Argumentaire Filoche-Chavigné : Réponse aux arguments du oui au projet de Constitution européenne

, par attac92

Gérard Filoche est membre du Conseil Scientifique d’Attac et inspecteur du travail

Après le Conseil national du Parti socialiste du 9 octobre

Réponse aux plus récents arguments des partisans du « oui » au projet de Constitution européenne

La dramatisation des risques pour l’unité du parti socialiste et pour l’union européenne d’un vote « non » au projet de Constitution européenne commençait à faire long feu. On ne va pas passer deux mois à se jeter « le chaos » à la tête ou la « menace » de division. Pas plus la menace de changement dans le parti. Il ne s’agit pas d’un débat de congrès, encore moins d’un débat identitaire, de « conscience », comme le clament certains. C’est un débat politique, avec ds arguments politiques et un choix politique.
Les partisans du « oui » comme du « non » à la Constitution européenne sont donc forcés de débattre du contenu même du projet de Constitution et sur celui du bilan du gouvernement de Lionel Jospin.
Nous nous en félicitons

Pour défendre ce projet de Constitution, ces partisans du « oui » avancent aujourd’hui deux argumentations qui se veulent complémentaires.

1°) La première argumentation se réfère à la nature du projet de Constitution.
Ce projet de Constitution ne serait pas de nature différente des traités européens qui l’ont précédé.
Ce projet ne serait donc ni plus ni moins « gravé dans le marbre » que les traités qui l’ont précédé. Or, l’histoire immédiate montrerait que les traités européens, loin d’être figés, sont, au contraire, particulièrement dynamiques. La preuve de ce dynamisme serait dans les quatre révisions institutionnelles intervenues depuis l’Acte unique de 1986 : Maastricht en 1992 ; Amsterdam en 1997 ; Nice en 1999 et Bruxelles en 2004.
Mieux, à y regarder de plus prés, le projet de Constitution serait même moins « gravé dans le marbre » que les traités qui l’avaient précédé car il contiendrait des innovations de procédure sur lesquelles la gauche pourrait s’appuyer pour aller plus loin.

2°) La deuxième argumentation s’appuie sur l’expérience du Gouvernement de Lionel Jospin.
Cette argumentation cherche à prendre au piège les partisans du « non » en mettant en évidence ce que seraient leurs contradictions.
Selon les partisans du « non », en effet, le projet de Constitution paralyserait une politique de gauche.
Or, selon ces mêmes partisans du « non », ce projet n’amènerait aucune véritable amélioration, notamment dans le domaine social par rapport au traité d’Amsterdam qui était le cadre européen dans lequel s’est déroulée l’expérience du gouvernement de la gauche plurielle.
Cela reviendrait donc à affirmer que Lionel Jospin n’a pas mené une politique de gauche, malgré les 35h, la CMU, les emplois jeunes et un million de chômeurs en moins...

Quelle est la nature du projet de Constitution ?

Le projet de Constitution est-il de même nature que les traités européens qui l’ont précédé ?

Non, le titre lui-même du traité est sans équivoque : « Traité établissant une Constitution pour l’Europe ». On ne serait être plus clair.
Aujourd’hui, les libéraux font profil bas. Mais demain, si le projet de Constitution était ratifié par tous les pays de l’Union, ils affirmeraient alors, haut et fort, qu’il s’agit bien d’une Constitution (ne suffisait-il d’ailleurs pas de lire le titre...) et que cette Constitution est une norme supérieure qui s’impose à toutes les législations et constitutions des Etats-membres.

C’est d’ailleurs déjà l’avis du Conseil constitutionnel en France. Même s’il a pris la précaution d’attendre que les élections européennes aient eu lieu pour affirmer ce point de vue. Pour lui, en effet, l’ensemble des institutions nationales, politiques et judiciaires devrait, si la Constitution était adoptée, se subordonner aux juridictions européennes. Il n’avait jamais fait une telle déclaration lorsqu’il s’agissait d’un simple traité.

La Cour de Justice européenne tend déjà à s’ériger en Cour suprême de l’Union.
Elle avait, ainsi, interprété l’égalité entre hommes et femmes comme la possibilité d’imposer le travail de nuit aux femmes, dans l’industrie et les services.
En 1998, elle avait condamné les dispositions fiscales prises par le gouvernement de Lionel Jospin afin de décourager les grandes fortunes de quitter la France pour échapper à l’impôt sur les plus-values. Pourquoi ? Parce que ce dispositif « entraverait la liberté d’établissement au sein de l’Union ».
Elle vient, de la même façon, de condamner la Finlande parce qu’elle n’autorisait pas un de ses ressortissants à déduire de son impôt sur le revenu les cotisations à un fonds de pension. La Finlande a dû changer sa législation.
La possibilité de s’appuyer sur une Constitution et non plus sur de simples traités renforcerait considérablement les pouvoirs de la Cour de justice et ses moyens d’imposer les normes libérales qui vertèbrent le projet de Constitution.
La commission Barroso s’enhardit déjà en remettant en cause la directive 93-104 sur la limitation de la durée du travail hebdomadaire à 48 h maxima. Elle s’enhardit aussi en traçant la directive Bolkestein qui détruit le droit du travail nationaL Elle interprète déjà de façon plus forcenée les choix ultra libéraux.

Les libéraux veulent à la fois le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.

Ils veulent le beurre : ne pas respecter la tradition constituante européenne qui veut qu’une Constitution soit l’œuvre d’une Assemblée constituante élue à cet effet par les citoyens ; qui veut que les débat de cette assemblée soient publics ; qui veut que le projet de Constitution arrêtée par cet assemblée soit soumis à un referendum unique pour tous les citoyens concernés.

Ils veulent, aussi, l’argent du beurre : donner quand même au texte, élaboré sans débat public par une assemblée non élue mais nommée par le Conseil européen de Laeken en décembre 2001, la légitimité et la force contraignante d’une véritable Constitution.

Ils veulent, enfin, le sourire de la crémière : inclure dans la partie III de la Constitution toutes les politiques communes déjà adoptées par l’Union européenne.
Loin de se contenter de fixer les règles du jeu comme devrait se limiter à le faire une constitution, le texte qui nous est proposé fixe aussi le jeu lui-même en intégrant les politiques européennes dans la Constitution. S’il était adopté, il ne serait plus possible, sans révision de la Constitution, de choisir d’autres politiques que celles qui sont inscrites, en détail, dans cette Constitution. Les politiques libérales inscrites dans la Constitution seraient donc bien « gravées dans le marbre ».
Ce qui nous est proposé n’est pas une simple Constitution (la Constitution française de la Vème République tient en 29 pages, le projet de Constitution européenne représente, sur le site de l’Union européenne, 844 pages !) mais une Constitution-loi-règlement-jurisprudence. Les annexes du projet incluent, en effet, la jurisprudence de la Cour de justice dans la Constitution. Ainsi, l’article 15 de l’annexe II énumère-t-il les arrêts consacrés à « la liberté professionnelle » : arrêt Nold du 14 mai 1974, arrêt Hauer du 13 décembre 1976, arrêt Keller du 8 octobre 1986 ! Ce n’est plus du marbre, mais du tungstène !

Le projet de Constitution est-il ni plus ni moins « gravé dans le marbre » que les précédents traités européens ?

Une Constitution n’est pas là pour quelques années. Elle marque, au contraire, la volonté d’inscrire son contenu dans la durée. C’est d’ailleurs ce qu’affirmait VGE quand il déclarait que la Constitution européenne serait là pour 50 ans.

Affirmer que les quatre traités précédents le projet de Constitution (cinq si l’on inclut l’Acte unique) se sont caractérisés par des « révisions institutionnelles » n’a vraiment qu’un rapport très lointain avec la réalité. Car ce qui a caractérisé ces cinq traités ne relève pas, à l’évidence, des institutions mais bien de l’économique et du monétaire.
Ce qui caractérisait l’Acte unique de 1986 c’était qu’il ôtait toute entrave à la circulation des capitaux tant à l’intérieur de l’Europe qu’entre l’Europe et les pays tiers.
Ce qui caractérisait le traité de Maastricht c’était l’adoption de critères de convergence vers la monnaie unique et l’instauration d’une Banque centrale européenne indépendante de tout contrôle des citoyens.
Ce qui faisait la caractéristique du traité d’Amsterdam, c’était l’intégration aux traités européens du pacte de stabilité et le refus d’instaurer un « gouvernement économique » pour contrebalancer le poids de la Banque centrale européenne.
Ce qui caractérisait le traité de Nice n’était pas le dynamisme institutionnel mais au contraire l’affirmation que (contrairement à tout ce qui avait été proclamé depuis Maastricht) l’élargissement se ferait sans approfondissement, sans changement substantiel en direction d’une Fédération européenne et sans harmonisation sociale.
Chacun de ces traités a été, également, l’occasion de quelques changements institutionnels. Les pouvoirs du Parlement européen ont, à la vitesse de l’escargot, un peu gagné en consistance. Les domaines des décisions prises à la majorité qualifiée s’est étendu mais dans les domaines essentiels pour les socialistes (social, fiscal, politique étrangère) les décisions sont toujours prises à l’unanimité du Conseil.
Mais l’essentiel du contenu de ces traités ne concernaient pas les institutions. Ce qui caractérisait ces traités c’était la place disproportionnée qu’y occupaient l’économie et la monnaie.
Le leitmotiv des socialistes, des sociaux-démocrates européens n’était-il pas d’ailleurs, à l’occasion de chacun de ces traités : « La politique, le social, ce sera pour la prochaine fois ! Nous ne pouvions pas déclencher de crise ! » Il est donc quand même un peu étonnant que ce soit ces même socialistes qui, aujourd’hui, nous affirment que la dynamique de ces traités était institutionnelles c’est-à-dire politique...
Et, au total, l’Union européenne qui produit dores et déjà plus de 60 % des actes législatifs s’imposant à ses Etats-membres n’a toujours pas grand-chose à voir avec un Etat fédéral, ni, tout simplement, avec une démocratie - même telle que la décrivent les professeurs de droit constitutionnel...

Affirmer que les traités européens sont particulièrement dynamiques et qu’il n’y a aucune raison pour que cette tendance s’arrête puisque quatre traités ont été signés en 20 ans, depuis l’Acte unique de 1986, se situe à un niveau de généralité beaucoup trop élevé pour être pertinent.
Il faut, en effet, se demander quel était le contenu de cette « dynamique » qui poussait à mettre en place ces traités. Or, ce contenu était un contenu libéral et c’était ce contenu qui faisait que chaque traité en appelait un autre.
Dans un premier temps, le traité de Rome, signé en 1957, établissait un grand marché des marchandises, en supprimant progressivement droits de douanes et contingentements.
Mais un grand marché ne pouvait être un véritable grand marché sans un grand marché des capitaux. L’Acte unique de 1986 qui instaurait ce marché était donc une nécessité aux yeux des libéraux et découlait logiquement du premier traité.
Mais un grand marché se devait d’être couronné par une monnaie unique et une Banque centrale garante de la valeur de cette monnaie. Là encore, pour les libéraux, le traité de Maastricht de 1992 était une nécessité qui découlait des deux traités précédents.
Mais à quoi bon avoir une monnaie unique et avoir fixé comme mission principale à la Banque centrale européenne le maintien de la valeur de l’euro si les Etats de la zone euro retrouvaient leur liberté budgétaire et donc la possibilité, par des déficits excessifs, de mettre en péril la valeur de la monnaie unique sur le marché des changes ? Le pacte de stabilité intégré au traité d’Amsterdam de 1997 était donc, lui aussi, une nécessité aux yeux des libéraux, dans la ligné des précédents traités, puisqu’il imposait des limites draconiennes aux déficits et aux dettes publics.
Quant à l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale, c’était là une opportunité (ouverte par l’heureux effondrement du mur de Berlin) que les libéraux ne pouvaient pas, de leur point de vue, se permettre de laisser passer. Ils avaient là, en effet, l’occasion inespérée d’accentuer leur pression au nivellement par le bas de toutes les législations sociales et fiscales en refusant toute harmonisation par le haut dans un espace économique où l’écart des salaires moyens serait de un à 10.

Lorsque François Hollande, devant notre Conseil national, affirme, bravache, « j’assume le traité de Rome, l’acte unique, les traités de Maastricht, et d’Amsterdam », il n’améliore pas son argumentaire : car qu’assume t il ? Des compromis qui ont, certes, construit une « certaine » Europe, mais davantage une Europe libérale qu’une Europe sociale. Assumer cela, chacun le sait, débouche sur d’autres 21 avril, comme après les traités de Nice et de Barcelone...
Parce, depuis vingt que ces traités sont ainsi assumés par le principal porte-parole du « oui », la situation sociale de l’Europe s’est dégradée. Ces vingt dernières années sont celles de Donald Reagan, et, en Europe de Margaret Thatcher : les libéraux e sont radicalisés à droite et avancent leurs théories de façon de plus en plus violente : au point qu’en France même on a un gouvernement thatchérien qui s’efforce de rendre irréversible la remise en cause des services publics, la privatisation des retraites et de la Sécurité sociale, tout ce qui, il y a vingt ans, paraissait encore défendable à un certain niveau dans le patrimoine commun européen.
Est-ce cela qu’assume François Hollande ? Le recul en matière de comités d’entreprise entre 1983 et 1993 ? Les reculs en matière d’emploi, de protection sociale, partout, de retraite, de santé, de services publics ? Les pas vers l’opt-out et la directive Bolkestein ? L’accentuation des délocalisations et du dumping social ? Il faut répondre à ces questions, car elles ne sont pas dissociables des « dynamiques » des traités successifs : la pratique éclaire ces textes

Or, cette « dynamique » des traités libéraux arrive à son terme. Le projet de constitution vient clore, fermer, cette longue succession de traités économiques, monétaires, en clouant les vannes de tout accès au social. Il n’est plus besoin, maintenant de nouveau traité pour les libéraux : le fleuve du libéralisme a pris toute sa place dans le lac européen...
La « directive Bolkestein » permettra d’accentuer la libéralisation des services et de réduire encore plus le domaine des services publics. Les négociations au sein de l’Omc et de l’Agcs feront sauter les derniers obstacles à l’existence d’ « un marché intérieur où la concurrence et libre et non faussée ».
L’intégration de la Bulgarie et de la Roumanie, comme d’ailleurs celle de la Turquie n’appelle pas, du point de vue des libéraux, de nouveau traité. Le projet de Constitution prévoit d’ailleurs que la composition de la Commission devrait rester la même jusqu’en 2014 !

Le projet de Constitution est-il moins « gravé dans le marbre » que les traités qui l’ont précédé ?

La procédure de « révision simplifiée » (la fameuse « clause passerelle »), prévue pour les politiques communes (la Partie III du projet de Constitution) diffère-t-elle concrètement de la procédure de révision ordinaire ?

La procédure de révision ordinaire (article IV-443) exige une double unanimité pour réviser le moindre alinéa d’un seul article de la Constitution : le vote unanime du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement des 25 Etats-membres ; la ratification de cette révision (selon leurs procédures constitutionnelles) par tous les Etats-membres.

Les articles IV-444 et IV-445 prévoient une « procédure de révision simplifiée ». Cette procédure concerne uniquement la Partie III du projet de Constitution (les politiques de l’Union).
La simplification consiste, d’abord, en la possibilité pour le Conseil de statuer à la majorité qualifiée dans un domaine où il devrait, en principe, statuer à l’unanimité ; en la possibilité ensuite que cette décision soit adoptée si aucun Parlement national ne s’y oppose dans un délai de six mois.
Mais, c’est à l’unanimité ( !) que le Conseil doit décider d’adopter cette procédure de révision simplifiée. L’unanimité sort par la porte mais rentre aussitôt par la fenêtre et nous nous retrouvons donc dans le même cadre que celui de la procédure de révision ordinaire.
Mais, lorsqu’il s’agit du Titre III de la Partie III cette « décision européenne n’entre en vigueur qu’après son approbation par les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ». Ce qui signifie que si ces règles constitutionnelles prévoient un référendum, la décision devra être ratifiée par référendum. Là encore, la procédure n’est pas différente de la procédure de révision ordinaire : la modification apportée à la Constitution doit être ratifiée par tous les Etats-membres.
Or, les politiques et actions internes définies au Titre III sont essentielles à tout projet de transformation sociale puisqu’elles concernent (excusez du peu !) : le marché intérieur, la politique économique et monétaire, les règles de la concurrence, l’emploi, la politique sociale, l’environnement, les transports, l’énergie, l’agriculture et la pêche, la santé publique, l’industrie, la culture, l’éducation, la formation professionnelle...
La procédure de « révision simplifiée » est donc, pour les socialistes, un verrou tout aussi efficace que la procédure de révision ordinaire.

Le mécanisme des coopérations renforcées est-il assoupli ?

Non.

Les limites aux coopérations renforcées contenues dans le traité de Nice (article 11) sont maintenues.
Selon l’article IV- 416 : ces coopérations doivent respecter la Constitution et le droit de l’Union. Elles ne peuvent constituer ni une entrave ni une discrimination aux échanges entre les Etats membres ni provoquer de concurrence entre ceux-ci.
Elles ne peuvent intervenir dan les domaines des compétences exclusives de l’Union (article 1-44). Or ces compétences sont très étendues : union douanière, règles de la concurrence nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur, politique monétaire, politique commerciale commune...
La Commission peut, toujours, choisir de refuser de soumettre la proposition de coopération renforcée au Conseil des ministres.
Le Conseil des ministres continue à décider à l’unanimité lorsqu’il s’agit de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC), à la majorité qualifiée dans les autres cas. La majorité qualifiée est constituée (article 1-25) par un minimum de 15 Etats. Or, les 10 nouveaux Etats arrivants ne sont guère favorables aux coopérations renforcées. Ils craignent qu’une telle procédure ne les marginalise encore plus. Il suffirait donc du veto du Royaume-Uni pour qu’une coopération renforcée ne puisse voir le jour...
Enfin, un tiers au moins des Etats-membres doit participer à cette coopération renforcée, soit 9 Etats.

De nouvelles limites sont apportées par le projet de Constitution.
Le traité de Nice ne prévoyait, dans la plupart des cas, que la consultation du Parlement européen. Le projet de Constitution ajoute un obstacle supplémentaire : l’approbation de ce même Parlement.
Enfin, selon l’article I-44.2, ces coopérations ne pourront être engagées que si le Conseil établit que « les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteint dans un délai raisonnable ( ? ) par l’Union dans son ensemble ».

Le domaine des coopérations renforcées est donc limité et la procédure pour faire approuver une coopération est une véritable course d’obstacles qui rend quasi impossible l’adoption de telles coopérations. Ce n’est donc sans doute pas par hasard, si depuis l’instauration de ces coopérations par le traité d’Amsterdam en 1997, aucune n’a encore vue le jour. Alors même, rappelons-le, que les socialistes ou les sociaux-démocrates dirigeaient ou participaient à 13 gouvernements sur 15 de l’Union européenne.

Mais surtout, sur le fond, qui peut croire que les coopérations renforcées puissent être, comme l’avancent les partisans du « oui », une solution à l’absence d’harmonisation sociale et fiscale dans l’ensemble de l’Union ?
Imaginons que les 15 pays où les salaires sont les plus élevés décident d’instaurer entre eux un « traité social » sous forme de coopération renforcée. Cette coopération renforcée constituerait-il un obstacle ou un encouragement aux délocalisations vers les 10 autres pays de l’Union ?
Les conséquences seraient-elles différentes pour une « harmonisation fiscale » qui ne concernerait pas l’ensemble des pays de l’Union ?

Les partisans du « oui » avance un dernier argument : le pacte de stabilité intégré au traité d’Amsterdam est remis en cause actuellement. C’est donc bien qu’il « n’était pas gravé dans le marbre ».
Le pacte de stabilité est remis en question parce que, du point de vue même des libéraux il était « stupide » (Romano Prodi, alors président de la Commission européenne). Pour qu’il puisse garder son efficacité, il fallait lui donner un peu plus de souplesse. C’est ce qui, semble-t-il est en train d’être réalisé. Mais le but de la manœuvre n’est pas d’en finir avec les limites apportées aux déficits et aux dettes publiques, il est simplement de prendre en compte la réalité pour permettre que ces limites soient réellement appliquées.
Les partisans du « oui », que le simple mot de « crise » semble effrayer, devraient d’ailleurs s’interroger sur ce qui a permis cette modification du pacte de stabilité. Car c’est bien la crise déclenchée par Chirac et Schröder, refusant d’appliquer la lettre du pacte de stabilité, qui a entraîné cet assouplissement que les partisans du oui nous citent maintenant en exemple.
Il n’est sans doute pas inutile, non plus, de rappeler que les dirigeants de notre parti accusaient alors systématiquement Chirac de ne pas respecter le pacte de stabilité dans toute sa rigueur et donc dans toute sa « stupidité ».

L’initiative constitutionnelle est-elle conférée au Parlement européen ?

Selon les partisans du « oui », cette initiative permettrait au Parlement de se muer, de fait, en Assemblée constituante et à une majorité parlementaire de gauche de lancer un second traité constitutionnel dès 2009.

Une Assemblée constituante de fait est une contradiction dans les termes. Cela signifierait, en effet, que le Parlement européen deviendrait assemblée constituante sans avoir été élu pour cela. C’est contraire à toute la tradition constituante des pays européens.

Mais surtout, qui peut croire un seul instant qu’un Parlement, qui n’a pas la possibilité d’adopter une loi sans que le Conseil en ait décidé ainsi et qui n’a même pas la possibilité de proposer les lois (l’initiative des lois est du ressort exclusif de la Commission), pourrait se muer en Assemblée constituante ?
Or, le projet de Constitution est sans aucune ambiguïté. L’article 1-34 énonce, en effet : « Les lois et lois-cadres européennes sont adoptées, sur proposition de la Commission, conjointement par le Parlement européen et le Conseil... »

Le droit d’initiative populaire serait-il, comme l’affirme les partisans du « oui », un outil efficace pour peser vers de nouvelles avancées institutionnelles ?

Pour répondre à cette question mieux vaut relire attentivement l’article 1-47.3 et constater les limites extrêmement étroites apportées à ce droit : « Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’une nombre significatif d’Etats-membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’une acte juridique de l’Union est nécessaires aux fins de l’application de la Constitution. »
Première limite : le contenu de l’initiative est strictement encadré. Il ne s’agit, en aucun cas, de pouvoir « peser vers de nouvelles avancées institutionnelles », comme l’affirment un peu rapidement les partisans du « oui », mais uniquement de soumettre une proposition nécessaire à « l’application de la Constitution ».
Deuxième limite : la Commission n’est qu’ « invitée » à examiner la proposition. Rien ne l’oblige à donner suite. Elle peut parfaitement ne rien faire.
Troisième limite : si la Commission décide de donner suite, c’est elle qui décidera de la forme et du contenu que prendra la « proposition appropriée » qui sera présentée au Conseil et au Parlement.

Présenter ces quatre « innovations » dont la portée reste extrêmement limitée et même parfaitement inexistante dans le cas de la troisième, comme des outils efficaces pour faire avancer l’Union a surtout le mérite de montrer à quoi en sont réduits les partisans du « oui » pour tenter de prouver, contre toute évidence, que le libéralisme ne serait pas « gravé dans le marbre » de la Constitution européenne.

Malgré les traités de Maastricht et d’Amsterdam, le gouvernement de Lionel Jospin a-t-il mené une politique de gauche ?

Nous ne confondons évidemment pas la politique menée par Lionel Jospin avec celle menée par Chirac-Raffarin.
Nous avons souligné en France, la profonde différence entre la droite et la gauche, c’est justement pour ne pas l’effacer au niveau européen. Au niveau européen, les libéraux sont tellement à l’offensive pour démanteler les acquis sociaux des peuples, qu’il y a raison supplémentaire de ne pas leur laisser les initiatives, de ne pas travailler au consensus avec eux, il faut les combattre.

Il faut se rappeler ce que cela nous coûté, de laisser s’ombrer la frontière entre la gauche et la droite lors du sommet de Barcelone en mars 2002. Lors du sommet de Nice Lionel Jospin s’en était félicité en expliquant que cela réparait le calamiteux traite d’Amsterdam. Puis voilà qu’on a expliqué qu’on etait obligé d’accepter les « petits pas » de l’élargissement, hélas, sans approfondissement. Aujourd’hui, tous les socialsites regrettent de n’avoir pas, à temps, bataillé pour que l’élargissement se fasse différemment. Alors, on nous dit que la constitution va effacer le calamiteux traité de Nice : cette façon de faire des « petits pas » qu’on regrette aussitôt, pour en refaire dans le même sens, ne reste pas sans conséquences. Et la fin de l’expérience du gouvernement de la gauche plurielle, c’est la catastrophe du 21 avril 2002.
Il est certes possible de considérer que cette catastrophe est la faute de Chevènement, de Taubira, d’Arlette, du facteur ou de Hue. Il resterait encore à comprendre pourquoi ils ont pu avoir l’oreille du peuple de gauche.
Il est aussi possible de considérer que c’est la faute du peuple qui n’a pas compris. Il resterait donc la solution de changer de peuple. Mais chacun pourra reconnaître que ce n’est guère réaliste. Il vaut mieux comprendre pourquoi le peuple en a assez de voter des traités dans lesquels il ne se retrouve pas, et pourquoi il s’abstient de plus en plus en Europe tous les cinq ans.

Il n’est donc pas possible d’échapper à la nécessiter de dresser le bilan de la politique menée par le gouvernement de Lionel Jospin. Or, ce bilan est un bilan mitigé et la pression exercée par l’Union européenne n’est pas étrangère à l’aspect négatif de ce bilan.

Certes, le gouvernement de la gauche plurielle a su imposer au patronat la 1ère loi Aubry et mettre en place les emplois jeunes et la CMU. L’aspect positif de son bilan ne s’arrête d’ailleurs pas là : il a, également, fait adopter une loi d’autonomie pour répondre aux besoins de personnes âgées dépendantes, le PACS, la parité hommes-femmes, l’instauration d’un seuil communal de 20 % de logements sociaux ...

Mais les aspects négatifs de ce bilan sont nombreux.
Tout d’abord, le gouvernement de Lionel Jospin n’a pas défait ce que la droite avait fait : ni la loi quinquennale Balladur-Giraud sur l’annualisation du temps de travail ni la contre-réforme Balladur de nos retraites. D’ailleurs, le sommet de Barcelone en 2002 et les conclusions signées par Lionel Jospin et Chirac allaient dans le même sens que cette contre-réforme.
Ensuite, après avoir abandonné les salariés de Renault-Vilvorde à leur sort, alors que les représentants de l’Etat et des salariés étaient majoritaires au conseil d’administration de Renault (9 sur 15), le gouvernement de la gauche plurielle a, sous la pression des directives européennes, accéléré les privatisations partielles des entreprises publiques : France-télécom, Air-France, Gan... Il a, sous la même pression, discuté de la libéralisation partielle du marché du gaz et de l’électricité. Chaque socialiste a pu, depuis, mesurer la portée de ces décisions.
Le gouvernement de Lionel Jospin a, également, mis en place un plan d’allégement de l’impôt sur le revenu, pourtant le seul impôt à être progressif. Il a également diminué l’impôt sur les sociétés, sous la pression du dumping fiscal européen, découlant de l’absence de toute politique d’harmonisation fiscale de l’Union européenne.
Le gouvernement de la gauche plurielle, enfin, n’a pas su répondre à l’urgence sociale en refusant de mettre en place une nouvelle forme d’ « autorisation administrative de licenciement » pour riposter aux « licenciements boursiers » et en différant chaque année la tenue d’une conférence annuelle sur les salaires, il n’ a pas lutté contre les délocalisations, concédant que « l’état ne peut pas tout »..
Il n’a pas, non plus, su répondre à cette urgence sociale parce que le traité d’Amsterdam (signé par Lionel Jospin et Chirac) restreignait la possibilité de déficits budgétaires et donc le financement d’une politique de grands travaux qui auraient permis, notamment, de casser les « ghettos » et de fournir du travail à des centaines de milliers de chômeur. A ceux qui, justement, entendaient le gouvernement affirmer que « cela allait mieux » mais qui, pour eux, ne voyaient rien venir. A ceux qui étaient toujours victimes, après cinq ans de gauche, de la fracture sociale.
Et, le 21 avril 2002, nombreux sont ceux qui ont voté à l’extrême-gauche ou se sont abstenus, reléguant ainsi, hélas, Lionel Jospin à la troisième place, derrière Chirac et Le Pen...

La même question se pose pour l’avenir car, l’adoption du projet de Constitution européenne qui impose, jusque dans les détails les politiques libérales, n’interdirait pas (quand il y a une volonté, il y a un chemin...) mais rendrait encore plus difficile toute politique de transformation sociale en France.
Or, les élections régionales et européennes de 2004 n’ont pas tourné la page du 21 avril. Le vote des Français est constant : le 21 avril comme le 28 mars ce qu’ils ont sanctionné, c’est le libéralisme. Ils ne sont pas les seuls en Europe : les Britanniques, les Allemands, les Espagnols et les Italiens empruntent le même chemin.
Et demain, il en irait de même pour tout gouvernement de gauche qui, sous contrainte de la Constitution européenne, ne mènerait pas une véritable politique de transformation sociale. Autant donc éviter, en approuvant le projet de Constitution européenne, de donner nous-mêmes, les bâtons pour nous faire battre.
Parce que, dernier argument, inlassablement repris par les partisans du « oui » : « nous serions isolés » de nos partenaires européens. Certes, des dirigeants du Pse, qui ne consultent pas leurs militants, et qui conduisent des politiques antisociales, comme Blair et Schrôder aujourd’hui. Mais ce n’est donc pas seulement à cause de notre refus du traité que nous sommes « isolés », c’est à cause du fait que, n’est-ce pas, notre projet 2007 ne veut, en aucun cas, imiter Schrôder et Blair... C’est parce que nous, nous tirons, des leçons du 21 avril, et que nous voulons un vrai programme de transformation sociale ! En France comme en Europe, de façon cohérente. Soyons certains que des dizaines de milliers de socialistes européens réduits au silence parce que l’on ne leur a pas donné l’occasion débattre, espèrent avec ferveur qu’en France, nous disions « non ».
Or cette constitution, c’est la politique de Chirac-Raffarin-Sarkozy institutionnalisée, nous la combattons ici comme à Bruxelles.

Gérard Filoche
Jean-Jacques Chavigné

Un commentaire : le « non » peut et doit gagner !
le « non » est très probablement, arithmétiquement, majoritaire, à la base du parti socialiste. L’addition des forces représentées par Nps, Nm et Fm, plus celle des camarades comme Manuel Valls, Paul Quilés, Marie Noëlle Lienemann, André Percheron, Serge Janquin, et aussi dix présidents de conseil régionaux, comme Pierre Joël Bonté, Martin Malvy, ou Jean-Paul Bachy, et arrivés, en plus, aussi Laurent Fabius et ses proches, tout cela fait entre 55 et 60 % des voix. Toutes les voix comptent, toutes les voix sont bonnes.

C’est pourquoi les partisans du « oui » qui se sentent minoritaires, sont si déterminés, et qu’ils utilisent tous les arguments du « chaos », de la dramatisation, de l’identité, pour que tous les réflexes de crainte et de légitimité puissent jouer contre la lecture, la réflexion, la raison. Ils vont mener bataille jusqu’à la dernière carte dans la plus petite section. Contrôlons partout ce qui se passe, ce qui se dit, disputons chaque voix, imposons loyauté et raison jusqu’au 1er décembre.
Nous devons rester entièrement sur le terrain de la raison, ne pas céder aux tensions ou aux dérapages, car ils obscurciraient l’évidence, celle qui fait que nos arguments sont plus forts, et que si on veut une gauche authentique, forte, qui tourne la page du 21 avril, c’est vraiment l’occasion, l’heure du choix politique.
Il n’est qu’à voir la bagarre médiatique qui dramatise les effets du débat : les médias sont à 90 % pour le « oui », ils font barrage, sont injurieux, manipulateurs, acharnés. C’est un signe de l’enjeu. L’ennemi véritable, puissant, actuel dans ce pays, c’est Chirac, Raffarin, Sarkozy, ce sont eux qui gouvernent, eux qui nous attaquent chaque jour, eux qui font la sale politique : il faudra les battre lors du référendum en 2005 ! Le « non » sera double : contre Chirac et contre la constitution Giscard, contre le libéralisme en France et contre le libéralisme en Europe. C’est une seule et même politique que nous combattons.
Nous, partisans de non, devons combattre avec ardeur de toutes nos forces pour ne pas nous faire voler par des manœuvres d’appareil, par des arguties de seconde zone, notre victoire aujourd’hui possible !
Nous sommes en osmose avec la majorité du peuple français qui votera « non »,
Nous sommes avec le Pas de Calais, mais pas avec le 16° arrondissement, avec le Nord, pas avec les sièges de TF1, avec les salariés, pas avec les banquiers.
Entre le non et le oui, celui qui l’emportera sera le plus déterminé, soyons donc tous ensemble déterminés, acharnés, et nous allons, nous pouvons conduire une belle bataille vers une belle victoire ! Pour cela, il faut aussi bien tenir des rassemblements régionaux, locaux que nationaux, tout en allant dans chaque section, e parlant avec chaque camarade individuellement. Un rassemblement national Nps, Nm, Fm accroîtrait la dynamique, sans s’opposer, au contraire, aux taches de conviction locales, partout sur le territoire. GF