mondialisation actuelle. C’est une réponse coopérative dans un monde, pour l’essentiel, darwinien.

Vos remarques, critiques et suggestions sont les bienvenues. Merci de les faire à Alain Lecourieux 16, av. Allard 92270 Bois Colombes 01 47 81 81 67 ou 06 10 36 38 67 ou alain.lecourieux@wanadoo.fr

Petite bibliographie :
 The case for taxing foreign currency exchange and other financial transactions by Alex C. Michalos - Dundurn Press - Toronto.Oxford
 Contre la dictature des marchés, livre collectif d’ATTAC - La Dispute, Syllepse, VO EDITIONS
 Tobin or not Tobin par François Chesnais - L’Esprit frappeur
 Pourquoi la taxe Tobin ? 4 pages d’ATTAC - 25 janvier 1999